De La Soul, c’était mieux tout le temps

vendredi 26 août 2016, par Sagittarius.
C'était l'un des événements marquants de l'année rap 2015 : les De La Soul ont bouclé en seulement quelques heures une campagne Kickstarter destinée à financer leur nouvel opus. Une prouesse remarquable qui témoigne de l'aura toujours intacte du groupe. Histoire de décortiquer la légende à l'occasion de ce nouveau projet, intitulé and the Anonymous Nobody et qui est officiellement sorti ce vendredi 26 août, nous avons passé les quatre premiers albums du groupe mythique au scalpel.

Il vous est sûrement arriver de croiser, à des soirées ou virtuellement sur des forums, des adeptes ayant vécu ce que certains qualifient d'Âge d'or du hip-hop et qui vous répéteront, comme un vieux vinyle rayé par les scratches, que "le rap c'était mieux avant". Que la côte Est est la Mecque du rap et qu'aujourd'hui, cette musique a perdu son âme. Ont-ils tort ? "P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non." Mais en ce qui concerne les De La Soul, impossible de trancher. En presque trente ans de carrière, ce trio originaire de Long Island a su traverser le temps et les tendances, sans rien changer à leur philosophie. Cela leur a permis d'inscrire leur nom au panthéon du rap, sans jamais se voir à invités à rejoindre la maison de retraite. Aujourd'hui, peu de groupes hip-hop peuvent se targuer d'avoir connu une telle longévité. Il suffit de voir que l'annonce d'une nouvelle sortie en cette décennie 2010 est un véritable événement pour s'en convaincre. Parce que les De La Soul, c'est mieux tout le temps. Conçu pour durer, et apprécié de tous, de 7 à 77 ans.

Pour déterminer le secret de leur crème anti-ride, une rétrospective de leurs quatre premiers chefs d'oeuvre - intemporels il va de soi - parus chez Tommy Boy Records paraît essentielle. Afin d'expliquer quels sont les gènes fondateurs de leur rap, ce qui fait d'eux des pionniers dans un tas de domaines, et enfin pourquoi on les trouve hyper sympa. En bref, pourquoi les disques de Dave, Posdnuos et DJ Maseo ne prennent jamais la poussière, alors que paradoxalement, ils ont rarement embrassé un succès commercial instantané.

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De La Soul is Dead, la fin du début

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Nouvel album, nouvelle décennie. A double titre : nous plaçons le curseur sur l’année 1991 et les De La ont passé la barre de la vingtaine. Et cet intitulé sur la pochette qui laisse perplexe : De La Soul is Dead et un pot de fleurs brisé. Que tout le monde se rassure, il n’y a pas eu de suicide collectif, ils sont bel et bien en vie et se portent superbement bien. Simplement, ils ont tenu à enterrer leur image de hippie, pour anticiper les critiques dans le milieu à leur sujet, se rebeller, se démarquer, et X autres raisons valables… Il y a derrière cette signification de la fin de leur « D.A.I.S.Y. Age » une volonté farouche de montrer qu’ils ne sont pas si gentils qu’il y paraissait, ils vont même utiliser un vocabulaire plus fleuri – la pochette ne mentait pas.

Les fleurs sont piétinées mais pourtant les De La Soul ne sont pas de la mauvaise graine puisqu’ils répondent à leurs détracteurs avec une arme redoutablement intelligente. En l’occurence, le second degré, le vrai, celui qui pique et qui fait réfléchir après coup. C’est peut-être une des raisons parmi tant d’autres pour lesquelles beaucoup d’aficionados considèrent cet opus comme leur meilleur album des années nonante. Ce n’est pas un hasard. Structurellement parlant, De La Soul is Dead s’inscrit dans la continuité de 3 Feet High & Rising sans faire Ctrl+C/Ctrl+V pour le contenu. L’album démarre par une introduction de Prince Paul expliquant l’utilisation de la mini-BD figurant dans le livret, façon livre-audio qu’on écoutait en cours d’anglais avec un lecteur K7 haut-parleur, et dont l’histoire se poursuit dans le différents skits. Le concept est dans le concept.

C’est après que les choses sérieuses démarrent avec « Oodles of O’s«  où Posdnuos et Dove – Trugoy – balancent une avalanche de rimes en ‘o’, puis sur « Peas Porridge » où les mots se répètent pour un incroyable exercice de flows. Plus d’originalité, plus d’efforts. Les De La évoquent des sujets graves à leur manière comme l’histoire « Millie Put a Pistol on Santa« , et toujours dans cette optique de dénonciation des violences et des armes a été écrit « Afro Connection at Hi 5« . L’ennemi numéro un ? Ce qu’ils appellent le « R&B » (pour « rap and bullshit »). Paradoxalement, ce second album n’en demeure pas moins fun et funky, complétant leur riche discothèque de singles indémodables, dont le fameux « Ring Ring Ring » – et particulièrement sa version remixée complétée de ces saxophones immédiatement reconnaissables qui a bien tourné en radio. La panoplie de l’inoubliable se complète avec « A Roller Skating Jam Named Saturdays« . Les scratches de Maseo, le couplet de Q-Tip, l’ambiance disco, la voix de Vinia Mojica… Quel fabuleux souvenir : un vrai incontournable des soirées old school de ton cousin.

C’est là un autre paradoxe des De La Soul : ils doivent leur longévité et leur côte de popularité à ces tubes hyper accrocheurs et non pas aux ventes. Un fait en partie expliqué par le format inhabituel de l’album. Sur un total de 27 pistes (!), De La Soul is Dead se contente, et nous avec, d’une bonne douzaine de véritables chansons. Mais c’est ce qui fait la richesse de cette œuvre, car à la virtuosité verbale de Pos et Dave, aux nombreuses accolades rap (Public Enemy, Slick Rick, Melle Mell, Oochie Wallie…), il y a de nouveau le membre caché des De La, Prince Paul, qui apporte un florilège de samples, de Parliament à Gainsbourg en passant inévitablement par James Brown (le fameux « Funky Drummer« ). « Oodle of O’s«  utilise une boucle de Tom Waits que son élève RZA n’aurait pas renié, les interludes radios « WRMS » samplent… Joe Sample (on ne pouvait pas l’inventer) et « In All My Wildest Dreams » qui sera repris des années plus tard pour « Dear Mama » de 2Pac… Des breakbeats de haut vol, on en retrouve autant sur la kyrielle d’interludes, autant d’espaces de jeu pour Prince Paul et ses pitreries. Le bouquet final « Keepin’ the Faith » est jubilatoire, un cocktail empruntant une mélodie entêtante à Bob James, la rythmique de batteries de « Walk This Way » du groupe rock Aerosmith, les guitares de « Could You Be Loved«  de Bob Marley et une basse groovy bouclée chez Slave.

Objectif atteint. Au bout du compte, les De La Soul ont donné tort à leurs détracteurs et plus de raisons de les apprécier. Leur esprit floral est mort et enterré pour se concentrer et progresser sur leurs énormes qualités en les élevant à un tout autre niveau, en poussant leurs idées plus loin encore. La réputation du groupe de Long Island s’est consolidée avec cet album et leur ingéniosité a permis de dorer un peu plus la musique rap.

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