« J’suis dégoutée, j’ai oublié ton bouquin. Je voulais que tu le dédicaces pour un pote. » À peine assise au fond de la salle du Cannibale Café, dans le 11e arrondissement de Paris, que Casey brise la glace entre elle et Virginie Despentes ; une glace qu’on imaginait plus mince encore que l’espérance de vie du PS.
Quelques mois plus tôt, on avait interpellé Viginie Despentes aux Quais du Polar, à Lyon. On avait parlé de rap, de son attente du dernier Booba et des fesses de Nicki Minaj, en lui proposant de l’interviewer plus tard. Elle avait évoqué son envie de rencontrer Casey. À les entendre finalement discuter par un après-midi de juin, on se dit qu’il y avait bel et bien une évidence à faire se croiser leurs chemins. Première partie d’un entretien fleuve autour de la féminité, du rap et des cornemuses de Philippe De Villiers.
SURL : Quelles perceptions vous avez l’une de l’autre ? Est-ce que vous connaissez vos travaux respectifs ?
Casey : C’est un pote qui m’a fait découvrir le travail de Virginie, parce qu’il est vraiment fan de ce qu’elle fait. Moi je ne connaissais pas, j’entendais parler de Virginie Despentes, mais je n’ai jamais vraiment eu la curiosité d’aller voir. Je l’ai découvert comme ça, c’est très récent et j’ai vraiment kiffé l’article des Inrocks suite aux attentats de Charlie hebdo. Au moment où tout le monde était Charlie, que ça vienne de ce côté là, d’une écrivaine et une réalisatrice en place. Et que tu puisses dire ça, ça m’a fait du bien. Que tu sois blanche aussi parce que ça compte dans ce que tu as dit. Je me suis dit bon, ça va, on est pas seuls. Parce que ça a été dur. Tu es une renoi, tu ne peux pas être Charlie, c’est mort, c’est exclu.
Virginie Despentes : Moi je connais le travail de Casey depuis longtemps, depuis “Hostile au stylo”. Je me disais en venant que depuis que je suis à Paris, au début des années 1990, j’entends parler de Casey. Je ne connais pas bien le hip-hop, notamment français, même si je sais qu’il n’y a pas tant de meufs que ça. Ensuite y a eu l’album Libérez la bête et le projet Zone Libre que j’ai vachement aimé. Avant de venir, je regardais le travail d’Asocial Club, dont j’apprécie le visuel. Que ce soit pour la performance, la voix ou pour les textes et l’attitude, il n’y a pas tellement d’artistes meufs qui sortent des trucs bien. Pour en revenir à Charlie, c’est vrai que j’ai eu pas mal de réactions négatives. C’était bizarre, parce que c’était souvent des gens qui…
Casey : …des gauchos qui ne savaient pas qu’ils étaient des enculés ?
VD : Ouais, plein de gens différents disons…
C’est qui Charlie au final alors ?
Casey : C’est ni toi ni moi. C’est un blanc de soixante piges, un raclo. Même si aujourd’hui j’ai envie d’être Charlie, j’peux pas… Même si dans le traitement médiatique ils t’ont montré des noirs, des musulmans qui donnaient des fleurs pour s’excuser. Ce qu’on s’est mangé en pleine gueule, c’était chaud ! Genre : « Vos congénères ont déconné. » Mais quoi, c’est deux rebeu qui ont pété les plombs… La France, c’est un pays hypocrite qui n’a pas de couilles. Réglez vos problèmes avec les rebeu qui vous ont tartiflé en Algérie, réglez votre problème avec les renois, mais arrêtez de louvoyer. Cet Islam qu’on commence à appeler « Islam de France », c’est un Islam qui t’emmerde, c’est tout. J’en connais plein qui portent une burqa comme une façon de dire : « Allez vous faire enculer. J’ai eu mes diplômes et ça n’a rien changé. Maintenant j’traîne en Airmax et en djellaba. »
Virginie, dans ton dernier livre tu fais dire à un de tes personnages : « Les arabes diplômés restent les bougnoules de la République. » Ça rejoint ce que dit Casey ?
