Plus de dix ans après ses début dans le rap, Dosseh arrive enfin avec son premier album, Yuri, sorti le 4 novembre dernier. Un disque important pour l’artiste car (très) attendu par son public et ses pairs. Nous sommes allés à la rencontre du petit frère de Pit Baccardi pour parler échec, plan de carrière et black activism. Dosseh, calme et déterminé.
Après quatre projets, un passage court mais marquant chez Def Jam, on se demandait ce que pouvait bien avoir à raconter Dosseh dans son premier album, Yuri, sorti début novembre. Est-il plus complexe que son apparence de garçon plutôt gentil, travaillant calmement à son avènement ? On avait la curiosité de parler avec lui de ses choix pour cet album, attendu, comment lui, qui est loin d’être un newcomer perçoit son travail d’artiste.
« J’espère d’une part que les gens vont kiffer et qu’il se vendra assez bien pour envoyer un bon signal à l’industrie », nous dit Dosseh, avec qui on a réussi à discuter au terme d’une longue journée promo. La communication autour des circonstances qui ont concouru à la naissance de son disque tout comme son discours à son propos sont maîtrisés de bout en bout. Son passage chez Def Jam ? « Quoiqu’il s’y soit passé, on est content. » Le feat avec Booba, qu’il a rejoint chez Capitol ? « Rien à voir avec mon arrivée là-bas car prévu depuis longtemps. » Voilà pour les questions un peu techniques. Pour le reste, c’est pareil : on fait face à un Dosseh déterminé, qui laisse peu transparaître ses émotions. « Le fait d’avoir du mal à me raconter, c’est un reproche que me faisait mon entourage souvent ou mon manager. ‘Il faut que tu en donnes un peu plus aux gens, pour qu’ils se sentent plus proches de toi’« , nous avoue-t-il, comme dans le titre « Margiela ».
Pourtant, à entendre Yuri, « une version exagérée de [lui]-même » – un mantra, lu quelque part –, la tension entre la volonté de rester secret et de se donner reste entière. Paradoxal, jusque dans le choix de son totem, le pirate Barbe Rouge, lui à qui on donnerait le Bon dieu sans confession. « Tous les morceaux, c’est moi, mais comme tous les êtres humains, le mec qui parle dans l’album a des moments où il a juste envie de parler de son enfance, de s’enjailler sur un gros son, ou de courtiser une meuf donc le son sera plus charmeur », précise-t-il. Ou de parler de ce que c’est qu’être noir en France, comme dans « Afrikan History X ». « J’avais envie de parler de tout cela depuis longtemps. C’est juste mon ressenti, la somme des discussions avec mes proches. Et je me rends compte que ça ne parle pas qu’aux noir(e)s ! »
Bon nombre des rappeurs noirs français, à l’instar des artistes afro-américains, de D’Angelo à Solange en passant par Beyoncé ou Common plus récemment, abordent encore plus frontalement le sujet. « Je suis à moitié camerounais et à moitié togolais. Mon grand-père était dans l’opposition et a dû fuir le Togo. Du coup, j’ai baigné dans la contestation et cela a sans doute forgé mon esprit critique inconsciemment, sur tous les sujets, explique-t-il. Par naïveté peut-être, on a un peu trop dit qu’avoir un président noir à la Maison Blanche a changé la condition de vie des noir(e)s aux Etats-Unis et dans le monde, par exemple. » Le résultat des dernières élections présidentielles américaines ne fait que lui donner raison. Dosseh fait la part des choses entre ce qui se passe en France et aux Etats-Unis ; il n’endosse pas une parole militante plus que ça pour autant. « C’est juste un sujet qui me concerne ; je me sentais prêt à donner ma vision des choses sur cet album. »
Amour, chnouf, trahison, argent : le reste de Yuri s’équilibre entre bangers et featurings spé avec Young Thug ou Tory Lanez, dessinant une vision bien noire de la vie. La proximité qui lui faisait défaut a fait partie de toute sa stratégie digitale pour préparer l’album. Sur Snapchat, il espère « voir des filles fredonner ses chansons ». Sur Facebook, il explique les textes de ses chansons. Dans « Margiela » encore, il s’ouvre : « Moi je voulais monter / je suis toujours tombé à côté. » On lui dit qu’on y voit une pure métaphore de sa carrière. « Pas que, acquiesce-t-il. En vrai, ça n’a même rien à voir avec le rap. J’ai dû changer plein de choses dans ma carrière et dans ma vie privée. » Et de reparler de cette rupture, visiblement marquante, détonateur de changements ? On n’ose pas lui demander des détails, par peur de faire de la psychologie de bazar ou du voyeurisme. Et si toute cette maîtrise était la solution sine qua non pour avancer ? C’est que Dosseh est « dans un travail » : « Avec mon équipe, on sait ce qu’on doit faire, ce qu’on veut viendra le temps où on devra faire le bilan. Pour le moment, on avance », n’excluant pas d’arrêter si les objectifs qu’il s’est fixé ne sont pas atteints. Les ventes d’un disque lors de la première semaine sont un indicateur de la popularité et de l’engouement du public pour un artiste, disent l’industrie musicale et certains médias.
Son projet Perestroïka s’était écoulé à 5000 exemplaires lors de ses premiers jours de vie en mars 2015. Au moment où on écrit ces quelques lignes, Yuri a été vendu (streams compris) plus de 10 000 fois en une dizaine de jours. Peut-être que ce chiffre le fera ciller à peine plus que quand on lui a demandé de parler du petit garçon qu’il était. Dorian N’Goumou, de son vrai nom, qui a passé son enfance à Meaux, dans le quartier du Val-Fleuri, une zone résidentielle, métissée, plutôt loin du centre-ville, qu’il arpentait en Vans Slip-On. Pour tenter de comprendre qui est Dosseh l’Orléanais, plutôt que Meldois. Un rappeur bien dans son époque, content qu’elle soit aussi diversifiée au niveau de l’offre rapologique et qui veut qu’on se rappelle de lui comme « d’un bête d’artiste », sachant écrire et ambiancer son public. C’est peut-être ce qui est en train de se passer, grâce à Yuri.