Quand il ne s’entraîne pas au tir au pigeon dans nos locaux, Jean-Pierre Elkalash nous livre des éditos sanglants qui font rarement dans la dentelle. Les rafales de son calibre n’engagent que lui. Comme Chuck Norris, il sait où il met les pieds, et c’est souvent dans la gueule. Que le monde se tienne à carreau.
Alors que j’aiguisais ma plume au large de Bali – façon très Abd Al Malikienne de dire que je n’en branle plus une depuis que SURL me paye rubis sur ongle une retraite bien méritée –, les deux co-rédacteurs en chef du plus turgescent organe de presse hip-hop français faisaient vibrer mon iPhone. « Yo Jipé, oui ça fait près d’un an qu’on ne t’a pas sonné, mais on a une urgence en France avec la Police. Il faut que tu reprennes du service. »
Je pose mon Long Island Bourbon/Ice Tea, remets la main sur mes identifiants Facebook et parcours frénétiquement mon news feed, musée des horreurs 2.0 dont je m’étais éloigné par souci de préserver ma santé mentale. Avec surprise, je tombe sur l’atrocité vécue par Théo face à nos forces du désordre. Evidemment, le temps que j’empoigne ma sulfateuse Pilot V5 à double chargeur, de nouveaux éléments s’empilaient sur mon mur d’actualité avec la même régularité que Penelope enchaînant les emplois fictifs. Ici, un rapport de la Police des Polices écartant la thèse du viol pour celle du « geste professionnel mal maîtrisé ». Là, un communiqué du Syndicat d’obédience nationaliste Alliance prônant l’accident. Enfin, le « Finish him » : un représentant syndiqué de la Police Nationale, du nom de Luc Poignant, avançant sereinement à une heure de grande écoute que l’insulte « bamboula » proférée à l’encontre de Théo par les quatre policiers était « convenable ». Je te l’avoue mamène, je fus plus choqué qu’un membre du FN à qui l’on apprend qu’il est immigré.
« Bamboula » ? Sérieusement? En 2017 ? Il y a deux erreurs à ne pas commettre en parlant de racisme : le voir partout et dire qu’il n’existe nulle part. Mais revenons à cette terminologie et comment il appartient à un blanc de classe moyenne d’une soixantaine d’années d’ériger ce qui est du domaine du convenable. Est-il convenable de dire, pour inverser l’exemple, que tous les policiers sont des fils de catin ? Je ne suis pas anti-flics, j’ai moi-même un ami policier. Je le sors d’ailleurs de temps en temps pour qu’il voit la lumière du jour et qu’il fasse ses besoins. Car quand j’entends le mot « Police », je ne sors pas mon revolver mais mon imagination. J’imagine une bande mecs lourdauds, cloîtrés dans l’obscurité d’un car sans climatisation et dissertant sur la biographie de Laurent Gerra. Comme quoi, les clichés ont la vie dure. En tout cas, cette bonne vieille France à l’humour jovial un peu raciste m’avait manqué. Une France championne d’Europe des comédies lourdingues, des bavures policières et de la consommation d’antidépresseurs. Y’aurait il d’ailleurs un lien de cause à effet à explorer ? Je me pose la question : sommes nous aussi désespérés pour hériter de procédures d’arrestations dont le scénario pourrait avoir été écrit par Florent Philippot un soir de cuite ? Et puis, qu’est ce qui est venu en premier ? La haine anti-flics ou les bavures ?
Qui s’étonne encore que notre confiance en la police se soit mis à la plongée sous marine depuis des années, sombrant dans des profondeurs abyssales pour ne refaire surface qu’à la faveur d’événements dramatiques comme les attentats récents ? Ce serait évidemment bien malhonnête de mettre tous les flics dans le même panier de crabes, tout en étant bien contents de voir surgir leur képi à la moindre menace terroriste. Sauf que, si ma mémoire ne me trompe pas, depuis un certain mois d’octobre 61, la Police française a tendance à outrepasser ses droits, allant jusqu’à offrir des cours de natation peu orthodoxes. S’en est suivi plusieurs décennies et toujours le même constat : entre les flics et la jeunesse des quartiers se joue désormais un dialogue de sourds, ou plus précisément une partie de Mikado entre parkinsoniens vêtus de moufles. Pas facile pour nager en eaux troubles, on en conviendra.
Je m’interroge, chère Police. Cherches-tu à jeter encore un peu plus d’huile sur un feu déjà bien entamé ? Quitte à transformer les cités en un grand barbecue à ciel ouvert par dessus du quel Marine Le Pen sauterait dans un Fosbury triomphateur ?
J’entends déjà geindre la classe moyenne cisgenre blanche : « Ouais mais il l’a peut être cherché. » Ou au contraire : « C’est fou, il n’avait rien fait. » Des jérémiades qui me donnent envie de vous fouetter la gueule du bout de ma Stan Smith, en mode mawashi geri. Soyons clairs, mes petits chatons : les cités n’ont jamais servi d’antichambre à un prix Nobel de Politesse, certes. Mais enfermer Théo dans un rôle de gentil renoi ou de caillera à capuche revient sans doute à vous branler sur YouPorn, en cliquant au préalable sur ces pubs pour se faire agrandir le pénis. C’est rassurant, mais ça reste aussi éloigné de la réalité qu’une éventuelle présence de la gauche au second tour.
Et puisque tout est question de libido et donc aussi de politique, je te pose la question ouvertement, ami policier : as-tu un problème avec ta virilité pour t’attaquer à celles des autres ? Freud verrait là un certain fantasme pas très hétéronormé, dis donc. Tu sais, quitte à jouer aussi sur la symbolique, je préfère définitivement quand on te nique, la Police.
En tout cas, la prochaine fois que te croiserai, j’espère avoir sur moi ma Carte Vitale.
En attendant, je te laisse, j’ai un cours d’auto défense à prendre.
Yolo quand même, you know.