Avec ‘Future’, partez à la rencontre de tous les Future

mardi 21 février 2017, par Napoleon LaFossette.
Alors qu’était annoncée la sortie quasi-surprise du cinquième album éponyme de Future et que la toile s’enthousiasmait, les premières questions commençaient à apparaître. Sera-t-il à la hauteur de ses deux prédécesseurs ? Et surtout, à quel Future aura-t-on le droit, alors que l’artiste nous a déjà montré plusieurs visages : le mélancolique ? Le vendeur de dope ? Le faiseur de bangers ? Chez SURL, nous avons dépoussiéré cet objet tout juste sorti de terre pour vous offrir des éléments de réponse. Chronique à chaud.

C’est un dix-sept titres que nous offre l’Astronaute sur ce dernier LP, sans aucun featuring, comme le laissait présager la tracklist dévoilée mercredi dernier. Exit le morceau avec Maroon 5, exit « Buy Love« , exit Rick Ross et « That’s A Check« . Pour Future, autant jouer la carte de la surprise jusqu’au bout. Introduit dès la première seconde par un « Supa » vif et surprenant, c’est « Rent Money » qui a l’honneur d’être le track inaugural du projet.

FUTURE, LE KINGPIN

Egotrip prenant aux tripes comme il sait les faire, on semble loin de la rancœur inaugurale de Dirty Sprite 2. Puis il balance ce « I fucked this R’n’B bitch » qui crée un doute. Vite effacé en réalité, Ciara n’ayant droit qu’à tout juste deux ou trois piques. Future s’attelle à étaler ses billets et parler de la femme de Scottie Pippen, durant trois minutes pendant lesquelles aucun répit ne nous est offert. La seule pause consistant en un skit final où un pauvre camé vient réclamer son gramme à des trappers hilares qui lui rappellent qu’il n’a même pas assez pour se prendre une défonce correcte. Le Future énervé et arrogant semble avoir en fait définitivement repris le dessus, le ton est donné pour le premier tiers de l’album.

Le brûlant « Good Dope«  vient confirmer la première impression, et ce « I do good dope / I got a good hoe » au refrain, aussi peu original qu’il soit, nous hypnotise malgré tout. Pourquoi ? Le charisme vocal, le sombre et la puissance, tout simplement. Et nous voilà partis pour un enchaînement de bangers évoquant essentiellement les meufs des autres, la drogue qu’il cuisine et qu’elles prennent, le faste dans lequel il vit. Des bangers ne jouant cependant pas la carte de la toute-puissance instrumentale, laissant Future faire une énième démonstration de ses facilités. Cela dure quelques temps, commençant par l’intrigant « Zoom« , dont l’intérêt se trouve surtout dans ce magique skit final mettant en scène une caricature de casting dans une radio mainstream, permettant ainsi à Future de se foutre ouvertement de la gueule de Desiigner (et un petit peu de Soulja’Boy aussi au passage). Puis viennent le narquois « Draco », le luxurieux « Super Trapper » et surtout « POA ». Aussi énervé que l’intro, voilà un morceau qui donne l’impression d’avoir été enregistré à 200 miles par heure dans son Aston Martin, sur une highway direction Atlanta.

Future, LE CALME (AVANT LA TEMPÊTE ?)

Ou plutôt sur la route entre le Magic City et son hood. Puisque cet étalage de réussite est subitement interrompu par le premier chef d’oeuvre de l’album. L’hypnotisante flûte dominant le beat de « Mask Off » donne l’occasion à l’Astronaute de revenir sur sa vie d’avant tout ça, l’époque du drug dealing réel. « Before the Maybach, I’d drive anything » explique-t-il, comme une synthèse essentielle de l’esprit du track. Oeuvre de G Koop, Southside et Metro Boomin, la prod entre en parfaite symbiose avec le Future du back in the day, celui de « Trap Niggas » ou de « Blood on The Money« . Il inaugure alors un temps de repos occupant la mi-album, avec l’arrivée de « High Demand » et son entêtant refrain, qui lui donne l’occasion d’évoquer cette charmante jeune femme présente à son bras pendant un match des Knicks. Et sachez-le, il ne se privera pas de « grab on that pussy like Donald« . Puis, les enthousiasmants « Supa Fuuuture » emmaillant le morceau laissent la place à un tout aussi apaisant « Outta Time », en guise de morceau de transition. Nous sommes en plein Metro Boomin time, et une grosse partie des prods de ce second tiers de l’album sont – en partie ou entièrement – l’oeuvre du producteur missourien.

« Scrape », notamment. Qui s’avère particulièrement agréable pour les amoureux de la scène d’Atlanta, puisqu’il donne tout simplement l’occasion d’entendre Future élever la voix vers les aigus comme il sait bien le faire, mais utilisant en parallèle des ad-libs très 21 Savage dans l’esprit. Le tout sur un travail de Metro donc, accompagné de Southside, le boss de la 808 Mafia. Des « skrt skrt » chuchotés, se baladant le long du beat et structurant plus le morceau que n’importe quel élément instrumental. Et la rythmique de la piste est quasi-symétrique à la piste suivante, le terrible « I Am Groovy ». Sur un beat tout en maîtrise, aux notes aiguës apaisantes, Hendrix ressort un flow en apparence proche de celui utilisé dans « Scrape » (sorte d’adaptation des structures de rime drill sur un tempo plus élevé) mais remplace ces « Skrt Skrt » sussurés par des « Mmh mmh » tout aussi désarçonnants de simplicité sur une bonne partie du track. Oui, comme Ademo dans « Naha ». D’une manière bien différente tout de même, il serait inutile d’y chercher une quelconque influence tirée par les dreads. Et, pour être concis : ça défonce, ça défonce et ça défonce.