VD : Ce que dit Casey c’est exactement ça. C’est vrai qu’en France on a un problème avec les rebeus et les renois qu’on formule jamais. L’extrême gauche aurait pu le formuler… J’ai été proche de l’extrême gauche dans les années 90, et c’est un sujet qui n’existait pas, tout comme le sexisme ou l’homophobie. On disait qu’on avait dépassé la notion de race mais on était toujours entre blancs. Quand la gauche revient au pouvoir, premièrement, ce qu’il aurait fallu, c’est annuler la loi sur le voile à l’école. Et là ça se fait pas, ça été une erreur historique. Il fallait tout revoir de fond en comble, et à partir du moment où ça se fait pas, on sait qu’on est dans la merde. Buisson, c’est fort ce qui nous est arrivé quand même. Même si ça faisait trente ans que c’était un bordel, là il s’est passé un truc. Quand tu vois les socialistes qui arrivent ensuite et qui sont très à l’aise avec tout ça, tu te dis qu’il y a un truc qui se passe.
Casey : Il y a eu un éclatement. Avant, t’étais de gauche, tu avais peut être ce patrimoine, ce prestige. L’histoire du socialisme en France, ce n’est pas rien. Maintenant, t’as qu’une bande de fils de pute vraiment d’accord avec ce qui se fait au CAC 40, et c’est tout. Sur le voile, sur le traitement des quartiers, sur l’immigration, ils sont à peu près d’accord. « Bon il faut faire quelque chose, mais quoi ? Un mur ? » En général, c’est la seule idée à la con que l’humanité peut avoir. Ben faites un mur en Espagne ! Toutes les conneries que j’ai entendues sous Sarko, je les entends là. La nation française doit se poser des questions sur ce qu’elle veut devenir. Elle a du mal à se remettre de la grandeur de son passé. La Hollande ou l’Espagne, par exemple, qui sont deux pays qui ont eu des colonies ou des comptoirs coloniaux, ils s’en sont à peu près remis. Et je trouve qu’en France on paye cher ce déclin. On est dans un merdier qu’il va falloir régler tous ensemble. Personne ne va se barrer, même si dans le plus grand des fantasmes Marine Le Pen est élue, on va affréter des camions à Porte de Bagnolet ? Pour renvoyer les gens où ? Personne ne va partir…
VD : Non seulement personne ne va partir, mais beaucoup de gens vont arriver. Et on ne va pas pouvoir bloquer la mer.
Casey : Va falloir faire une mise à jour, la famille. On pourrait être frères, pour moi Paris c’est New York. La France c’est le pays d’Europe où il y’a le plus de renois, de rebeus, de feujs, ça pourrait être les States, le nouveau Monde. Mais non.
« Tu es une renoi, tu ne peux pas être Charlie, c’est mort »
C’est possible de réconcilier l’histoire avec notre présent ?
Casey : Déjà, il faudrait que tous les vieux fils de putes cannent, que cette génération se barre… Honnêtement, il y a en France des gens comme De Villiers qui sont tellement archaïques que quand ils parlent t’entends les cornemuses et la chasse à cour. C’est comme la laïcité, on l’invoque depuis que les musulmans sont visibles, mais avant ça ne gênait personne le poisson le vendredi ou qu’on mette les drapeaux en berne à la mort du Pape. C’est aussi une histoire de qui maintient le pouvoir, et ceux qui l’ont ne veulent pas lâcher l’affaire. Je me dis qu’il n’ y’a que leur mort.
VD : En même temps, avec Sarkozy qui est beaucoup moins archaïque que De Villiers, on se confronte à un autre problème. Moi je crois au renouvellement de la classe politique, quand je vois ce qui se passe en Espagne.
Casey : Il y a aussi plein de gens qui se sentent exclus du champ politique et qui l’embrassent, je le vois dans mon quartier avec les associations qui militent. Il y’a des nouvelles têtes, des pensées bien plus hybrides. Je suis pas que fataliste, il y’a des choses qui bougent aussi… mais on vit dans un pays profondément raciste.
VD : Si ce n’était pas le cas, Marine Le Pen ne ferait pas le score qu’elle fait. Le vote Front National qui ne serait pas un vote raciste, je n’y crois pas du tout. C’est un vote actif de gens qui savent ce qu’ils font.
