Mercredi, 18h, heures locale. C’est tout juste débarqué de la tiédeur marseillaise que j’arrive dans la fraîcheur nantaise, pour trois jours de festival qui s’annoncent intenses avec Hip Opsession. Voilà comment aurait dû commencer cet article. Sauf que non. Non car le crétin congénital qui est derrière ce clavier a raté son avion – faisant sauter par là un tiers du temps qu’il aurait justement du passer à couvrir les festivités. Bravo morray. T’oublieras pas de passer chercher ta médaille sans passer par la case départ et sans toucher les 20 000 eu. 14 heures de car plus tard, me voilà arrivé dans cette fraîcheur tant attendue. Bisous papa, maman, le bro, le chat, et la fête peut commencer.
Vous reprendrez bien un peu de sauce blanche avec votre merguez ? Voilà qui pourrait être la note d’intention du concert de Ben l’Oncle Rap, premier artiste que l’on retrouve sur scène après notre périple, qui n’a d’ailleurs que peu à voir avec son cousin estampillé soul. Ou pour le dire autrement : si vous décidez de mettre ça en fond sonore à une donzelle à qui vous faites la cour pour créer une atmosphère jazzy plaisante, pas sûr que la demoiselle apprécie, surtout avec des morceaux s’intitulant « Coup de schlass dans le boule ».
Si Booba était Saddam Hauts-de-Seine, on a peut-être bien trouvé Saddam Hauts-de-France (pas sûr que la maire d’Hénin-Beaumont like ce jeu de mots). Une pensée émue, quand même, aux parents des enfants qui, ce soir-là, se seront vus enseignés les bienfaits de l’auto-gratification sexuelle de la plus radicale des façons, et auront aussi appris à faire avec leur bras la merguez qui flambe sur le barbecue – à l’écrit, c’est tout de suite moins parlant. Après une mise en bouche bien relevée que n’aurait pas renié un Gérard Baste en grande forme, place à la suite du barbecue – pardon, du festival – avec une soirée elle aussi bien garnie.
Le reste de la soirée a donc lieu au Ferrailleur, salle relativement petite par la taille mais grande par la constance de sa programmation, jamais décevante. Ce soir, la brochette alignée par Hip Opsession sera donc, dans l’ordre : Cleim Haring, FK, Gros Mo et Prince Waly, dans le cadre de la première soirée HRZNS en province. C’est donc Cleim Haring qui débute les hostilités avec un set maîtrisé et personnel, entre morceaux assez intimistes (« Bleu Nuit ») et bangers qui vous feront irrémédiablement bouger la tête – « Mon Soleil » rythme mes réveils depuis. Cleim et son irréprochable DJ, UJO, termineront même sur un double hommage des plus classieux : à la French Touch, d’abord, avec « You Are My High » de Demon, dont des boucles réapparaissent d’ailleurs dans « Mon Soleil », et à Grems, que Cleim citera volontiers comme une influence majeure. On le comprend. Comme l’interprète chauve de « Bruce Willis », Cleim cultive un ton assez unique, qui touche à d’autres champs que la musique, les arts plastiques en tête. C’est d’ailleurs à l’illustre Keith, artiste indissociable de la bouillante NY des 80s qu’il doit doit son pseudo. On a vu bien pire comme patronage.