Le ton taquin du phrasé contraste avec « Might As Well », piste suivante consistant en un beat cotonneux de Tarentino qui donne l’occasion à Mr. Willburg d’évoquer sa pauvre jeunesse et sa riche vie sans discontinuité. C’est un Future touchant qui offre ici la performance la plus accessible du projet, tout en permettant un enchaînement des plus intéressants. En effet, la phase plus smooth de la mi-album a déjà débuté depuis un bon moment, et placer à cet endroit un morceau à l’antipode de bangers comme « Good Dope » laisse envisager une fin d’album très calme.

BACK IN THE DAYs

Mais… Ce n’est qu’un trompe-l’oreille pour mieux surprendre le public, qui se mange le furieux « Poppin Tags » en pleine gueule. Le hit évident de ce cinquième album, construit comme un pur banger et déjà clippé depuis plusieurs semaines, vient noyer le public sous une tonne de fins tissus de créateurs en vogue chez les jiggy niggas. Et puisque son auditeur le prend pour un quasi-prophète, il l’enjoint à tendre l’autre joue, en goûtant à un « Massage In My Room » où parler de son lifestyle est une parfaite raison pour utiliser la tension émanant du beat concocté par MP808. Une tension magnifiée par ce bruit sonnant non identifié mais obsédant, sorte de casserole tournoyante qui ne lâche plus l’oreille une fois décelée. Et Future enchaîne avec « Flip », nouvelle occasion pour lui d’inciter les billets à virevolter dans les strip-clubs de Géorgie et du monde entier. Encore et toujours du name-dropping de belles carrosseries, une nouvelle référence à Master P au refrain, l’opulence est à son paroxysme alors que l’album s’approche de la fin.

Une fin donnant encore une fois l’occasion d’un changement de braquet. Sur « When I Was Broke », l’ATLien s’installe sur le piano de Zaytoven pour un flashback poignant. Il revient sur sa vie d’avant, celle où il attendait des appels, posé toute la journée dans sa trap house, et où le trimard qu’il était avait malgré tout une meuf qui restait à ses côtés. Une girlfriend qui l’a vu progresser, devenir quelqu’un dans le rap, et qui malgré tous les cadeaux qu’il a pu lui offrir, n’aimait pas ça au fond. Et qui a ironiquement fini par partir, alors que la supposée vie de rêve s’offrait enfin à eux. En somme, un bel hommage à une femme qu’il a connu, et qui n’a pas su s’insérer dans sa nouvelle vie. Et accessoirement un morceau au potentiel commercial non négligeable. Ce qui prépare le terrain pour la touche finale, une outro comme on l’aurait espéré : « Feds Did A Sweep ». La flûte fait son retour, merci Zaytoven et Cassius Jay, laissant Future nous parler de sa vie passée, et de tous ses dawgs qui sont restés emmurés dans les bras de la bicrave. Il évoque leur vie, son ancienne vie, les liens entre eux qu’il essaie de maintenir. Et puis, les couplets (entrecoupés d’un rapide interlude où des flics défoncent une porte) sont l’occasion pour lui d’évoquer ces potes qui se sont fait descendre ou attraper par les fédéraux. Puissant témoignage à la fois actuel et passé, qui offre une chute tout aussi fataliste que belle à Future.

« I was touchin’ work in elementary
Started cookin’ work and skippin chemistry
Then I started speakin’ poetry
I just wish my dawg didn’t ignore me
Told you »

Quels premiers enseignements tirer de ce projet ? Sur l’aspect purement qualitatif, bien que cette critique se fasse presque à chaud, c’est à coup sûr un album de qualité. Déjà parce qu’il contient de grands morceaux, qui risquent de rester. Qu’il s’agisse de « Mask Off », « I Am Groovy », « Good Dope » ou « Feds Did A Sweep ». Ensuite parce que l’enchaînement des morceaux se présente à la fois comme cohérent et capable de réserver plus d’une surprise, façon montagnes russes (ou géorgiennes, pour le coup). Une cohérence que Future a réussi à garder tout en utilisant à peu près toutes les facettes de son rap. S’il fallait expliquer ce qu’est la musique du bonhomme, l’album Future pourrait en être un bon condensé. En cela, son titre semble très bien trouvé. Il n’a certes pas le profondeur de Dirty Sprite 2, qui aux yeux de beaucoup est son plus bel essai, mais il compense par la plus grande musicalité qui s’en dégage. Après tout, Future aussi est un album intime, la manière n’est juste pas la même. Nayvadius s’ouvre moins, mais il est seul… Et un dix-sept titres entièrement en solo aujourd’hui, c’est un signe fort, vous en conviendrez.

Accessoirement, on notera aussi avec grand plaisir les piques qu’il envoie à l’industrie, avec ces deux interludes mettant en scène un animateur radio jouant avec la faiblesse d’esprit d’une partie du public rap (en l’occurence, une ratchet gueulant son pseudo Instagram à l’antenne) et de certains rappeurs débutants eux-mêmes. Un animateur probablement lui-même débile. C’est aussi ça le paradoxe Future : tailler l’industrie, lui en vouloir d’avoir essayé de faire de lui une popstar, dire à Zane Lowe qu’il voulait que ce nouvel album soit underground… Mais en même temps avoir pas mal mis de beurre dans les épinards grâce à « Low Life« , morceau totalement orienté vers les ondes et présent sur son précédent projet. Ou peut-être tout simplement en veut-il au monde du mainstream de n’avoir jamais fait d’aucun de ses morceaux entièrement rappés un hit comme le « Panda » de Desiigner. Et pour ça, difficile de lui en vouloir.

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