Désolé, cher lecteur-trice, tu pensais que Snoop Dogg redonnerait vie au g-funk ? Oh comme tu m’émeus lorsque je vois perler des larmes d’espoir au coin de tes yeux sombres. Hélas, avec COOLAID, son quatorzième album, le longiligne chantre du gangsta rap nous a concocté une boisson bien indigeste. Retour à froid sur une livraison fade et tiède comme un mojito sans glaçons.
Ce n’était pas une promesse énoncée clairement, cependant le sous-entendu s’affichait devant nous comme une devanture en néon coloré qui s’allume par intermittence : avec COOLAID, ce bon vieux Snoop revenait en terre g-funk, celle de la grande ère Death Row. Dans un contexte actuel qui se prête effectivement à un retour aux sources du gangsta-rap californien – coucou YG & cie – Snoop Dogg avait une opportunité en or pour revenir régner en maître avec ce douxième, non treiz… hum quartorzième album studio. Hélas, on a eu beau retourner COOLAID dans tous les sens, il faut bien se résoudre à l’avouer : la superstar canine de Long Beach est à côté de ses Converse.
Déjà, ce n’est pas comme si c’était la première fois que Snoop Dogg tentait de réinventer la gangsta-funk depuis son indépendance prônée sur Paid Tha Cost To Be Da Bo$$ en 2002. Un peu comme Kenji Girac s’emparant de l’héritage manouche pour en faire de la merde n’importe quoi, Uncle Snoop peine à convaincre son auditoire. Il y a eu le plutôt lisse R&G The Masterpiece (2004) produit par les Neptunes, avec quelques tubes ensoleillés à la clef. Il y a eu Ego Trippin’ (2007) supervisé par Teddy Riley et DJ Quik, rendu partiellement indigeste à cause des incursions hyphy. Puis Tha Doggumentary (2011), son dernier vrai album solo en date, pas très rafraîchissant à cause de son aspect vintage. Après quoi, Snoop s’est éparpillé dans tout un tas de projets divers et variés, transitant du reggae – perdant au passage son rang canidé pour le pseudo félin Snoop Lion – à la funk postmoderne de Dam-Funk et l’EPépite 7 Days of Funk. Tout en gardant son flegme habituel faisant passer Doc Gynéco pour un gamin hyperactif. Merci la drogue. On ne comptera pas BUSH car Snoop ne rappe pas sur cet album produit par Pharrell Williams. Merci la Sacem. Récapitulons : si tu as bien suivi, COOLAID est en filiation directe avec Tha Doggumentary paru il y a cinq ans.
Quelques semaines en arrière, Snoop Dogg a réalisé un coup de com’ bien senti avec l’opération Return of Doggystyle, qui a consisté à balancer des inédits sur Soundcloud en guise d’apéritif dinatoire. Sauf qu’il parlait de son label, Doggystyle Records, et non pas de la préparation de son album. Malin, le chien. Son label a connu un gros succès à sa création vers 2000 en servant de niche pour Tha Eastsidaz et un trio féminin, les éphémères Doggy’s Angels d’où a émergé la chanteuse Latoyia Williams. Aujourd’hui il n’y a plus rien de rempli au planning des sorties mis à part quelques jeunes chiots récemment inscrits. Avec le gros retour de The Game et son The Documentary 2/2.5 et l’avènement de YG et sa clique, le contexte actuel se prête pourtant à un retour aux sources du gangsta-rap californien. L’été venant, sortons les claquettes FILA et les chaussettes montantes et voyons si Snoop nous a concocté un grand millésimé ou une piquette de Super U en nous remplissant un verre de COOLAID à ras-bord.
D’entrée, Snoop Dogg répond une nouvelle fois à la célèbre question ‘Who Am I?‘ par « Legend », ouverture glorieuse aux influences trap et un peu longuette à force de marquer des temps morts. Un track que l’on croirait écrit par son fils pétard Wiz Khalifa qui apparaît par deux fois sur l’album, notamment sur le single « Kush Ups » qui au-delà de son titre n’a absolument rien de transcendant. Heureusement, Just Blaze prend vite la main avec « Supercrip », rare titre vraiment gangsta ‘à l’ancienne’ mais rappelons que les Neptunes ont fait un poil mieux avec « Vato » et « 10 Lil’ Crips » sur Tha Blue Carpet Treatment (qui fête ses dix ans à la rentrée prochaine). Dommage que l’ex-producteur de Roc-A-Fella ne réalise pas avec « Revolution » un finish aussi mémorable que pour Doctors’s Advocate de The Game (« Why You Hate The Game ») ou Good Kid M.a.a.D. City de Kendrick Lamar (« Compton »).
