Au moment où la trap s’empare des charts et que nous traversons un changement radical dans la manière de fabriquer du hip-hop, le rap indépendant, aux Etats Unis, se cherche et essaie de proposer des contenus différents tout en gardant son authenticité. Plusieurs producteurs se sont fait une place au soleil – Harry Fraud, Clams Casino, Illmind and co – mais s’il y a bien un artiste qui se démarque par sa créativité musicale tout réussissant l’exploit de sortir le légendaire groupe Souls Of Mischief de la retraite, c’est Adrian Younge.
Ce féru de la soul des années 70 est un touche à tout. Originaire de Los Angeles, Adrian baigne dans la musique jazzy depuis sa tendre enfance et a toujours eu une affection particulière pour le rap des années 90. En 1998, alors qu’il n’est encore qu’un gamin de vingt ans, il décide de vendre sa MPC pour apprendre à jouer des instruments multiples comme la guitare, la batterie ou encore la basse et le saxophone. En véritable maestro, il s’attèle à différents projets et signe notamment la BO du film « Black Dynamite », un classique qui constitue son véritable premier succès. Avec ses samples jazz et soul, il donne une véritable puissance à ce splendide hommage à la blaxploitation.
Après cette expérience, c’est en 2013 que le bougre va se faire réellement un nom dans l’industrie musicale. Il réalise son premier grand coup en produisant le nouveau projet de The Deftonics, légendaire groupe soul des années 70 puis, dans la foulée, sort l’album « Twelve Reasons To Die » avec l’ancien membre du Wu-Tang, Ghostface Killah. Un magnifique projet avec une storytelling forte basée sur des productions de films d’horreur italien. Rapidement, sa touche décalée et son rejet de l’informatique lui permettent de se faire un nom : l’Angelinos travaille « à l’ancienne », instrument dans les mains. C’est ce qui fait aujourd’hui sa marque de fabrique. Dans un univers musical où les productions sont majoritairement réalisées en digital, Adrian Younge fonde Linear Laps, label où tous les albums sont produits de façon analogique, en live et avec une bande son. Younge s’en justifie : « Ce qui m’intéresse, c’est l’interaction entre les musiciens et les rappeurs, ce qui n’existe quasiment plus aujourd’hui. C’est ma manière de travailler. Il y a une réelle demande aujourd’hui notamment dans le hip-hop. »
Depuis fin août, le nouvel album de Souls Of Mischief, après cinq ans d’absence, est dans les bacs. Comme un symbole, Adrian Younge, en grand fan qu’il est de la « Golden Era » de 1993, est le producteur exécutif de ce projet. Tout est parti d’un échange de mail avec A-Plus, membre majeur du groupe qui a apprécié son boulot avec Ghostface Killah. Younge a toujours rêvé de produire pour eux, lui qui connait par coeur les paroles du classique « 93 Till Infinity » et veut se réapproprier les codes du hip hop d’antan. Car l’américain ne se reconnait plus dans les valeurs du rap d’aujourd’hui : « En 1996, c’était un hip-hop jeune, non mature avec une réelle culture underground que ce soit le graff, la dance, les vêtements. En 1997, le rap a commencé à être commercialisé, on a perdu cette identité. Je veux retrouvé cette énergie là. » Une vision un poil archaïque mais qui demeure plébiscitée par beaucoup/
En instaurant une trame narrative de haut vol dans le dernier album de Souls Of Mischief, Adrian Younge a réussi à glaner le surnom de « David Lynch de la production », tant « There Is Now » (en feat avec Snoop Dogg, s’il-vous-plaît) redonne une seconde jeunesse à un groupe en perte de vitesse. Mais pour lui, pas question de ne faire que du hip-hop : l’homme n’exclut pas de réaliser d’autres projets, notamment de la funk. En même temps, facile de toucher à tout quand on a tout sous la main : Younge dispose d’un des tous meilleurs stores de vinyles à L.A., géré par sa femme. Dés que son emploi du temps lui permet, le producteur y passe des heures à fouiller dans les bacs à la recherche de pépites rares. Ceci explique cela.