En seulement deux albums, Flynt s’est imposé comme l’un des rappeurs qui a le mieux incarné la réalité des artistes indépendants. Presque dix ans passés après la sortie de J’éclaire ma ville, on revient avec lui sur la genèse de son intemporel premier opus. Histoire d’un classique.
S’aventurer dans les vieux cartons du grenier, en quête d’une perle rare. La prendre dans les mains et souffler dessus pour évacuer la poussière qui s’y était accumulée. Ce constat pourrait être le mien en réécoutant J’éclaire ma ville, le premier album de Flynt sorti en 2007. Sauf que l’objet en question n’a pas eu l’occasion de voir la poussière ternir son image. Pour cause, cela fait bientôt neuf ans que son public le fait vivre pleinement. Si entre temps l’artiste a sorti un deuxième album loin d’être passé inaperçu, ce n’est pas une insulte que de dire que son « classique » reste son premier album.
Un premier opus qui nous avait permis de rencontrer un lyriciste pur jus, issu de l’école de rap du 18ème arrondissement de Paris. Si souvent les disques nous content des histoires, rares sont les histoires contées à propos d’un disque. Alors on saisit lampe torche, scalpel et téléphone pour disséquer – avec Flynt lui-même – ce disque et revenir sur l’histoire de cette pépite du rap indé français.
Lorsque je braque ma frontale et que j’éclaire ce disque, je vois qu’il est sorti durant l’année du 4ème titre des Spurs de San Antonio. L’année aussi où Michael Youn démoule une parodie ratée de 50 Cent et Ali G qui atteint pourtant les charts de plein fouet. Si le rap de l’époque a déjà percé le mur du son, on est encore loin du registre rap-pop qui secoue les plateformes de streaming de nos jours. La dichotomie rap indé vs major, Flynt la revendique dans « Comme sur un playground » : « Je pratique le rap comme sur un playground, mais ça empêche pas d’être spectaculaire, ça empêche pas d’avoir une motivation très grande. » Flynt, plus The Professor que Tony Parker ? Quand on joint l’intéressé pour qu’il nous parle de l’époque, il nous replace d’emblée dans son contexte : « J’avais co-produit la compilation Explicit Dix Huit et on avait fait pas mal de belles choses avec ce disque. J’avais sorti deux maxis, Fidèle à son contexte et Comme sur un playground. J’avais aussi fait quelques morceaux à droite à gauche qui avait bien tourné, avec la Scred Connexion ou avec Lyricson par exemple, même des morceaux solo qui étaient sortis sur des mixtapes importantes du moment comme Explicit Dix Huit et Skunk Anthology. Je sentais quand même qu’il y avait pas mal de gens qui attendaient de voir ce que ça pouvait donner sur un format plus long. »
Près de neuf ans plus tard, c’est mon bus qui se fait attendre. Alors je lance une nouvelle fois l’écoute de cet album dans mon Bordeaux natal, loin du Paris flyntien. Car J’éclaire ma ville n’est pas un album qui met uniquement Paris en lumière, c’est son universalité qui lui permet encore aujourd’hui de rayonner. Les bruits de métro ouvrant le morceau donnant son nom à l’album nous mettent tout de suite dans l’ambiance, aidés en cela par sa première phrase : « J’éclaire ma putain de routine. » Si l’on sent Paris profondément ancrée dans le disque, on peut s’en saisir comme d’une torche mettant en relief notre propre existence. Et on s’engouffre dans cet album comme une rame de métro zigzaguant dans ces tunnels que l’on connaît tant. Une des premières stations qui retient l’attention est celle où l’on descend car on doit embaucher. Sur « La Gueule de l’Emploi », Flynt retrouve Sidi Omar et livre un classique qui trouve encore une caisse de résonance en 2016. Car n’en déplaise à Mr Bourdin la discrimination à l’embauche existe plus que jamais et les deux rappeurs ont mis le doigt dessus. Si l’histoire contée est malheureuse, il est intéressant de noter l’importance du travail pour Flynt. Il nous explique : « Moi j’ai toujours travaillé depuis mes 18 ans. Que ce soit dans les études avec les jobs d’étudiant qui vont avec ou que ce soit des vrai boulots. J’ai toujours travaillé. J’ai démissionné quelques temps avant la sortie de chacun de mes albums en fait. Mais dans ma tête, il a toujours été clair que j’irai rechercher du taf par la suite. C’est peut-être une erreur d’ailleurs. Donc en faisant l’album je savais que je retournerais bosser après. » On slalome de stations en stations pour mettre les pleins phares sur la question centrale : comment concilier travail et studio ? Si l’album est d’une telle qualité, il y a forcément eu beaucoup d’heures passées derrière une console de mixage ou un micro. Le rappeur du 18ème nous confirme : « Pour J’éclaire ma ville j’avais arrêté de travailler à partir du moment où je tenais le disque, lorsque qu’il fallait que je sois 100% disponible pour le sortir. J’ai démissionné pour finir Itinéraire bis aussi. Mais toujours dans l’idée de retourner taffer ensuite. Je le dis dans l’intro du dernier morceau d’Itinéraire bis qui s’appelle « Le dernier seize ». Je dis : ‘Avant de retourner chercher du taff voici le dernier seize.’ C’était déjà écrit d’avance pour moi. »