Casey : Mon vrai problème, c’est ceux qui nous gouvernent, or le FN n’a jamais accédé encore à la gouvernance. Ils n’ont pas le pouvoir de changer les lois, et Sarkozy l’a fait bien plus que n’importe qui. Quand je dis ça, j’énerve les gauchos qui me disent « tu fais le jeu du FN », mais si le FN passe, qui est-ce qui a un problème ? C’est moi ! Les gens ont le droit de voter ce qu’ils veulent, mais le vrai problème c’est que la ligne de démarcation est devenue floue en quelques années. T’entends les gens de gauche dire des trucs de ouf.
Comme quand les médias parlent de guerre de civilisation ?
Casey : C’est délirant ça. Et quand on a envahi l’Amérique, quand les Européens se refilaient des plans pour piller des continents, ce n’était pas un choc des civilisations ?
VD : Ça continue, quand tu regardes la Syrie, l’Irak, c’est plutôt l’Occident qui vient faire la guerre. On se dit « pourquoi ils nous en veulent ? », mais quand tu regardes le passé c’est exactement la même chose.
Casey : Voilà, on a vu ce que ça donnait, la civilisation, merci. Si c’est ça, on peut lui faire la guerre ouais (rires). C’est absurde.
Vous parlez de burqa, de contestation. Virginie, dans Vernon Subutex, tu écris : « Les choses ont changé, avant si on voulait changer le monde on faisait du X. De nos jours, il suffit de porter le voile. »
VD : Franchement, on a grandi dans une France avec plein de rebeus et de renois dans les années 80, on ne savait pas que quarante ans plus tard on se prendrait le mur tous un par un. Cette génération là, ils ont mangé. Tu sais, on était pas naïfs. Aujourd’hui on nous dit qu’on était des imbéciles, non, c’est juste qu’on savait pas. C’était différent.
Casey : Tout s’est délité depuis 2001 et les attentats à New-York. En France tout le monde a commencé à se lâcher. Avant il y avait déjà des musulmans, il y avait les mosquées, mais elles faisaient pas salle comble comme maintenant. Tout ce qui s’est dit sur les musulmans depuis, franchement c’est chaud. Même moi tu vois, j’en rigole avec toi là, mais rien que pour faire chier parfois j’ai envie de me convertir (rires). Je vois dans mon quartier, il y a deux trois Dark Vador, elles sont là et c’est tout. Mais tu sais c’est un truc genre “on vous encule”. Et la France n’est pas capable de voir que c’est aussi comme une histoire d’amour déçue. Parce prendre toute cette énergie à enculer la France, ça veut bien dire que t’y as cru à un moment donné. J’ai des potes rebeus, qui sont plus de ta génération Virginie, qui m’ont dit : « Tu sais en 1980, si pour s’intégrer il avait fallu manger du porc, on l’aurait fait !”
« Le vote Front National qui ne serait pas un vote raciste, je n’y crois pas du tout »
Vous croyez encore à un choc des classes ? Ça existe encore pour vous ?
Casey : Il n’y a pas que la classe, il y a la race, la sexualité. Quand tout se cumule, comment on fait ? Par exemple, je ne comprends pas les anti-racistes homophobes, ou les homosexuels sexistes ou au FN. Ça dépasse le problème de classe, des fois c’est un problème de tout ! Des fois t’es pauvre, t’es noir, t’es handicapé et t’es pédé (rires). Ça peut pas être binaire, c’est global.
VD : Il arrive qu’on ait des intérêts, des ennemis et des solutions en commun. Comme des murs mitoyens. Le fait que les gens de droite, ou des fois même de gauche, mettent la race en avant en disant « notre problème c’est les musulmans », c’est peut-être pour nous faire oublier que notre vrai problème, c’est le FMI.
Virginie, dans Vernon Subutex, tu décris le personnage d’Alex comme « un vrai fils de prolo, qui a peur du succès ». Tu dis même « c’était un homme qui avait honte, il appelait ça de l’intégrité ». Et toi Casey, tu écris : « Je ne ferai jamais médecine c’est que je ressens. » Quand on vient d’un milieu prolétaire et qu’on s’engage dans une voie artistique avec réussite, est-ce qu’on doit lutter contre une fatalité ?
