La gale, c’est ce truc insupportable que beaucoup de gens ont un jour eu dans leur vie, mais que personne n’avoue avoir eu. Le truc qui te colle à la peau, au sens propre du terme, en te poussant à te gratter frénétiquement les mollets comme un chien de poubelle. Au point de s’en irriter la chair, de la rendre rouge sang et de se demander ce que tu as bien pu faire pour mériter une sanction pareille.
L’album éponyme de La Gale, c’est peut-être ça au final : une sanction donnée par une suissesse à un rap français jugé trop mollasson. Oui, vous avez bien lu : une suissesse. La Gale est issue de cette espèce animale dont tu viens tout juste de connaître l’existence en regardant une émission sur la faune des abymes des océans, c’est cette carte super rare que t’espérais secrètement choper un achetant ton blister étant petit. Une rappeuse, et suisse qui plus est. Une sorte de Thabo Sefolosha en somme, dans son domaine.
[highlight] »Monstres à contre-sens dans des effluves d’essence / Puisque le veut la décence, on s’écrase pas devant l’offense. »[/highlight]
N’empêche qu’elle n’en est pas à son coup d’essai, et pour cause. Première note de l’album, première phase de l’artiste : « Nejma ?! », me dis-je. Quelques mois auparavant, j’avais été invité à la projection du film de La Rumeur, « De l’encre », et en avait particulièrement apprécié la bande son. Bien que (volontairement) calqué sur le flow d’Hamé, je n’étais franchement pas insensible à la manière avec laquelle le personnage principal du film, Nejma, donc, rappeuse de l’ombre, posait sur ses morceaux. C’est donc naturellement que quelques mots me suffirent pour faire le lien. Je l’attendais ce disque, l’album de « la rappeuse du film de La Rumeur », d’où l’attention particulière que j’y ai porté.
Dix titres durs, agressifs où l’artiste balance ses phases sur des productions mi-dubstep, mi-néo hip hop. Un genre nouveau de rap alternatif difficilement descriptible, mais ô combien saisissant. Avec « Trop de temps », La Gale introduit son propos en respectant cette méthodologie bien précise qu’on applique dans tous les lycées de France : « Trop de sous-littérature terrassable, à plat d’couture / Force est de constater que trop se perdent dans l’autocensure ». Comme ça, on est fixé : pas de chichi dans les « balles » de l’artiste, comme elle les appelle. Ceux qui craignent d’être secoué n’ont qu’à passer leur chemin.
Attention car, malgré tout, ce franc-parler affiché n’a pas que des bons côtés : on regrettera la trop parfaite homogénéité de l’album. Que ça soit au niveau des productions – qui déjà, dans le style, en rebuteront beaucoup – un poil trop similaires au final, ou dans les sujets abordés, on a franchement l’impression de n’écouter qu’un seul morceau à travers les dix titres de l’album. Alors certes, les amateurs du genre seront ravis mais je crains que les autres ne trouve l’ensemble trop monochrome. J’aurai personnellement aimé plus de différence, plus de diversité dans les thèmes abordés et dans les choix musicaux. Après, ayant entendu ce que la rappeuse avait à dire à travers les dix tracks jusqu’à la quasi symbiose, je conçois tout à fait qu’elle ne cherche pas à s’éloigner du sentier qu’elle a décidé d’emprunter pour satisfaire davantage d’amateurs de rap français. Se globaliser, c’est probablement ce qu’elle souhaite le moins.
[highlight] »Tu es né poussière, tu retourneras poussière / Les vautours chaque jour dévoreront tes viscères / Tu verras que rien, ne sert d’espérer en vain / La résignation pour toi est le plus court des chemins. »[/highlight]
Mais ce n’est pas ce qu’on lui demande. Des morceaux comme « La gueule de l’Emploi », « Fantômes froids » ou « Frontières » sont individuellement très bons mais il faut avouer qu’ils se ressemblent quand même beaucoup. Il en est de même pour « Passe ton chemin, fais ta vie », « Quand la justice… » ou encore « Comptez vos morts ». Chacun des sons cités est très, très bons mais l’un à la suite de l’autre, le tout à tendance à devenir pesant.
La Gale est un excellent album de rap français – milles excuses, de rap suisse. Le genre de truc que l’on vous conseille franchement, d’une part parce que tout ce qui fait progresser le genre musical du rap mérite de l’être, d’autre part parce qu’il n’y a pas assez de rappeuse de talent (Ladea, i see you) sur la scène francophone. L’originalité de La Gale prend racine dans la complexité des productions sur lesquelles elle tire ses « balles », sur le message nébuleux qu’elle cherche à transmettre et sur la particularité de son flow ; bien plus que de par sa nationalité ou son sexe. Qu’on se le dise une bonne fois pour toute.