Les élections américains du 8 novembre 2016 ont été annonciatrices de lendemains difficiles pour les communautés noires et hispaniques aux Etats-Unis. Barack Obama, premier président noir, donnera son siège du bureau ovale à un milliardaire septuagénaire xénophobe et sexiste, pro-arme, pro-vie, adoubé par le KKK, désavoué par son propre camp républicain et sans expérience du monde politique. Certains artistes, comme A Tribe Called Quest qui fait son grand retour, ont senti le vent tourner dans la mauvaise direction. Common, le vétéran de Chicago, ne faillit pas à l’appel et se dresse avec un onzième album plus soul et revendicatif que jamais.
Pas facile d’évoluer quand on est un rappeur qui a habitué son public à un certain type de son. Common, actif sur la scène depuis vingt ans en connait un rayon, lui qui à chaque fois qu’il s’éloigne de sa zone de confort, à savoir un rap mature mâtiné de samples de soul, la critique comme le public salue une initiative bien vaine. Son délirium hippie Electric Circus sorti en 2002, Universal Mind Control réalisé par les Neptunes en 2008, et il y a deux ans le déconcertant Nobody’s Smiling… que des avis mitigés sur ces changements d’habillages sonores. Comme si ton beau-frère aux airs de gendre idéal avait troqué son élégant costume pour un look grunge ou ultra-moulant fluo aux repas de Noël. N’est pas Prince qui veut.
C’est le choix d’un artiste de s’ouvrir vers d’autres directions, d’essayer de nouvelles choses. Ça se respecte, si c’est clairement assumé. La vraie raison de ces déceptions est peut-être que nous, auditeurs, nous sommes habitués à apprécier Common sur un type d’instru en particulier. Ses nombreux classiques reconnus ont créé chez nous comme un sceau mental entre sa voix, ses textes, ses engagements socio-politiques, avec des instrumentaux hip-hop/soul. Alors consécutivement à chaque déconvenue (si on peut appeler ça comme ça), le pionnier du rap Chicagoan rebondissait de plus belle en revenant à ses premières amours. Ainsi furent Be, produit par le salvateur Kane West en 2005, The Dreamer/ The Believer en 2011 entièrement réalisé par No ID, son acolyte des débuts … et maintenant ce magnifique Black America Again, re-mariage hip-hop/soul gonflé aux discours politisés inspirants, sur lequel sont venus se pencher de bonnes fées inspirantes une fois encore.
Ce onzième album studio est en effet principalement réalisé par un vieil ami de Common, Madlib et feu J Dilla : Karriem Riggins. Familier des spécialiste, le batteur/beatmaker est le maître d’oeuvre d’une matrice musicale conçue à la fois à partir d’échantillons de vinyles de soul/jazz (dont des compositions de Frank Dukes), d’instrumentations jazz live (comptant sur des musiciens reconnus et collaborateurs de longue date comme Roy Hargrove, James Poyser et Robert Glasper mais aussi Esperanza Spalding et le funkadélique George Clinton) et même de scratches maniés par l’expert J-Rocc (DJ officiel de la maison Stones Throw). Une proposition en droite lignée de l’héritage des Soulquarians, le super collectif néosoul dont fit partie Common, D’angelo, Questlove et Q-Tip entre autre. Dans l’assistance, de nombreuses personnalités sont venues insuffler un supplément d’âme à travers leurs voix, ce de manière quasi-omniprésente : Stevie Wonder, Marsha Ambrosius, Bilal, Tasha Cobbs, BJ The Chicago Kid, Syd tha Kid de The Internet PJ. En résulte un élégant habillage relativement vintage unifiant cinquante ans d’héritage hip-hop, soul et jazz.
Naturellement, le lien entre les récents événements dramatiques et violentes tensions au sein de la communauté afro-américaine, la fin du second mandat de Barack Obama et Black America Again fait sens. Quand des événements importants se produisent, les artistes concernés réagissent et s’en inspirent, se reconnectent à cette communauté et son passé, et y répondent par des messages et des poésies qui réaniment les esprits. On l’a bien vu avec To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar, LEMONADE de Beyoncé, et devant vos yeux ce nouveau millésime de Common, une cuvée qui a mûrement développé ses arômes dans des vieux fûts. Voilà la raison de l’existence de ce disque, en particulier du morceau-titre « Black America Again ». Common y évoque un cycle de combats qui se répète, faisant référence au mouvement #BlackLivesMatter, à la ville de Flint, l’appropriation culturelle, et regarde plus loin devant lui, vers le futur, pour une écrire une nouvelle histoire. En illustration, un monologue de James Brown, un croisement avec Public Enemy et Martin Luther King, et la voix du dernier grand artiste soul de la planète Stevie Wonder qui chante à la fin « we are rewriting Black America story ». Autre message fort, celui de « The Day Women Took Over » qui parle de la place de la femme l’équilibre des forces de ce monde, avec notamment cette rime « Beyoncé make the music for revolution ».
Le premier titre de Black America Again s’intitule « Joy and Peace », le début d’une quête vers le positivisme. L’amour est un des éléments centraux de Black America Again, comme le démontre le single néo-romantique « Lovestar », qui s’inscrit dans la lignée de « The Light » ou « Come Close ». Plus doucereux et posé, « Red Wine » (avec la si envoutante Syd) fait écho à la métaphore sur la cuvée millésimée plus haut, succulent. Toutes les choses incroyables et parfois irrationnelles que l’amour sous toutes ses formes peut nous pousser à faire sont décrites sur « Unfamiliar » (« the truth is a naked cloth »), quelques minutes où l’ont peut trouver une forme d’espérance et de la force pour agir. Cette force intérieure peut se transformer en énergie et John Legend la retranscrit à merveille sur « Rain », sur lequel Common apparaît presque comme un featuring. C’est également un album très introspectif, un processus pour trouver les réponses qui sont enfouies en lui. Il y a cet auto-portrait très intimiste, le downtempo soulful « A Picture Called Free », avec quelques souvenirs d’Erykah Badu. Plus nostalgique, son passé ressurgit en sepia sur « Little Chicago Boy » pour évoquer son père disparu, cet homme que l’on aimait écouter boucler les albums de son fiston par du spoken-word et qui fait ici une apparition post-mortem, une ultime fois. Comme on peut voir sur le visage de notre rappeur/acteur de 44 ans, Comm’ n’a pas pris une ride et son rap aussi, éternellement jeune et c’est une gigantesque claque qu’il nous colle avec « Pyramids » (qui incorpore la voix d’Ol’ Dirty Bastard), son « Started From the Bottom » à lui, avec un symbolisme qui donne davantage de hauteur.
La sortie de cette œuvre absolument pacifique coïncide évidemment avec la fin de huit années de présidence de Barack Obama. Des productions stratosphériques de Riggins, aux drums syncopés invoquant le fantôme de Dilla, Common trouve là l’écrin parfait pour déposer ce qu’il de meilleur en terme d’écriture. Il façonne ici le double idéal de son album le plus politique à ce jour : Like Hot Water for Chocolate. Fait de parti pris ciselés et de rage catalysée, cet album arrive pourtant à un mauvais moment, annonciateur de jours bien sombres aux Etats-Unis. Black America Again, plus que jamais.