« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans », écrivait Rimbaud, le plus thug des écrivains français. On ne sait pas si Chester Watson dormait pendant ses cours de littérature comparée, toujours est-il que lorsque le jeune rappeur aux drealocks a débarqué sur nos radars on a rapidement pris conscience que lui ne blaguait pas vraiment.
Il a à peine 18 ans quand en janvier 2016 son projet Past Cloaks, sort en cassette sur POW records (label récemment monté par le journaliste musical Jeff Weiss). Pour autant, le prendre pour un débutant serait une erreur, car il s’agit déjà de sa troisième mixtape. En revanche, pas d’erreur sur le fait que Chester Watson est l’un de ces rappeurs à qui la passion de la rime est venue à l’âge où tu as subi ta première crise d’acné.
SORTIR DE L’OMBRE
Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter certains morceaux de Past Cloaks, enregistrés tandis qu’il était âgé de 15-16 ans, ou Tin Wooki, un album désormais sold out conçu comme une épopée en 5 actes. Une histoire dont il est le héros. Dans Past Cloaks, Chester Watson s’éloigne de l’heroic fantasy et propose un album comme une porte entre-ouverte sur sa chambre d’ado : peuplée de figurines, d’archétypes, de personnages de fiction, et de posters de films de samouraï. L’ambiance sonore est, heureusement, plus variée et n’est pas sans évoquer les productions de Madlib.
Et à part ce qu’il se met en scène dans un univers dense et indécis, c’est à peu près tout ce que vous pourrez apprendre de lui. Pas étonnant de la part d’un disciple du Docteur Doom : Chester Watson semble vouloir opérer dans l’ombre. Les entretiens sont peu nombreux et dans un monde médiatique où le rap investit parfois plus dans une compet d’ego que dans les performances artistiques, l’attitude discrète de Chester Watson dénote.
Quand il répond aux journalistes, c’est par email. Et à la manière d’un personnage de comics aux pouvoirs qui le dépassent, il refuse de révéler son vrai nom. Le jeune homme, originaire de Floride, semble avoir des difficultés à canaliser sa créativité : en plus de rapper, il compose, et quand il ne fait pas de musique, il pratique le collage et se dit intéressé par l’écriture de scenario. Clairement cinéphile, il a également réalisé le clip pour son morceau “Act IV”.
Il ne cache ni ses ambitions narratives ni ses ambitions personnelles, comme dans son entretien avec Max Bell : « Les chansons ont été faites pour des scènes. Il y a une intrigue, c’est vraiment complexe. Si tu l’écoutais tu te dirais : « d’accord, je vois pourquoi c’est pas possible de faire un truc comme ça sur une durée plus courte. » Tout est une question de temps. C’est ce que j’ai appris », dit-il à propos de Tin Wooki, un album de… 28 titres. Il confie également être motivé par la volonté d’être l’un des meilleurs.
Avec Past Cloaks, Chester Watson se présente comme un diamant brut : le son a l’empreinte de l’ado qui fait de la musique dans sa chambre et le grain des disques qui ont tourné des milliers de fois sur une platine, sans rien enlever à sa maîtrise vocale. Et s’il est difficile de ne pas penser à Earl Sweatshirt en l’écoutant, il est aussi clair que l’univers de Chester Watson est différent. Inflexions habiles dans le flow, rimes régulièrement ponctuées de mots japonais, le rappeur fait preuve d’un sens de la sonorité que beaucoup de ses aînés pourraient lui envier.
Chester Watson a quelque chose de personnel à proposer. Quelque chose d’honnête qui ne passe par aucun filtre. Se surnommant le « Monotone Samouraï » et se décrivant comme venant de la jeunesse corrompue et comme un « Agnonist Buddhist » dans « Camels And Cranes« , Chester Watson joue volontiers de l’oxymore. Aussi le propos peut sembler confus, mais à son âge, qui ne l’est pas ? Avec son rap, Chester Watson propose un voyage dans son monde intérieur, ses pensées mises en mesures, des scènes inspirées par sa vie d’adolescent. Si le jeune mutant a en effet un pouvoir qui le dépasse, écouter sa musique, c’est suivre le chemin qui le conduira à choisir le camp du Professeur X ou celui de Magnéto.
Sa volonté d’avancer dans l’ombre n’empêche pas Chester Watson de se livrer. Dans le même entretien, il confie que sa famille a rejoint un foyer après avoir vécu sans logement. Pourtant, dans son rap qu’il décrit lui-même comme nourri par l’adolescence et inspiré par la danse classique, il n’y a pas de faits autobiographiques ou de témoignage de son vécu. Peut-être une rage contenue en sourdine si on prête une oreille attentive. Au contraire Chester Watson choisit de privilégier l’imaginaire et en appelle aux mythes. Dans « Summer Mirage« , sorti en 2015, le jeune homme livrait déjà une vision philosophique sur la vie. Non sans rappeler la crise existentialiste que certains adolescents traversent lorsqu’ils réalisent la contingence de l’être. Il faut croire qu’au lieu de lire Sartre ou Rimbaud, Chester Watson a commencé à rapper.
Chester Watson offre un rap brut et sans lustre mais pas dépourvu de finesse. Avec un son sans calcul et sans direction, il n’en est que plus intéressant à suivre dans sa transition vers l’âge adulte, s’il nous laisse en être témoins. Tout semble prêt pour le voir sortir de l’ombre. Il ne manque que votre bonne volonté pour lui permettre de le faire.