« Le rap c’est quelque chose qui m’obsède, j’y pense tout le temps, tous les jours »
Assis au fond de la rame, on pose scalpel et pince. On sait, et vous aussi, ce que c’est : se rendre disponible, faire des sacrifices, sortir de la vie régie par les habitudes où la musique intervient comme une ouverture dans un monde tissé de grisaille : « Le rap c’est quelque chose qui entre guillemets, m’obsède. C’est-à-dire que j’y pense tout le temps, tous les jours. Et de temps en temps j’agis. » La ballade est donc toute trouvée pour Flynt et elle agit comme une éclaircie dans un quotidien grisonnant. Gris, l’album l’est aussi, mais d’une nuance qui apaise. Lorsque résonnent les dernières notes de « Ça fait du bien d’le dire », on se dit qu’on pouvait s’attendre à ce que ce titre exhutoire soit emprunté d’une certaine violence, alors qu’on en sort presque rassérénés. Le constat pourrait s’étendre à tout l’album tant on n’en sort pas dans le même état qu’on y est entrés. C’est certes l’histoire d’un quotidien que l’on connait tous, mais aussi celle d’un passionné de rap. Un de ceux qui réclame « un retour aux fondamentaux » car il sent le jeu parfois trop biaisé, trop changé. Mais jouer sur un playground ne veut pas dire qu’on ne fréquente jamais les grandes salles : « J’ai enregistré J’éclaire ma ville au studio Capitol à Saint-Ouen, c’était un chouette studio. En fait mon DJ à l’époque c’était DJ Dimé – DJ de Diam’s lorsqu’elle était au sommet. Ce n’était pas prévu au départ quand on a commencé à travailler ensemble qu’il allait devenir DJ de Diam’s, et grâce à lui on a pu aller dans des studios un peu plus grands, plus pros et bosser dans de bonnes conditions. Que ce soit pour l’enregistrement, le mix et le mastering. Ça a été une chance de pouvoir bénéficier de son réseau. »
Une aubaine donc pour un fervent indépendant. Il y consacre même le track « Les Moyens du bord ». Loin d’être une plainte, le morceau est plus un hymne, un porte étendard de l’indépendance, à la limite de la célébration : « L’indépendance c’est vrai que c’est un peu l’ADN de mon rap, donc forcément j’en parle », nous avoue t-il. Et forcément lorsqu’on fait tout seul, c’est plus lent : « Pour la phase de création, disons que ça m’a pris un peu moins de trois ans. » Une phase de création longue, mais aboutie et précise. Et sans gaspillage : « Je n’ai aucune chute de cet album, c’est-à-dire que tout ce que j’ai écrit pour J’éclaire ma ville est sur le CD. Il n’y a pas un couplet en plus que je n’ai jamais posé ou gardé, quand je me mets sur un morceau j’y vais jusqu’au bout pour qu’il sorte.. »
Flynt est donc plus près de l’artisan que des grosses firmes du game, ce n’est pas pour rien qu’il rappe « Je prends la zik comme un athlète plus que comme un business man ». On a voulu plus amplement aborder ce sujet avec lui, quel était son état d’esprit au moment de la sortie du disque. Et encore une fois les paroles de l’artiste sont en accord avec les dires de l’homme : « Je n’ai jamais eu un état d’esprit carriériste. Ce dont je me souviens c’est que j’étais content d’arriver au bout de ce projet, qu’enfin tous mes efforts se concrétisent. Faire cet album, ça s’est imposé à moi après des compilations, des maxis, le moment était venu de faire un album et je n’ai pas fait de calcul. J’étais plutôt dans un état d’esprit travailleur. »
« J’ai encore plein de choses à faire, plein de choses à dire, plein de choses à chanter »
No pain, no gain. Flynt avançait donc dans sur sa voie, et éclairait sa ville, phares allumés à la manière d’une rame de métro. Une manière de fonctionner qui a marché, puisqu’aujourd’hui le succès critique est là et beaucoup s’accordent à dire que l’album est un classique. Cependant il nous livre sa vision des choses : « Le succès d’estime, c’est déjà bien. On peut quand même continuer à bâtir quelque chose avec ça. Mais un succès commercial c’est bien aussi pour continuer hein. » D’ailleurs, commercialement parlant, où en est-on près de dix ans plus tard ? « On doit être à un peu plus de 10 000 aujourd’hui en physique, c’est pas mal. Pour un petit indépendant c’est pas mal. Mais en vrai, 10 000 c’est rien. » C’est peut-être rien mais s’en est aussi suivi une tournée de plus d’une soixantaine de dates. Pas mal, encore une fois, pour un petit indépendant par rapport aux grandes machines de l’industrie. Mais après tout, les ventes ça veut dire quoi au fond ? Et puis comme rappe le principal intéressé : « On est peut-être dans les même bacs mais on n’a pas le même coup de crayon. »
Le trajet en touche bientôt à sa fin, et l’album aussi. Le son se réduit petit à petit dans mes oreilles. Sans donner pour autant l’impression d’être arrivé au terminus pour son auteur : « Pour moi ce n’est pas fini ! J’ai encore plein de choses à faire, plein de choses à dire, plein de choses à chanter, plein de choses à vivre grâce au rap. Ce n’est pas fini, et je vais faire du mieux possible pour atteindre mes objectifs. Je deviens peut-être un peu carriériste avec le temps, finalement. »