VD : C’est déjà une chance d’avoir à lutter contre ça. Après, c’est vrai que c’est une charge, ça te change. Comme si tu accédais à un autre niveau dans le jeu auquel tu jouais, t’as des monstres un peu plus évolués. Ton intégrité, tu vas moins avoir à la défendre si personne veut t’acheter. Le succès pose la question du confort, qu’est ce que tu aurais à gagner en mentant un peu. Ça fait partie du jeu, pas que pour le rap. C’est aussi un exercice, une discipline. Tu ne demandes pas à Bruce Lee comment ça se passe dans sa cuisine. C’est un peu comme quand on demandait aux gens du porno que ça soit comme dans la vraie vie. Après, que le rap soit un art de prolo et se dépasse…
Casey : On s’interroge toujours sur l’argent du pauvre. Comme si tu avais traversé le fleuve pour arriver en face alors que tu n’étais pas prévu au voyage. Je n’ai pas de problème avec le succès ou l’éventuelle réussite, mais avec le système qui va avec. Il y a un jeu à jouer, une injonction à se présenter d’une certaine manière. Je suis trop marquée au fer rouge pour que l’oseille vienne calmer quoi que ce soit. On traîne tous des colis dans la tête et je te jure que c’est pas la thune ou la reconnaissance qui vont changer ça. Comme tu dis Virginie, ça vient questionner l’intégrité. C’est facile de te la raconter gangster ou authentique quand t’as vendu quatre mixtapes. C’est devant le chéquier que tu sais si tes couilles sont bien en place ou pas… Quand t’es dans la gueule du loup.
Vous êtes à l’abri de ça dans vos carrières ?
Casey : Moi je me suis tiré des balles dans le pied. Mais j’m’en fous, c’est le mien.
VD : En faisant quoi par exemple ?
Casey : Des approches de maisons de disques que j’ai refusées, des trucs intéressants. Mais j’suis parano aussi. Il suffit que le mec me parle chelou, que je sente de la condescendance, pour que ça soit mort. J’arrive pas à passer outre. Il y a des gens qui ont plus de sang froid, mais ce jeu là me saoule. Pour moi il est là le vrai succès : y arriver comme j’aurais choisi. C’est surement un truc romantique d’ado, une quête d’absolu qui m’anime.
VD : C’est une question que je me pose tout le temps… Sur les trucs de promo je me fais violence souvent. Et à la fois je sais pourquoi je le fais. Écrivain, c’est encore autre chose, je sais ce que ça change sur tes ventes de ne pas faire tel ou tel plateau télé. C’est ce que j’ai appris avec l’âge, c’est un jeu d’équilibriste. Après, j’adore rien foutre (rires). C’est une force chez moi, ça m’a fait dire non à plein de trucs. Du coup ça m’évite des conneries, quand on me propose des trucs pourris pour de l’argent. J’aime bien écrire des romans en ayant l’esprit le plus dégagé possible. Romancier, c’est différent de musicien, comme quand Casey tu viens faire un morceau à la télé. Moi je peux être ridicule sur un plateau, je suis un peu plus cachée si le roman est bon. En plus, être renoi et public en France, c’est encore autre chose. Le jour où je fais le papier pour Charlie Hebdo on me tape sur les doigts, mais si Casey le fait en ayant l’exposition médiatique que j’ai…
Casey : …bah tu risques vraiment quelque chose !
VD : Comme La Rumeur par exemple.
Casey : On est vulnérables, on peut te remettre à ta place. Quand t’es renoi et que tu viens de la téc’ et que tu fais du rap, on dirait que tu dois rassurer les gens. La construction du noir en France vieille de 500 ans fait que tu dois rassurer l’autre sur la peur qu’il a de toi… On aime bien Abd al Malik pour ça, il passe son temps à dire : « Vous voyez les renois derrière ? J’suis pas comme eux, moi, je mets des petites vestes en velours et j’adore Brel. » Je ne veux pas jouer ce jeu là. « Rassure nous et dis nous que t’adores Balzac. » Ben moi je lisais les X-Men.
