Aujourd’hui, il est injuste de cantonner le rap français aux productions hexagonales. Il est d’ailleurs incorrect de parler de « rap français » tout court : en 2016, avec l’impulsion d’artistes belges, suisses et canadiens, nous avons plongé dans l’ère du rap francophone. Et du côté de chez les Helvètes, le collectif SuperWakClique commence à faire beaucoup, beaucoup de bruit. Rencontre avec Slimka et Di-Meh, deux des porte-drapeaux du rap sans frontière.
Si tu es à l’affût des nouveautés francophones, tu n’as pas pu passer à côté de la vague rap qui déferle sur la Suisse depuis quelques mois. Têtes d’affiches de ces rappeurs émergents, Slimka et Di-Meh font partie des artistes dont la cote ne cesse d’augmenter. Plus visionnaire qu’un bookmaker anglais pariant sur Leicester en 2015, on t’aura prévenu : le rap de Genève arrive fort sur nous.
« Squad Gang Gang. » Comme un hymne tabassé à la foule, nous avons fait connaissance avec les rappeurs suisses un soir de concert lyonnais organisé par nos amis de Ratchet Lab au Ninkasi. Programmés de dernière minute, les Suisses ont mis à leur audience une gifle qu’Action Bronson himself n’aurait pas renié. À une époque où certains rappeurs manquent de communion avec leur public sur scène, Di-Meh et Slimka, accompagnés de leur collectif multi-capes SuperWakClique ont, le temps d’un show, mis tout le monde d’accord à base de sueur et de pogos. Peu pourtant connaissaient les rappeurs avant le concert. Une fois la douche prise, les effluves de bières évaporées et l’excitation passée, l’écoute des sons de la veille a alors confirmé l’impression : rap is coming, non loin de nos contrées. Et pour une fois, la lumière ne vient pas de Belgique. C’est à Genève que la tempête se prépare. Plus connue pour ses banques, ses boîtes de nuit et les aventures du duo Blatter-Platini, la Suisse a aussi su faire germer des talents musicaux dont vous risquez d’entendre parler souvent au cours des prochains mois. Nous vous avions déjà présenté Makala, également membre du collectif SWC – également présent dans nos rookies de 2016 -, et avons plus tard échangé avec ses deux acolytes.
De Paris à Genève, la Suisse vie
C’est en direct d’une bibliothèque Genévoise, après leur taff, que les deux compères ont pris soin de nous répondre par Skype. Alors que pour Slimka, les premiers pas dans la musique sont récents, il serait faire offense à Di-Meh de parler d’inconnu. Le Genèvois « traverse les vibes depuis huit ans ». Des années rap passées à côtoyer Fixpen Sill, Lomepal, Panama Bende ou encore Caballero. Membre du collectif 13Sarkastick, Mehdi est devenu un habitué des TGV Paris-Lyon que ce soit pour poser un freestyle, enregistrer ses sons ou faire étalage de son énergie sur scène. Il a d’ailleurs réalisé le projet Reste Calme avec le collectif parisien de la 75e Session ; « un bon moyen de s’exporter ». Avec la sortie de son dernier EP, le neuf titres Shine, Di-Meh compte déjà quatre projets au cours desquels il balade son flow et son parlé caméléon sur des prods variées. Un style tout-terrain qui permet de découvrir des albums éclectiques ou reggae, trap, boom bap se côtoient. Également beatmaker, Di-Meh a su se faire un nom et un style à tout juste la vingtaine.
Son acolyte, néophyte dans le rap, n’a pas tardé non plus à se faire remarquer. Slim K, Slim Kunta ou « Slim Kart » vient aussi de Genève. Après une « mini carrière dans le mannequinat », quelques défilés, il décide de trimballer sa nonchalance et ses dreadlocks dans le rap. D’abord dans les clips de ses potes, puis mic en main. « Je me suis vraiment mis dans le truc en 2015. C’est grâce à des bons reufs comme Makala ou Di-Meh que j’ai pu être exposé rapidement. » Mais aussi aux bangers « Xanax », « SGG », puis « DoubleDab » qui ont permis à Cassim de rentrer dans le grand bain. La facilité, les gimmicks et le style Slimka font forcément penser à la vague codéinée des rappeurs d’Atlanta. D’autant que Slimka « a la chance de parler les deux langues », et s’essaie déjà au rap en anglais avec DeWolph, le rappeur Anglophone de la SuperWakClique. Perfectionniste, il « taffe sur un projet solo, gentiment. Il faut du contenu et de la réflexion », prévient-il.
« On veut aller au bout, on n’a pas d’autres possibilités »
Omniprésents sur les réseaux sociaux, les deux compères et l’ensemble de la SWC écument aussi les salles de Suisse et de France. Pour des premières parties d’abord, et désormais pour leurs propres shows. « On a faim de scène. On veut que les dates s’enchaînent », explique Slimka. Une faim qui a parfois fait de l’ombre aux rappeurs programmés derrière eux. En concert, « tu rentres dans une phase ou tu n’est plus toi, tu es dans ton rôle. C’est mieux qu’une drogue ». Mais il n’y a pas que sur scène que les deux Helvètes sont hyper actifs. Dans la vie aussi, ils mêlent rap, école de commerce et travail en boutiques de fringue. Un hasard ? Pas vraiment. « On cherche tout le temps des sapes qui shine, on est très perfectionnistes sur nos styles. » Un souci du détail qui fait la marque des Genevois. Ces derniers temps, pour ses clips, Di-Meh travaille avec Natas 3000, réalisateur d’Annecy et rencontre du skate, son autre passion. Pour les instrus aussi, les emceses savent ce qu’ils veulent. Et si Pink Flamingo, le beatmaker de la clique, n’est jamais très loin, les rappeurs sont toujours à la recherche « du son qui brise la nuque ».
Pas facile pourtant d’être rappeur en Suisse. « Il n’y a pas beaucoup de structures, donc on essaie de les créer nous même. Il y a 4 ans, personne ne s’intéressait à la Suisse, les rappeurs comme BraccoBrax n’arrivaient pas à s’exporter. Il y a déjà du mieux. » Avec « leur famille » de la SuperWakClique, les deux artistes n’ont peur de rien. « On est Suisses donc les gens s’imaginent qu’on a du biff, mais même si la vie est cool, on a rien, juste les crocs. On veut aller au bout, on n’a pas d’autres possibilités. » Et les Helvètes n’ont pas fini de faire du bruit, en France ou ailleurs. « On veut juste lâcher des bombes et que ça agisse. Dans notre esprit, la langue n’est pas une barrière. »
La rumeur dit que Di-Meh sera en live le 30 septembre prochain, à Paris, pour une nouvelle soirée Rap Rebels.