Autant se l’avouer d’emblée : le 11 octobre dernier, au Ninkasi Kao, le respect avait décidé de prendre ses RTT. Pas loin de 250 personnes s’étaient pourtant réunies pour célébrer la venue de Tony Starks aka Ghostface Killah, flanqué que son sparring partner Killah Priest. Un show expéditif bâclé qui nous fait poser la question : y a-t-il un âge de péremption pour les légendes du rap ?
Oui, si tu étais dans la salle du Ninkasi ce soir là et que tu étais fan du Wu-Tang dans les années 90, il y a de grandes chances que tu aies croisé à la sortie tes rêves d’ado en train de creuser eux mêmes leurs tombes dans un bac à sable. 40 minutes tout mouillé de show à 28 boules la place, autant te dire que si l’on devait faire un report proportionnel au temps de jeu, tu aurais sans doute déjà fini de le lire. Mais comme on est beaux joueurs et surtout qu’on aime étaler notre mauvaise foi, on va tenter de t’expliquer pourquoi il ne faut plus que tu payes pour aller voir des vieilles légendes du rap US quand elles s’en battent les steaks de ton amour pour elles.
Au départ, il faut saluer la pugnacité des organisateurs Belges Aral & Sauzé, cumulant les tâches de promouvoir et produire la date et celle de l’ouvrir. C’est donc un duo un peu stressé qu’on découvre sur scène, devant un public lyonnais plutôt froid. Et puis c’est au tour de Killah Priest de débouler, satellite de la galaxie Wu un peu paumé dans l’hyperespace depuis la fin du collectif Killabeez, malgré quelques efforts solos plutôt remarquables. Un peu engoncé dans son sweat triple XL aux couleurs de son nouveau duo Wu-Goo avec Ghostface, le prêtre tueur réussit pendant un gros quart d’heure à faire péniblement monter le mercure, backé par son accolyte Tueur au Visage Fantôme… en coulisses. Oui, voilà en coulisses. Oklm. Etait-il en train de checker son compte Twitter pépouze, ou d’essayer de se commander un Uber pour partir encore plus vite de cet endroit maudit ? On ne le saura jamais. La suite sera à la hauteur : un Ghostface qui débarque avec autant d’entrain qu’un électeur de gauche aux primaires des Républicains, casquette vissée sur le crâne et développant pendant 15/20 minutes une occupation scénique qu’on pourrait résumer à : « Je vais bouger vaguement l’avant bras et checker mon collègue de temps en temps de l’autre coté de la scène. » Le tout en intimant des ordres incompréhensibles à l’ingé lumières faisant de ce simulacre de concert le karaoké spécial Wu-Tang le plus cher, le plus long et le plus mal éclairé du monde.
Car si tu avais révisé tes classiques du Wu-Tang en plus de repasser ton sweat Fubu, ce soir là tu fus fourni-e, tant Ghostface semble avoir oublié qu’il jouit d’une sacrée carrière carrière solo. Des albums incroyables, des combinaisons improbables, deux pépites d’albums avec Adrian Younge… Bref, un répertoire long comme le bras qui méritait bien son heure et demi de show soulful et énervé. Réfugié derrière le folklore du Wu, à backer deux solos consécutifs de Old Dirty Bastard ou à faire monter sur scène un jeune fan pour rapper un couplet de Method Man – comme il l’avait déjà fait au Villette Street Festival -, Ghostface semble hélas avoir oublié que son taf ne se résume pas à « représenter » mais aussi à incarner l’esprit du Wu, ou ce qu’il en reste. Il ne suffit pas de demander à la foule d’agiter ses « W » dans les airs. Surtout que vu de loin, le geste ressemble plus à une horde de gens essayant d’illustrer au mieux un oiseau essayant de s’envoler, un signe Illuminati parkinsonien ou dans le pire des cas, un vagin mimé par un malade mental.
À une époque où le rap est aussi vivace et productif que la soi disante époque bénite, voire plus, on ne saurait trop te conseiller, cher aficionado, de réfléchir à deux fois avant de t’embarquer à nouveau dans ce genre de mascarade. Souviens toi, le rap des 90’s, c’est aussi cette ex avec qui tu as des rapports amicaux et quelques vagues bons souvenirs. De quoi vraiment remettre le couvert ?