VD : J’ai fait une interview commune avec Nekfeu pour les Inrocks, il y a quinze jours. Ça les fascine qu’il ait lu des livres. Il était harcelé de questions sur la littérature, parce le malheureux a dit une fois qu’il a lu quatre livres et qu’il aimait ça. Il a le droit d’aimer ça. Il y est pour rien, c’est pas de sa faute à lui.
Casey : Quand on en trouve un qui se tient bien à carreau, qui parle bien le français, sans haine, qui est là pour te vendre le truc… C’est ce qu’on aime dans l’espace public.
VD : Oui, mais pas qu’en France. Souviens toi quand Public Enemy est arrivé, tout de suite ce qui a été mis en avant c’est 2 Live Crew. Le rap politique à la Boogie Down Productions a disparu parce ce qu’on voulait, c’était des noirs avec des meufs à poil sur la plage.
« Si c’était très vendeur le féminisme, ça se saurait «
Tupac disait avoir une responsabilité quant à son rap. Kendrick Lamar a affirmé récemment avoir aussi cette vigilance. Est que vous vous sentez une responsabilité dans les thèmes que vous abordez ?
Casey : Ce n’est pas une histoire de responsabilité. J’essaie d’être honnête, voilà c’est tout. Le seul défaut de responsabilité, ce serait le jour où j’essaie d’être un peu mytho pour plaire, parce que ça m’arrange ou quoi. Je me sens pas de devoir être un exemple pour la jeunesse. Je me sens responsable de personne, vraiment pas.
VD : Ce que dit Casey, sur l’honnêteté et la sincérité je me dis aussi que c’est le plus important. Si je pense un truc qui fait chier, ben je vais le dire quand même. C’est la sincérité qui est importante pour moi, c’est ça qui donne de l’intérêt, c’est ce qui fait que ça peut être intéressant ou pas. Par contre, là où je me sens responsable et où je me freine, c’est quand dans mon bouquin je mets dans la bouche de mes personnages des monologues racistes. C’est facile d’y aller franco, d’être méchant, j’aime bien ce qui est crasseux, mais si parfois si je vais trop loin je me dis « c’est bon ça suffit là ».
Virginie, à notre première rencontre tu as aussi bien évoqué le coming out de Franck Ocean que le fait d’écouter Kaaris, ou d’attendre le prochain Booba avec impatience. À propos de ce rap, comment vous voyez ces esthétiques hyper viriles ?
Casey : Tu vois Booba, Kaaris, on pourrait en parler des années pour savoir si on aime ou pas. C’est clair que c’est des fantasmes, il faut que ces gens là existent. Les mecs ils veulent des grosses fesses, des armes, des gros muscles. Qui plébiscite ce rap ? Qui en fait la promotion ? Et bien il faut regarder qui il y a derrière. La plupart des mecs, c’est des bourgeois blindés et des petits blancs ! Ce rap là, il est aussi utile. Tu sais, il y a plein de genres de peura en France, mais si c’est celui qu’on signe, c’est pas anodin. Si des rappeurs parlent de se tirer dessus pour des histoires de coco ou de teuchi, ou de baiser la meuf de l’autre, à un moment t’es pas en train de parler de gouvernement, de la police. Ça arrange tout le monde.
VD : Je suis d’accord mais Booba, si mes souvenirs sont bons, au tout début il est auto-produit, c’est lui tout seul qui se fait. J’avais 30 ans à l’époque, je me souviens bien : tout le monde est surpris. C’est aussi ce qu’on veut du hip-hop je crois. Regarde le gangsta rap aux Etats-Unis, ça peut ressembler à un truc de gros crétins mais quand tu rencontres les gars tu dois être très surpris. Là où tu as raison, c’est que ça répond aussi à un fantasme, vu que c’est des blancs qui ont plébiscité, c’est aussi l’idée qu’on se fait du négro méchant. Ça représente quelque chose qu’on aimerait bien incarner.
