Ça y est, place à la grisaille. C’est l’heure, qui sonne toujours trop tôt, de sortir l’haleine fraîchement mentholée pour renifler les gaz d’échappement, de regoûter à la promiscuité des transports en commun en odorama, avant d’être entouré des parfums de café des camarades ou collègues mal réveillés. Alors qu’on s’isole avec les nouveautés rap afin de fuir cette réalité qui nous paraît un peu nauséabonde, il y a soudain ce fumet de food-truck qui nous attire irrémédiablement. Cette bonne odeur qui fait saliver et flatte les narines, elle vient de Blue Chips 7000, le fat come-back de notre rappeur rouquin préféré, Action Bronson. Et putain, c’est délicieux !
Pour qu’arrive ce modèle 7000 de la série des Blue Chips, il a fallu qu’Action Bronson monte au créneau sur Twitter en sortant son couteau de boucher et menacer de leaker l’album pour que sa major Warner daigne le diffuser, en digital pour l’instant. Et tant pis pour la promo. De toute façon Blue Chips est comme Blue Magic, une marque déposée, grâce à deux mixtapes sorties en 2012 et 2013 qui lui ont permis d’obtenir des étoiles pour sa très bonne cuisine. Pour ce second album en maison de disque via le label du média Vice, dont la chaine Viceland diffuse sa série culinaire Fuck, That’s Delicious, treize morceaux ont passé l’épreuve du sample clearance (process qui évite d’avoir des emmerdes de droits d’auteur), un quatorzième a été sacrifié hélas.
Qu’importe, l’ex-cuistot du Queens nous propose du foodporn pour les amateurs de rap Eastcoast. Dans sa brigade sont présents d’excellentes connaissances qui ont l’habitude de passer du temps derrière les plaques de cuisson avec lui, à savoir les Party Supplies (qui ont produit Blue Chips 1 et 2), les potos Alchemist et Harry Fraud. Deux nouveaux ont été engagés, et pas des moindre: Knxwledge (Anderson .Paak, Kendrick Lamar…) et Daringer, le beatmaker fétiche des frangins Westside Gunn et Conway. Tous ont en commun d’être des as du sampling, pour apporter ce côté plus artisanal, l’antithèse de la musique fast-food qui pollue de ses édulcorants les sorties mainstream. Chaque sample a été sélectionné et préparé avec amour, comme une côte de boeuf saignante, salé avec classe façon Saltbae et servi avec ses chips de vitelottes (des chips presque bleues quoi). Comparé à Mr Wonderful, son précédent fait d’arme, l’ensemble est carrément plus homogène, plus cohérent, facilement digeste malgré une portion de taille un peu trop raisonnable vu le bonhomme (ce menu Blue Chips 7000 se déguste en moins de 40 minutes). On retrouve toujours ces samples rock comme sur le single « The Chairman’ Lament« , les seuls écarts se limitant aux infusions reggae de « Bonzai » et ce « Let Me Breathe » qui assemble une mélodie bien old school empruntée aux Fatboys, avec une rythmique new school.. Si ce beat fera danser les ‘basic bitches’ comme Bronsalino le dit lui-même, « Choreographer » aura plus de chances avec cette ambiance disco-funk à l’ancienne, cosy et flashy.
Au milieu de ces mets appétissants, ce bon vivant d’Action Bronson nous régale avec ses récits extraordinaires et rocambolesques rendant sa silhouette XXXXL si sexy et irresistible auprès des femmes qui réclament son gros boudin blanc (l’intro de « Let It Rain » ou le « she nearly broke my dick » qu’il scande sur « Let Me Breathe« ). Et ses métaphores culinaires se dégustent sans modération (« Chop Chop Chop« ). Mais ne lui collez pas trop vite une image de mec sympa. Ce personnage sait amuser la galerie, c’est un fait, on kifferait bien bouffer au bistro avec lui ou se rouler un joint. Mais en dehors de son univers surréaliste, Action Bronson sait mettre de gros coups de pression (et je parle pas de bière), accompagné de son ami, le costaud Big Body Bes, son second avec qui faut pas trop rigoler quand il croise les bras. Des rimes peuvent rester en travers de la gorge comme une arête de saumon de Norvège, et sa frustration peut couper la faim comme sur « Right Lung » où il évoque sa santé, le tout dans une ambiance smooth. Parce que de la bonne friture sans fioritures, juste accompagné d’une bonne sauce, ça passe crème. Le seul ‘gros’ featuring de Blue Chips 7000 se nomme Rick Ross. Ce duo interracial d’imposants barbus aux goût de luxe nous emmène avec « 9-24-7000 » en balade nocturne en Bentley dans les avenues électriques de New-York à Miami. La finition est haute, comme la feuille d’or sur un succès au chocolat.
Il est possible que chez certaines personnes, la comparaison avec Ghostface Killah – on y revient, même voix/flow, surréalisme des textes, le chant ultra approximatif, etc…), puisse troubler. C’est sans compter sur la folie de notre albanais rouquin favori qui lui permet de souvent surclasser son mentor avec génie. Et quand au détour d’un clip foutraque dont il a le secret, l’auguste barbu convoque des cinquantenaires prolos et une icône de la scène burlesque d’au moins 3mn50, on lui sait gré de nous distiller encore cet amour sans borne qu’il a pour les misfits. Alors on oublie nos envies de rentrer à nouveau dans un jean taille 38, on suit les conseils de Bronsolinio, on se ressert une méga large portion de ce Blue Chips 7000 savoureux à souhait. Ce n’est pas Dukan qui nous contredira.