13 novembre 2015 : relase party d’Espiiem à La Maroquinerie, dans le 20e arrondissement de Paris. Au moment où l’ex membre de Cas de Conscience chante la paix, d’autres font raisonner les balles de la haine. « Regarde l’état de leur cœur : c’est la Sibérie », la phrase est scandée au milieu des 15 titres de l’album. Un constat amer mais juste et qui contraste pourtant avec l’envie de répandre l’amour autour de lui. Retour sur un album emprunté de souvenirs passés, de rêves futurs et de doutes présents.
C’est l’histoire d’un mec qui a fait la promesse à son meilleur pote parti trop tôt de sortir un album. Ce mec tiraillé par sa musique, et tous les pièges qu’entourent celle-ci s’est juré de garder ses valeurs, de rester pieux. Pour éviter au maximum ces pièges, ce même mec a décidé de ne s’entourer que de sa deuxième famille et de sa femme. Donc comme n’importe quel mec, il a des soucis avec sa muse qu’il s’efforce pourtant de résoudre. D’ailleurs il aimerait bien les résoudre en partant s’exiler loin du ciel gris de Paris. Le mec se verrait bien à Biarritz. Pas forcément au Ritz, juste à Biarritz. Parce que ce même mec n’a pas placé non plus l’argent comme source de motivation principale dans sa vie. Bien entendu il veut gentrifier autour de lui, aider les siens par un amour inconditionnel. Ce mec-là, c’est Espiiem, et comme il possède une palette artistique complète et une certaine aura, il en a fait un album qu’il a nommé Noblesse oblige. Un album qui nous présente donc sa nation qui a pour drapeau un étendard noir floqué du mot « Noble » et qui a choisi pour hymne le morceau « 777 ». Pour cette noble nation, Espiiem est en mission. Il le fait très vite comprendre au début de l’histoire. « Au début j’ai du commencer tout seul, puis on devenu 10, puis on est devenu 100, puis on a dépassé les 1000 ».
Caméléon social
Qui dit suprématie, dit forcément différence. Cela tombe bien, le boss du label Orfèvre la cultive sur différents points. Le premier, c’est son pragmatisme. A l’heure où l’on parle d’une génération Z mettant au centre de sa préoccupation le bien-être, il semble que Espiiem, issu de la génération Y ait plutôt choisi de se méfier de cet hédonisme latent. »Mon plan c’est de me faire de l’argent sans me ruiner la santé » (« Sombre et Sobre »). Son interview chez nous il y deux ans vient appuyer ces propos : « tu peux vivre sainement sans faire des millions », nous confie t’il alors, comme si la course au capitalisme dans laquelle le rap français semble parfois s’essouffler ne l’intéressait guère. Avec Espiiem nous sommes dans la course au bien être, le bonheur personnel mais aussi celui de son entourage.
Seul hic, qui dit mettre à l’abri son entourage semble vouloir dire quelque part : réussite économique. Et lorsqu’on veut faire de l’argent il existe deux solutions : gagner son pain à la sueur de son front, ou alors en se salissant les mains. Dans notre histoire, les deux choix semblent manichéens, mais s’offrent à notre héros. Espiiem opte pour le premier choix. Sauf que ce choix-là, il nous rappelle qu’il n’est pas aussi binaire que ça finalement, et encore moins dans le monde de la musique. Cette constante lutte entre bien et mal, c’est le fil rouge de l’album, entre autres exprimé sur le titre « Money ». Au cours de l’histoire, nous comprenons d’autant plus la dualité à laquelle veut aboutir Espiiem : conjuguer bien-être matériel et spirituel tout en restant propre et fidèle à son éthique, en un seul mot : noble. « Noble dans le sens de se ré-approprier sa fierté, son honneur, et s’organiser nous-mêmes. L’idée, c’est de s’astreindre à une forme de discipline plutôt que de rester oisif et d’attendre que les choses se passent. », racontait il à nos confrères de La Trempe.
Espiiem et Noblesse oblige c’est donc vraiment l’histoire d’un mec bien. Tellement bien que limite ça en devient irritant et troublant. Car quand il nous parle brièvement de ces zones d’ombres au cours de l’album, on veut en savoir en plus, gratter pour voir qu’est ce qui se cache en dessous ce vernis. Mais au final ne serait-ce pas nous les fautifs ? Nous qui avons tant été habitués à écouter le passé sombre des rappeurs, au point de tomber dans le voyeurisme. En opposition à cette génération Y qui s’affiche à tort et à travers, notre héros est un mec discret qui préfère ne pas mettre en lumière ses zones d’ombres. Un mec qui préfère scander le positif, qui semble avoir retenu que c’est en semant du bien qu’on récolte du bien. Un artiste qui en somme creuse encore plus l’écart avec la plupart du game. Mais s’y trouve-t-il vraiment dans ce game? La question se doit d’être posée lorsqu’on observe qu’aucune vulgarité n’est présente sur cet album. Une raison en partie expliquée sur le titre « Langage codé », où l’on comprend qu’Espiiem a toujours été un caméléon social.
L’histoire est plus complexe…
Avec ce langage codé qu’il utilise sur tout l’album, avec un certain succès, l’ex MC de cas de conscience évite l’un des plus grands pièges de ce siècle : la course folle à la punchline. Car oui, Espiiem ce n’est pas la recherche à tout prix de la formule choc s’imprimant dans les tympans comme une persistance auditive. Comme ce qui est rare est cher – donc noble – on apprécie d’autant plus quand celles-ci sont présentes : « Tu pensais peser, tu n’es qu’un problème sans gravité » … « Ils sont tous là pour ouvrir leur grande bouche mais il n’y a personne quand il faut fermer les poings. »
Outre les punchlines, le MC tout de noir vétu ne maitrise pas que cet aspect de la palette du rappeur. Il nous prouve d’ailleurs qu’il sait très bien manier le story-telling. Pratique qui semble bien rare durant ces dernières années dans le rap. Espiiem pratiquait déjà l’art de raconter des histoires avec Cas de Conscience sur certains morceaux. Si le groupe a disparu, ce talent-là lui est bien demeuré et il nous le prouve au début de « Deuxième famille ». Dans ce morceau, il image sa progression dans le marché du disque tel un braquage organisé à souhait.
Autre point intéressant sur le plan technique : le chant. Bien que très rare et le mot « chant » étant peut-être un peu exagéré, Espiiem s’amuse sur certains morceaux à pousser un peu plus son timbre de voix. Au final cela n’a rien d’un amusement puisque c’est fait de manière très sérieuse, et par sérieuse nous entendons réussie. C’est le cas sur « Sombre et Sobre », ou même sur « Sparring Partner ». Un point qu’il a peut-être pris du plaisir a travailler lors de son projet avec The Hop, son ancien groupe. On sent d’ailleurs énormément l’influence de ce volet de sa jeune carrière, notamment sur l’outro de l’album « Apothéose« .
Si l’on se retrouve happé par l’histoire de cet album, c’est pour une raison très simple : Espiiem est un mec normal, il a des problèmes, une femme, des amis auxquels il tient, des coups de blues à affronter, de l’ambition, et une certaine éthique. Mais étant donné que la normalité semble devenir de plus en plus rare au sein de notre courant musical favori, le projet d’Espiiem se place comme un OVNI dans ce rap jeu qui n’a presque plus rien de trépidant. Souhaitons désormais à Espiiem de continuer de survoler ce rap et de prendre de la hauteur. Car avec ce premier album il a déjà placé la barre très haut.