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Vendredi soir, 20h03. Je suis d’une humeur fracassante, et sens la soirée d’alcoolique en solo arrivée. Peu importe, je balance cette bombe de « Noir Désir » [ndlr, officiellement « Noir D**** » à cause du copyright par rapport au groupe homonyme] sur les grosses baffles de mon appartement lyonnais. J’en suis à peine à « L’enfer c’est les autres » que je décide de stopper tout ce que je suis en train de faire pour rédiger cette chronique qui me trotte dans l’esprit depuis une semaine.
Enfin diront certains. C’est tard, à peine cinq jours après sa sortie. C’est sûr qu’à côté d’autres sites, on est à la ramasse. LourdSon salue la « prise de risque », AllGlorious y voit l’album « d’un artiste qui se bat pour ne plus avoir à se battre », et j’en passe. D’autres y voit « un chef-d’oeuvre musical », et pousse l’éloge encore plus loin. No disrespect, mais on a préféré attendre ce vendredi soir pour placer notre humble analyse de l’album rap de l’année. Ce « chef-d’oeuvre », on l’a tous écouté. On a passé la semaine à l’écouter pour être totalement franc, dix, quinze fois, juste pour être sûr.
Au diable le buzz autour de sa sortie, au diable les embrouilles mâchées et remâchées avec Eric Zemmour, il reste maintenant à savoir si l’aspect musical est à la hauteur des attentes de milliers de néophytes qui voit en Youssoupha le véritable porte-parole d’un genre trop souvent décrié par ses propres acteurs. Déjà, avec « En noir & blanc », il nous avait permis d’attendre patiemment en nous donnant un os sur lequel mordre, et en nous laissant présager de bonnes choses quant à la sortie d’un véritable LP. Sacré risque tout de même, car créer l’attente c’est aussi ouvrir la porte à une déception relative ; sacré challenge en perspective.
Dés « L’amour », en célèbre kicker qu’il est, Youss’ pose les bases et s’auto-proclame « meilleur rappeur de France ». Aïe. Deuxième prise de risque, maintenant le MC n’a plus le choix, et il doit assumer. Mais le gosse de Kinshasa est clutch ; la pression c’est son truc. Le premier titre nous rappelle que la grosse caisse n’est pas un élément essentiel dans la construction de tout morceau de rap, et l’artiste qu’il est nous postillonne à la gueule avec son putain de cheveux sur la langue pour nous rappeler à quel point il est bon. Lui, il ne se cache derrière aucun micro, et il l’assume pleinement. Le rap, c’est mieux maintenant, c’est mieux quand c’est bien fait, c’est mieux quand c’est Youssoupha en gros. Petite dédicace à Disiz sur « J’ai changé », avant que « Menace de mort », titre phare de l’album, ne vienne nous rappeler qu’en plus d’être bon, Prims a le soutien des anciens.
Sur « Irréversible », l’homme balance sa haine, mais contrairement à d’autres, il sait l’articuler et la contrôler pour la retranscrire dans un message clair et incisif – « ça devient grave, est-ce que c’est vraiment la France que tu veux ? / boulevard Auriol des familles crament mais bon l’Etat n’y a vu que du feu ». C’est un peu ça en définitive Youssoupha, un mec qui fait du rap conscient avec un flow léché sur des prods agressivement originales, et qui donne finalement une définition de ce qu’on aimerait qualifier de « rap français ». En même temps, c’est pas comme s’il se cantonnait à un moule dans lequel toutes ses tracks étaient façonnées, et la diversité musicale de cet album finit par étonner pour plusieurs raisons : premièrement, que ça soit sur un son personnel comme « Les disques de mon père » où sur les commerciaux « Histoires vraies » et « Dreamin' », le bonhomme arrive à adapter son flow pour le rendre moins saignant et plus tout-sourire, et sans que ça fasse niais putain ! Ensuite, et alors que certains le voyaient comme un puriste allergique à tout ce qui dépasse le cadre d’un 16 et d’une caisse claire, il pose son flow sur d’autres genres musicaux et s’essaie même au dubstep sur le très, très bon « La vie est belle » [à l’instar d’Orelsan sur « Mauvaise idée »]. Mec, là ça devient dingue.
Et le pire dans cette histoire, c’est que le tout est homogène. Merde, il aura bien fallu une petite semaine pour écouter l’album rap de l’année, et une bonne semaine pour encaisser la claque qu’on vient de prendre. Le genre de gifle qui te reste sur la joue pendant longtemps, et dont tu caresses les effets sur ta peau maintenant irritée pour te forcer à réaliser que tu n’as pas rêvé. Putain, qu’est-ce que c’était bon.
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Point de vue de Florian Berger :
Le voila, le tant attendu Noir Désir est désormais disponible dans les disquaires de l’hexagone. Rarement un album de rap français n’avait suscité une telle attente. En 2009, on avait laissé le lyriciste bantou avec « Sur les chemins du retour », un album de qualité mais qui avait suscité une polémique avec le chroniqueur Eric Zemmour pour une raison que vous connaissez tous. Hasard du calendrier, Youssoupha perd son procès fin 2011 et sort son premier single de Noir Désir, « Menace de mort » qui critique les idéaux que l’on se fait sur le rap en France. Un son d’une rare intensité qui permet de lancer de la meilleure des manières la promotion de son troisième opus, celui de la raison.
Sur cet album, on sent que Prims a mûri et a mis tous les ingrédients nécessaires pour faire de « Noir Désir » un album référence. On est loin du hip hop dur au sens du terme, Youssoupha a fait un album éclectique pour également toucher des personnes qui ne sont pas attirées par cette culture. Le son « Les disques de mon père » en est le parfait exemple où il surprend avec une instrumentale qui sonne la rumba, et qui est un magnifique hommage à sa terre d’origine. Sans oublier « La vie est belle » avec un passage dubstep plutôt bien réussi.
Un album d’amour selon ses propres termes, tout en dénonçant les codes de la société actuelle, mais un album où il fait également sa propre autocritique de ces trente-deux années. On pense aux sons comme « L’enfer c’est les autres », « Irréversible » ou bien encore « Dreamin’ » avec la magnifique voix d’Indila en featuring. Youssoupha tient les rênes de l’album avec son label Bomayé où les principaux artistes en feauturing en sont issus, hormis sur « Histoires vraies » avec Corneille. Le plus de « Noir Désir » vient de ses« Gesteludes » qui sont des vraies surprises où le gesteur enflamme le micro avec une pluie de punchlines pour des freestyles de hautes volées. Promis je verrai les interludes différemment dorénavant.
Le plus grand gesteur de France nous concocte un album plein, rempli de sincérité et d’amour avec talent et la plume qu’on lui connaît. Une poésie urbaine qui marquera cette année 2012 et que l’on rangera dans les classiques du hip-hop français dans quelques années.
Et toi, tu as déjà entendu du rap français ?