Après Cleim Haring, c’est donc FK qui prend le relais. Sans jamais jouer la carte du chauvinisme, Hip Opsession a toujours su mettre en avant des artistes nantais, et FK est l’un d’eux. Dans le public, on a d’ailleurs l’impression que sa fanbase locale est déjà assez solide – comme en attestent les gamins qui connaissent les couplets par cœur, tout comme « les darons avec les cheveux blancs et les meufs qui chantent des morceaux hardcore ». C’est bon à savoir : si le rappeur a un trou de mémoire, il pourra toujours leur passer le micro. Après les saveurs locales, place aux spécialités du sud-ouest : c’est donc Gros Mo (après Ben l’Oncle Rap, on tiendrait presque là une thématique à la soirée) qui monte sur scène (avec son buddy Everydayz) pour imposer son rap lourd, sombre et poisseux – et accessoirement retourner la salle, tâche dont il s’acquittera avec les honneurs. Arrivé en backstage, on serait presque étonné de redécouvrir un type aussi affable et marrant, si on ne le connaissait pas depuis 2013, date de notre interview avec le bonhomme. On discute, et le rappeur se lance dans une entreprise précise et ordonnée, quasi-chirurgicale : la mise au point d’une très belle cigarette aux ail et fines herbes. Coller les feuilles, découper le carton, passer le matériel au grinder, effriter la cigarette, rouler et allumer le tout, c’est un art en soi. Gros Mo nous raconte des anecdotes : un jour, alors qu’il donnait un concert dans une maison d’arrêt près de Marseille, un détenu l’interpelle et, sans doute trompé par la grande barbe et la casquette, se met à le complimenter sur des albums qui sont en réalité ceux de Médine. Ironiquement, Médine, le vrai, était également à Nantes ce soir-là, sur scène, quelques 100 mètres plus loin. On laisse le « rappeur pantouflard » de Perpignan, selon ses propres mots, et retrouvons Prince Waly à qui revient la tâche de clore le bal.
Hip Opsession 2017, épisode 2. Ce soir, c’est à la Barakason que ça se passe. Salle comparable en taille au Ferrailleur, le lieu est également plein à craquer ce soir. En composant un lineup avec des têtes d’affiches et des talents parfois plus confidentiels, la production fait les choses pour proposer une programmation qui sort du tout-venant. Le public est réceptif et la chose fait plaisir à voir. En ce vendredi soir, c’est donc le trio rennais ArtIsAnal (typographié comme ça, faut-il le préciser) qui ouvre le feu. On discute d’un projet des plus intrigants qui vient de se clore pour eux, le tiercé Alpha, Beta et Gamma. Le principe ? Trois volumes, trois beatmakers, trois pattes différentes. Quand je leur demande s’ils laissent la porte ouverte à d’autres volets (après tout, l’alphabet grec compte pas moins de 24 lettres), ils avouent ne rien s’interdire – même si d’autres projets les occupent pour l’instant.
Après le trio rennais et son tiercé grec, place cette fois à un homme-orchestre : Lawkyz. Bassiste-contrebassiste à l’origine, le Nantais de cœur vient présenter ce soir-là son pendant beatmaker : The Waxidermist. Projet atypique et à géométrie variable, c’est le pendant live band de l’artiste, un groupe qui inclut ce soir-là Pumpkin (déjà présente le temps d’un feat au concert de Ben l’Oncle Rap la veille), Racecar et Jesuscrise, et compte également parfois un flûtiste et un violoncelliste. Hyperactif, Lawkiz a également collaboré avec ASM – A State of Mind (qui clôturera cette soirée irréprochable), et une jeune chanteuse russo-arménienne, Anna Kova. On se dit que le bonhomme est bien occupé, avant qu’il nous dise qu’il fabrique des disques… au sens physique, pressage du terme. Pas de doute, Lawkyz est de ceux qui prônent la musique comme art du métissage, et lui-même résume sa boulimie artistique avec brio : « On dormira plus tard, non ? » Après notre échange, retour en backstage avec les zoulous d’ASM, qui bougent la tête sur du Madlib. Peu après, ils montent sur scène pour eux aussi tout retourner – histoire de rappeler aux plus étourdis que la Bretagne, région de la crêpe s’il en est, était à un jet de pierre.
Leur set est dantesque et le trio enchaîne les morceaux de bravoure – des beats de 2Pac ou des Fugees – avec une facilité déconcertante. À la fin du concert, je me rends compte que, pour moi, le festival s’arrête déjà là – et que c’est bien dommage. J’espère néanmoins que je reviendrai en 2018. Je me dis que cette fois-ci, je viendrai en train, ce sera peut-être plus dur de le louper. Et puis je me souviens qu’un autre Nantais, en l’occurrence 20Syl, a déjà écrit un track là-dessus, et qu’il s’y excusait déjà de pomper Grand Corps Malade. Merde. Pas grave, je viendrai en stop.