À défaut de se dorer la pilule sur les plages grecques ou de festoyer avec les étudiants anglais quelque part dans l’archipel des îles Ioniennes, on a passé une partie de notre été à Athènes à longer les murs. Et on s’est intéressé à ceux qui les coloraient à l’aérosol à longueur de journée, l’index sur la bombe, dans un pays qui a pourtant de multiple raisons de se mettre la tête entre les mains.
L’art et la politique ont toujours eu un lien fort. Dès le Moyen Âge, il fut utiliser comme moyen de communication et de propagande pour asseoir son pouvoir par les autorités en place. Avec le développement des techniques d’impressions et de la production en masse au XXe siècle, la propagande politique s’est rapidement emparée de la rue pour laver le cerveau de ses citoyens, notamment en temps de guerre et de régime totalitaire. Aujourd’hui, même si la liberté d’expression est loin d’être parfaite, les citoyens ont repris plus ou moins possession de leurs villes, pour justement s’adresser au pouvoir en place. En Occident, du moins. Avec l’apparition du graffiti dans les années 1980, l’art est devenu un outil de contestation pour des personnes lambdas. D’un « fuck le FN » au collage « Hope » de Shepard Fairey, les rues sont devenues un vrai terrain d’expression.
Après avoir visionné Art War, documentaire qui suit des artistes égyptiens de la révolution de 2011 à 2013, on s’est demandé comment était la situation en Grèce, quelques jours après la fermeture des banques. Cet été, il suffisait d’ouvrir n’importe quel journal pour lire sur le Grexit, la démission du premier ministre et la dette. Mais qu’en était-il des artistes ? La crise grecque a-t-elle bouleversée le paysage artistique athéniens ? Comment utiliser le graffiti en période de tensions ? Nous sommes donc partis à Athènes à la rencontre d’Andreas C Tsourapas, artiste et co-fondateur du Athens Street Art Festival.
« Germany we still love you » vs croix gammées
Après l’image que nous avait dépeint les médias de la Grèce en crise, des émeutes et d’un gouvernement à bout, on se préparer à débarquer en zone de guerre. À peine un pied posé sur le sol athéniens, on se laisse prendre dans la foule de touristes et de locaux en route pour les plus grandes terrasses de la ville et autres marchés nocturnes. À première vue, aucun signe de crise et d’endettement extrême. Toute la semaine, qu’importe l’heure, restaurants et cafés ne désemplissent pas. Les Grecs sont souriants et chaleureux, la crise semble loin.
Pourtant, quand on regarde les murs de la ville, c’est autre chose. Le quartier piéton et commercial, Monastiraki-Syntagma, qui mène au Parlement, est sans grande surprise recouvert d’attaques à l’encontre des pressions européennes. Des « OXI » (le fameux « non ») à chaque coins de rues côtoient des messages plus ou moins radicaux à l’encontre d’Angela Merkel. Certains « Germany we still love you » nous aurons décroché un sourire, contrairement aux croix gammées, peu pertinentes. Le vandalisme en centre-ville n’a rien de vraiment inhabituel ; une fois les magasins fermés, leurs stores dévoilent des fresques réalisées par les artistes locaux, parfois à l’image du commerce, d’autres plus à l’image du patrimoine culturel grec.
C’est surtout en allant vers d’autres quartiers plus résidentiels qu’on a vraiment été surpris. Les graffitis ne s’arrêtent pas aux délimitations du centre-ville, les quartiers touristiques jouent le parfait équilibre entre vestiges antiques et graffiti, notamment le long de la voie de métro, où des trains complètements vandalisés apportent une touche contemporaine et colorée aux temples en pierre blanche. Le quartier le plus impressionnant est sans doute le très contestataire district Exarcheia. Des grilles de l’école aux immeubles d’habitations et cabinets professionnels, toutes les surfaces de ce berceau de l’école Polytechnique et des principales universités sont recouvertes d’art urbain : vandalisme, collage, murales, panneau anti-europe. Aujourd’hui trop souvent commercialisé et extrait de son contexte premier, cet art vit ici un véritable retour aux sources.
En voyant tout ces graffitis, la question de la légalisation du « street art » (on a toujours du mal avec le concept) se pose évidemment. « Athènes, c’est le nouveau Berlin », nous explique Andreas C Tsourapas. Entre l’acceptation de la part de la population, la dépression générale à l’origine d’un sentiment d’abandon autant part les citoyens que les autorités, le graffiti se la coule douce à Athènes où personne ne craint de se faire amender ni arrêter. Alors que pour certains, il reste un moyen de contestation, pour d’autres il demeure « une machine à like sur les réseaux sociaux », se désole Tsourapas. Malgré la situation économique du pays, la Grèce n’échappe pas à la commercialisation de son art urbain et même s’il reste difficile pour les artistes de vivre de leur art suite aux restrictions budgétaires, les « street artistes » réinventent leur identité visuelle dans le marchandising : t-shirts, toys, commandites de murales… Alors que les graffiteurs restent plus dans l’esprit de contestation que de commercialisation.
« La scène graffiti à Athènes est la même qu’avant la crise »
Si les conditions de vies des artistes sont difficiles en période de crise, les événements culturels comme des festivals ne sont pas épargnés par le climat actuel. Tsourapas a fondé l’ASAF (Athens Street Art Festival) en 2010, quand son pays connaissait déjà les débuts de la crise. Alors que les trois premières éditions de son festival se sont concentrées autour de la situation économique, l’ASAF, qui ne bénéficie d’aucune aide gouvernementale, est aujourd’hui un événement qui vit à l’année. Pour continuer de fonctionner, Tsourapas a dû se résoudre à travailler avec des galeries commerciales dans le but de pouvoir intervenir gratuitement dans des écoles, proposer des événements gratuits et accueillir des artistes étrangers. De ce point de vue, la commercialisation peut avoir du bon : elle a ainsi permis au festival de peindre l’équivalent de 16 250 mètres carrés de murs. À croire que l’austérité n’est pas forcément un frein à l’offre culturelle. « La scène graffiti à Athènes est la même maintenant qu’avant la crise. Les artistes critiquaient la société de consommation, l’aliénation de la population par la publicité… Le street art reflète le moment présent. Aujourd’hui, il y a peut-être plus de gens qui questionnent et contestent, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient conscient des conséquences de leurs actions. »
L’austérité aura rendu la vie des artistes difficiles, mais les aura aussi poussé à se diversifier pour vivre de leur art. Les pochoiristes, colleurs et graffiteurs n’ont finalement pas tant subit les conséquences de la crise, puisque le « street art » a connu un essor international en même temps que la crise gagnait la Grèce. La situation économique aura surtout éveillée la conscience politique et contestataire chez les jeunes Grecs qui utilisent la rue comme défouloir où l’Europe n’est plus uniquement dans tous les esprits. Elle est aussi sur tous les murs.