[wide][/wide]
Trois ans après L’Arme de Paix, Oxmo Puccino revient avec Roi Sans Carrosse, nouvel album composé partiellement au Brésil. Oxmo Puccino, qui mieux que personne prenait plaisir à nous raconter des histoires, a finalement trouvé la sienne : lors d’un récent séjour en Amérique du Sud, on lui offre une guitare. Coup de foudre immédiat, fusion : avec elle il compose six chansons qu’il rapporte dans ses valises direction Paris, son Paris qu’il quitte pourtant si peu souvent. La suite de l’histoire, on la connait davantage. Oxmo compose la fin de son album en un temps record, et nous y voici, lundi 4 septembre, dans les locaux de son label Cinq7, prêts à découvrir le bijou.
Verdict : 11 titres qui s’écoutent d’une traite, d’une richesse et d’une singularité rare dans le monde du hip hop. Oxmo plane, au dessus du lot sans en avoir l’air, quelque part entre les nuages et les nuits sauvages de Copacabana, délicieusement serein et toujours à l’écoute d’une société qui a eu l’intelligence de ne pas lui tourner le dos.
Dès les premières notes du « Mal que je n’ai pas fait », une image : Oxmo le parrain s’installe tranquillement dans son fauteuil, rit, plume à la main, prêt à en découdre avec la langue française pendant 45 minutes. Autour d’un thème simple, la relativité du bien, le Black Mafioso signe un texte impeccable, simplement beau, enlevé, et au final bien nécessaire. « Je suis heureux, du mal que je n’ai pas fait » nous dit-il. Nous aussi.
« Artiste c’est pas difficile, on essaye de faire un pull avec 10 ficelles« , enchaîne ensuite Oxmo. Difficile, en revanche, d’y croire. S’il doit y avoir un morceau au dessus sur ce Roi Sans Carosse, « Artiste » l’est assurément. Tout est maitrisé en permanence : contenu, shéma de rimes, punchlines, diction, vocabulaire, débit, technique, rythme ; Oxmo, sur un morceau drôle et sans apparente prétention, s’envole très haut et balaye les trois quarts du paysage rap hexagonal. Classic shit.
« Parfois » – on commence sceptique, on ressort séduit. La encore, la technique Oxmo se révèle être d’une richesse presque effrayante. Les variations de cadences permanentes, des chants sur le refrains aux arrêts saccadés viennent faire s’agiter un morceau qui promettait pourtant d’aller puiser ses forces ailleurs que dans son relief. « Aujourd’hui on peut tous s’asseoir dans le bus » se réjouit-il. Ma place, je lui laisse tous les jours.
« Pam Pa Nam » – donc, en fait, qu’on m’explique là, c’est pas Oxmo, c’est Jacques Brel? C’est « l’Amsterdam » du rap ce morceau ? C’est « La Mélodie du Bonheur du rap » ? Comment arrive-t-il à placer son « agrippés aux ailes des bateaux mouches, dans les parcs on pique-nique en chantant » en fin de couplet sans avoir l’air ridicule ?! Beaucoup de questions après les trois premiers morceaux, mais une certitude : Oxmo est bien en haut sur le podium, et il n’est pas prêt de le quitter.
« Le Vide en Soi », dans le sillon de « l’Enfant Seul », ôde acoustique déchirante de 2’20 » sur la mort et la relativité des sentiments et, plus largement, de l’existence, fait preuve de la même justesse : « la douleur des jours de tristes costumes, qui nous rappelle qu’on aime qu’à titre posthume » et de la même profondeur, hantée par une prose triste et désarmée. Sensible, touchant, et même pas loin d’être sublime.
Pour le reste, Oxmo sur la fin de l’album surfe sur les thèmes de l’époque : Il nous balance donc naturellement son track contre les détracteurs du rap actuel, avec un regard amusé mais surtout moqueur. Ca s’appelle « Les Gens de 72 », et il se positionne donc de manière très claire dans un débat qui sera probablement très bientôt clôt : « Retourne en 72 si t’étais bien là bas, le futur te dégoute ? Mais le présent il est là« . Puis son track « pour tous les pères au foyer » : « Un An Moins le Quart ». Plus dispensable, mais qui a le mérite de bien ancrer Oxmo dans une modernité à laquelle il n’a jamais cesser d’appartenir. Moins incisif que le « Papa » de Triptik, il est surtout là pour nous rappeler non sans nostalgie que le Oxmo du « Mensongeur » est désormais bien loin, quelque part dans les années 90 et que nous aussi. En écoutant « Un An Moins le Quart », on se revoit avec émotion mettre nos premiers CDs dans la chaine hifi et les écouter au walkman à la récré, quand le rap était légion, on se souvient et on se regarde dans la glace, heureux d’être encore là avec lui dix ans plus tard, d’avoir grandi avec et de continuer à l’aimer aujourd’hui.
Concrêtement, qu’est-ce qu’on retient de Roi Sans Carosse ? La richesse instrumentale (guitares sèches, superbes synthés sur « La Danse Couchée », inspirations africaines sur « Pam Pa Nam », mais aussi percutions, batterie, carillons et autres), la place accordé au chant, omniprésent sur l’album (« La Danse Couchée », « Roi Sans Carosse », etc.), la grande variété des thèmes, le choix des musiciens, là encore irréprochable (Vincent Ségal, Renaud Letang, Edouard Ardan), la courte durée des titres (la moitié n’excède pas trois minutes), et bien sûr les prouesses techniques d’Oxmo.
Le chant d’étude est vaste, et la délicatesse d’Oxmo sans limite. 8,5/10. Easy.