Autrement, tonton Snoop se la régale avec une poignée de titres rétrofunky (« Oh Na Na Na », « Two Or More », « Feel About Snoop », « What If », « Double-Tap », etc.), mais là encore on attendait du mieux. On aurait préféré par exemple que DJ Quik, Dam-Funk et Madlib soient dans le coup. Le reste de l’album ressemble à une glace à l’eau mangue-passion fondue sur le bitume. Timbaland est totalement hors du coup avec « Got Those ». Idem pour Swizz Beatz qui déclarait en 2010 qu’il travaillait sur un Doggystyle 2, ce qui n’était pas forcément une bonne nouvelle. Et on avait bien raison de s’inquiéter car les trois instrumentaux qu’il produit (en prenant également la peine d’y incruster sa voix, histoire de prendre quelques droits d’auteurs) sont d’une fadeur sans nom. On est plus proche de la bouillabaisse réchauffée de l’avant-veille que de l’osso bucco milanais. Et au beau milieu de tout ça, Snoop a perdu les crocs, il est à la peine pour trouver un regain d’originalité. La prod de J Dilla utilisée pour « My Car » (que l’on retrouve sur son dernier album posthume The Diary) date de 2001… Pas de quoi faire filer une demi molle à ton cousin fan de Slum Village.
Sur cet album, les choix du cabot millionaire sont très discutables. Notre légende vieillissante a l’influence et les moyens de travailler avec le gratin de la scène Westcoast actuelle, les YG, Ty Dolla $ign, Kendrick, Anderson .Paak et consorts, ou bien même Dr Dre (qui l’avait appelé pour la soundtrack de Compton). Hé bien non, il s’évertue à collaborer, outre Wiz Khalifa, avec des vétérans de sa génération (les certes excellents Suga Free, Too Short, E-40 ou Daz Dillinger) ce qui ne déplaira peut-être pas aux fans qui se situent dans la tranche d’âge d’avoir un compte épargne et un pull saumon sur les épaules. Et ne demandez pas pourquoi il est allé chercher Trick Trick (qui se rappelle de ce rappeur de Motor City ?) sur « Affiliated », c’est à n’y rien comprendre. A croire que Snoop se prend pour la mission locale de Long Beach et cherche à refiler des jobs d’été à ses potes.
Pour nuancer, il faut bien reconnaître que les projets du D.O.double.G attirent toujours sur eux des attentes un peu folles. Comme une vieille carte postale trouvée au fond d’un tiroir une veille de déménagement, Snoop et son Doggystyle nous évoquent la nostalgie d’une époque révolue où le soleil était plus chaud, et la ride plus aisée. Oui, mais aujourd’hui Snoop Dogg a 45 ans. Il commente des documentaires animaliers, possède sa propre émission de télé et vend des vaporisateurs électroniques. On est loin du contexte de la création de son premier classique.
En résumé, cette boisson servie par Snoop est tiède et manque de vraies saveurs. Les glaçons ont fondu au milieu des arômes artificiels, laissant un arrière-goût de nostalgie. À titre personnel, j’ai écouté l’album en bord de mer – sur la côte ouest, par professionnalisme- et il m’a donné envie de noyer mon voisin de plage hollandais. Faites-vous à cette idée, répétez-le plusieurs fois à voix haute ou consultez s’il le faut : il n’y aura jamais de Doggystyle 2 ou une quelconque suite qui s’en inspire. Le flop commercial de COOLAID pour son démarrage est un argument en faveur de ceux qui pensent que ce bon vieux Snoop a perdu la cote comme la Livre Sterling post Brexit. Alors un conseil : si vous partez en vacances, optez pour le génial 7 Days of Funk pour agrémenter vos soirées barbecue. Ou sirotez à nouveau dans un plaisir coupable l’album BUSH, comme un bon vieux cocktail de funk-r&b tropical.