Six années d’absence n’auront pas suffi à entamer la ferveur des fans de CunninLynguists. Au contraire. Quand on s’est mis en tête de les programmer, on a ressenti un feedback tel qu’on s’est même demandé comment faisait le crew de Lexington pour entretenir la flamme à distance. Les voir sur scène nous aura éclairé sur la bonne humeur communicative de leur musique. Retour en photos sur un show sold out dont Lyon se souviendra longtemps.
« Je suis dégoûté. Je suis tellement fan du groupe que j’avais pris ma soirée pour les voir alors que je bosse de nuit. J’étais prêt à payer ma place deux fois le prix. » L’homme qui prend la parole devant le Ninkasi Kao a tout du bûcheron canadien. Pourtant, ses quasi deux mètres l’animent d’une déception enfantine devant l’annonce du concert à guichet fermé de CunninLynguists, le groupe auteur de cinq albums quasi tous cultes. Quand on a décidé, il y a quelques mois, de mettre un orteil dans le panier des crabes des organisateurs de concerts, on s’attendait à un shoot d’adrénaline et d’émotion. Mais pas forcément à laisser des gens sur le carreau.
Pourtant, l’homme sera chanceux. Par un de ces petits miracles de la vie, il tombe nez à nez avec Natti un des membres du groupe, en train de savourer une clope. Quelques tractations en anglais plus tard, le bûcheron est inscrit sur la guest list du groupe et pénètre dans la fournaise que s’apprête à devenir le Kao.
À l’intérieur, Sheisty Christ, colosse quarantenaire aux dreadlocks aussi larges que le sourire qu’il affiche sur scène, achève avec maestria de chauffer le mercure de la salle. Avant lui, Eddy Woogie des Bavoog Avers avait déjà entamé le processus. « Vous êtes prêts à recevoir l’un des meilleurs groupes de rap au monde ? » La formule semblerait un brin surcôtée, si l’on ne connaissait pas la réputation du combo sur scène. Ceux et celles qui avaient eu la chance d’assister à leur dernière crémation de planches six ans auparavant en gardent encore des séquelles. Et vu la réaction de la foule à l’annonce de Sheistey Christ, on comprend qu’elle semble d’ores et déjà conquise.
Passation de pouvoir. Les trois brûleurs de micro rentrent sur scène avec les automatismes et la complicité d’une team de basket. C’est le cinquième show sold out de leur tournée française, et ce soir les planètes ont l’air tellement alignées qu’elles tracent un sillon évident dans lequel viennent s’encastrer Deacon the Vilain, Kno et Natti. Enchaînant classique sur classique, dans un show millimétré mais laissant la place à la spontanéité, on sent que les CunninLynguists sont de la race des performeurs pour qui la scène est une seconde maison. Leur rapping ne révolutionne pas le genre. Au contraire, il s’appuie sur des recettes d’un boom-bap chaleureux, édifiant leur musique en un monument tout en énergie et cassures rythmiques. « Hiphop is my religion » scandé à qui veut l’entendre et s’en saisir. Boostés par leurs interactions avec un public acquis à la cause, les trois hérauts du Kentucky propagent leur bonne parole avec la régularité d’un prêcheur d’Atlanta.
Dans une semaine, dans une autre paroisse, on accueille une paire d’enfants terribles, The Alchemist et Oh No alias Gangrene, qui viendront distiller un rap sous influence, contagieux et cartoonesque. On espère voir une foule de fidèles autant saisis par la transe. Histoire de communier autour de ce que le rap a de plus humain, le rassemblement.