Ab-Soul fait partie de cette génération de nouveaux lascars du hip-hop qui pratiquent un rap crasseux et malsain. Certes, pas autant qu’A$AP Rocky qui culmine dans cette discipline, mais quand même. Accompagné de ses 3 collègues – Schoolboy Q, Kendrick Lamar et Jay Rock – avec qui il forme le groupe au très fort potentiel Black Hippy, Ab-Soul largue son premier album solo : Control System. Pochette mystique qui représente les dix Sephiroth – les puissances divines – dans la Kabbale sous forme d’arbre de vie avec le logo de l’artiste en éventuelle 11ème puissance. Un peu perché comme délire mais louons l’initiative novatrice.
Être le dernier membre du Black Hippy à sortir son album c’est clairement un coup de pression supplémentaire. Passer après Kendrick Lamar et son opus Section.80, il faut le faire. Et justement, Control System passe très bien. Tout d’abord car comme ses prédécesseurs, Ab-Soul a son côté gangsta. Attention je n’évoque pas ici le pitre 50 Cent qui en apparence fait le gangster. Je parle d’un côté gangsta bien plus crédible que l’on retrouve sur certains tracks endiablés, « Track Two » par exemple. Musique répétitive, rythme captivant, dès le second morceau le MC pose ses cojones. Dans le même genre – mais en mieux – on retrouve le plus insane des rappeurs : Danny Brown en featuring sur « Terrorist Threats », un morceau dont la production effrayante est à la limite du morbide. Et pourtant c’est tout simplement le meilleur titre du LP. Les textes sont forts et Ab-Soul ne semble pas être dupe « Dear Barack/ I know you just a puppet but I’m giving you props/ You lying to the public like it ain’t nothing ». En plus le clip est tout frais, il est sorti hier soir. Mention spéciale pour le morceau « Pineal Gland » qui en français donnerait Glande Pinéale, si ça c’est pas la classe. Quoiqu’il en soit le MC en a fait un single ainsi qu’une vidéo bien…enfumée. Le beat produit par Taebeast des Digi+Phonics est tellement lourd que l’on ne pouvait pas s’attendre à autre chose. De plus Schoolboy Q réalise une belle prestation sur « SOPA » qui reste dans la même veine que les sons évoqués auparavant. Le disque se conclut sur un remix pas mauvais de « Black Lip Bastard » où les 4 cavaliers du crew Black Hippy viennent poser un couplet. Pour la petite histoire, Black Lip Bastard est l’un des surnoms d’Ab-Soul parce qu’il fut marqué à 10 ans par le syndrome de Steven Johnson – une maladie orpheline vraiment pas fun – qui fit tomber la peau de ses lèvres. Celle-ci repoussa plus noire qu’avant, d’ou le Black Lip Bastard.
Le second visage de l’album permet non seulement de ne pas se renfermer dans un style uniquement gansgta mais également de présenter une autre personnalité du rappeur. Plus posé, plus cool, plus soul. Une influence Kendrick Lamar ? C’est assuré. Cette polyvalence, on l’apprécie très fortement sur des tracks comme « Lust Demons», « Mixed Emotion » ou encore « Illuminate ». A noter le doux single clipé « Empathy » – parfait pour se lever – featuring la défunte copine du MC Alori Joh, décédée en février dernier à l’âge de 25 ans… Un coup dur pour l’artiste qui sur l’avant-dernière chanson « The Book of Soul » rappe sur sa jeunesse difficile, son amour pour Alori et la grande tristesse vécue après son décès. L’hommage est magnifique, tout comme la production jazzy qui vient sampler « Moondance » de Bobby McFerrin. Je vous conseille vivement d’aller lire les lyrics qui sont naturellement chargés en émotion « Seven whole years, seven whole years/ It was supposed to end with our grandkids » ou encore « I guess the Mayans wasn’t lying/ 2012 my world ended/ You used to say that I could see the future/ You was wrong cuz you was in it ». A part ça, Kanye West se retrouve souvent samplé dans certaines prods. Par exemple sur « Double Standards », Sounwave des Digi+Phonics reprend un court extrait de « Power », ainsi que la rythmique du titre « It’s Your Thing » de Cold Grits que Yeezy avait déjà utilisé pour « Crack Music » en 2005. Un autre exemple ? Sur « Nothing’s Something » c’est « Addiction » de Kanye qui est repris. Cette semi-influence ne semble se trouver que dans les samples puisque les deux MC n’ont vraiment rien en commun. Pour finir, retenez l’excellent « Beautiful Death » feat Punch et Ashtrobot qui témoigne parfaitement de la pluralité stylistique dont Ab-Soul fait preuve.
En conclusion, je dirais que Ab-Soul n’a pas à rougir de son Control System qui vient se placer au même niveau que le LP de Kendrick Lamar. Imprégné d’une histoire forte ainsi que d’un contexte extérieur troublant, ce disque ne pouvait qu’être bon. Les productions sont bonnes et voguent entre deux types de rap qui paraissent largement maîtrisés. En tout cas le collectif Black Hippy – les nouveaux N.W.A. ? – semble prometteur et nul doute que sur Surl nous continuerons à suivre leurs aventures. Dernier du groupe à sortir son projet, Ab-Soul s’en tire extrêmement bien. De toute façon, vous savez ce qu’on dit : toujours garder le meilleur pour la fin….
A écouter ici:
Par Sylvain Caillé