Casey : Toutes les semaines dans les maisons de disques, il doit y avoir plein de disques différents qui arrivent. Mais comme par hasard c’est toujours les mêmes qui sortent. Qu’est-ce que cette forme de fascination malsaine ? C’est comme si tout le monde était dans le film « Les Princes de la Ville ».
VD : C’est vrai pour toutes les musiques. Nirvana, ce qu’on aimait c’est qu’ils soient drogués. C’est vrai pour les blancs qui font du rock, on aime bien qu’ils meurent jeune, on veut qu’ils aient une vie trash, qu’ils meurent dans leur vomi… Toi tu le vivras pas parce que t’es tranquille mais tu les regarde vivre, s’exploser.
Et des artistes comme Beyoncé, Iggy Azeala ou Nicki Minaj, qui utilisent les codes sexistes de l’industrie musicale. Est-ce qu’il peut y avoir une revendication dans le fait d’inverser les codes sexistes ? Ou est ce que c’est juste un moyen pour elles de faire le buzz ?
VD : Il y a eu toute une polémique aux Etats-Unis concernant les vidéos de Beyoncé, certaines féministes se sont exprimées pour s’opposer à elle. Je pense que Beyoncé n’a pas besoin de parler de féminisme pour vendre des disques, or elle le fait. Elle bosse avec des productrices, avec des musiciennes, elle lutte contre les violences faites aux femmes, elle fait son truc. Si elle le fait, c’est pas un truc marketing. Si c’était très vendeur le féminisme, ça se saurait. Pour l’instant on n’a pas vendu grand chose avec ça. Elle le fait vraiment et c’est pas pour vendre plus.
Casey : Elles ont le droit d’être les meufs qu’elles veulent. Elles peuvent être supra-chiffonnes, comme supra féminines, comme s’en foutre. Elles sont qui elles veulent.
VD : C’est compliqué pour Nicki Minaj, je l’aime bien, je les aime bien toutes. Bon elles ne me font pas pitié, tu vois, elles font leur boulot d’artiste, c’est des artistes avec une image, qui montrent leur corps. Ce qui est chiant c’est que tu ne peux pas trouver une interprète féminine américaine contemporaine qui ne montre pas son cul.
« c’est une fois que le monde s’est assis sur ta gueule que tu peux le juger »
Casey, tu te réclames comme « un bordel hybride » dans le morceau « Mes doutes”, où tu envoies valser les clichés de la féminité .
Casey : C’est ma réalité, on me prend plus pour un gars que pour une meuf. Chacun est ce qu’il veut, je n’ai pas de réponse là dessus. C’est le sexe social, quoi. Si tu ne te sens pas concernée par le rouge à lèvres… Un sac à main j’sais même pas ce qu’on fout la dedans ! Pour moi c’est simple. C’est pour les autres que c’est compliqué, ce qui fait que mon rapport au monde, il est casse couilles des fois. Devoir justifier comment je suis. Ce que demande l’humanité aux hommes ou aux femmes change tout le temps en plus. Il y a cinquante ans, si t’étais un gars avec des boucles d’oreille t’étais le pire des pédés, aujourd’hui t’es le top du métro sexuel, le hipster à la pointe. Ça n’a pas de sens, donc j’ai décidé de m’en foutre.
Est ce que vous pensez qu’on va pouvoir se détacher de ces questions de genre, notamment avec des artistes gays comme Zebra Kat ou Young Thug qui met de temps à autre des sapes de femmes ?
Casey : Non mais le hip-hop se la raconte macho mais la réalité c’est que les gays ont ramené plein de trucs. Depuis la nuit des temps ils ont ramené des trucs dans le peura. Des styles, des sons…
La frontière des genres bouge alors ?
Casey : Je ne sais pas, en tout cas moi j’aime que les hybrides. Je ne me sens à l’aise qu’avec les freaks, c’est là que je suis bien. C’est dans le plus obscur, dans la marge qu’il se passe des trucs intéressants. Donc oui, les choses elles vont changer. Tu sais, il y aura toujours des écorchés, et c’est à partir d’eux que les choses se passent, parce que leur vision du monde est la plus précise, la plus réelle. C’est une fois que le monde s’est assis sur ta gueule que tu peux le juger.