Hologram Lo’ a bien mûri. Révélé comme le DJ du groupe 1995, le beatmaker a fait du chemin depuis. Posé dans un café arménien, Lo’ nous a parlé de son actualité. Beatmaking français, son label Don Dada, le succès de Nekfeu et le retour d’1995 : entretien avec l’un des plus talentueux dealers de son « made in France ».
Tu as forcément bougé la tête au cours de ces derniers moi ensoleillés sur un son de Lo’ ou sur l’une de ces nombreuses productions pour un de tes rappeurs préférés. Si certains suivent l’évolution artistique d’Hologram Lo’ depuis 1995, d’autres se dandinent sans le savoir sur l’une de ses instrus. Lomepal et Caballero (Le singe fume sa cigarette), Georgio (Soleil d’hiver), l’Entourage et des projets avec les potes d’1995 tels qu’Innercity avec Darryl Zeuja, Lo’ n’a pas chômé. D’autant plus qu’en parallèle, Louis a également sorti un projet solo, Deeplodocus et monté un label, Don Dada, avec Alpha Wann. Alors que son nouvel EP Lexus sort ce vendredi 5 août, ce mélomane qui n’a pas fini d’égayer le rap jeu fait le point.
SURL : Comment expliquer l’émergence de cette nouvelle scène de beatmakers et leur mise en avant ?
Je pense qu’il n’y a même pas besoin d’aller chercher dans le rap à proprement parler puisque historiquement, tu as quand même des groupes qui ont marché grâce à des beatmakers et non pas grâce aux rappeurs. Pete Rock et CL Smooth, ce n’était pas connu pour les raps de CL Smooth. Gangstarr, ce n’était pas connu pour les phases de Guru, soyons honnêtes. Après, là c’est clair qu’il y a une nouvelle scène à proprement parler qui émerge, mais les noms qui émergent de cette scène là ne viennent pas forcément du rap. C’est des mecs qui sont pour moi juste des créateurs et qui sonnent comme s’ils étaient des beatmakers. Mais par exemple, Stwo qui est, en France, un peu notre exemple de cette scène là, je ne crois pas qu’il ait été beatmaker avant d’être Stwo. Maintenant, il produit pour des rappeurs mais pour moi, cette scène est en marge du rap.
Toi par contre, tu es l’exemple de quelqu’un qui vient réellement du rap ?
Oui oui du rap, je suis strictement l’exemple du beatmaker qui se développe tout seul. Ensuite c’est vrai que c’est compliqué à expliquer. Il y a cette nouvelle scène en tout cas.
Cette nouvelle scène contribue donc au renouveau du genre ?
En fait depuis le début du rap, le beatmaker a une place énorme puisque c’est lui qui fait évoluer la musique. Le rappeur lui fera évoluer le propos, là ou le beatmaker fera évoluer la musique. Et là, la naissance de cette scène alternative de mecs qui sont à moitié entre l’electro, dans la house mais qui en même temps te rapportent ça à de la trap et donc à des rythmes rap, ben ça fait du coup beaucoup plus évoluer la musique rap. Logiquement, on n’est plus sur un concept où il y a une boucle qui tourne. Et même dans la musique actuelle, ça se ressent dans la qualité des voix des rappeurs. Tu as l’explosion de l’autotune, du vocoder et ça rejoint directement la naissance de cette scène puisque c’est le beatmaker qui va utiliser la voix de son rappeur comme un instrument pour faire vraiment de la mélodie. Si tu regardes les morceaux actuellement, il y a des refrains de plus en plus mélodieux, alors que si tu regardes des morceaux de 2005 ou 2006 dans le rap français, on était dans un truc beaucoup plus classique. C’était juste des rappeurs qui allaient ambiancer un morceau de A à Z, avec couplet, refrain, couplet, refrain couplet, sans effet quelconque sur leur voix.
Justement, dans ton travail, dans quoi es-tu le plus à l’aise ? D’autant que tu travailles avec des rappeurs très différents. Comment tu t’adaptes à cela, comment tu t’y prends ?
Je ne m’adapte pas forcément. J’évolue seul dans mes prods. Mais après c’est vrai que chacun a ses trucs. Je sais que Zeuja [Areno Jaz] ne va pas pouvoir poser sur un BPM trap, pour être grossier, donc entre 60 et 70 BPM. C’est peut être un peu trop lent pour lui. Alpha, il va être intéressé par ce genre de BPM, mais peut être que ce qui lui colle plus, c’est un truc plus classique. Et c’est là où Nekfeu est un exemple, il est tout terrain. Tu peux lui proposer tout et n’importe quoi. Il est arrivé – tu peux le remarquer sur son album – à une maîtrise de sa voix, de son flow. Il a explosé ses limites quoi.
Donc moi, pour répondre à ta question, j’essaie de me limiter un peu lorsqu’il s’agit d’une prod. Ces derniers temps, je me suis rendu compte qu’une prod de rap, c’est une prod de rap et un beat solo, c’est un beat solo. Tu ne peux pas te permettre de mettre tout et n’importe quoi sur une prod de rap. Je ne m’en rends compte vraiment que maintenant. Tu dois laisser la place au rappeur. Les mecs aiment bien qu’il n’y ait presque rien sur leurs couplets et que sur le refrain, tu leur mettes la puce à l’oreille mélodiquement sur ce qu’ils peuvent raconter. C’est un tout qu’il faut comprendre en fait.
Et sur tes projets solo, comment est-ce que tu bosses ?
Je ne veux pas m’enfermer dans un style. Récemment, j’ai fait un peu de house parce que c’est un style que je n’avais jamais essayé. Même si j’en suis capable, je me suis rendu compte que faire de l’électro et du rap, c’est deux processus complètement différent. J’apprends beaucoup de tous les styles de musique. Et bien qu’étant ouvert sur les tous les genres, je sais bien que je ne peux pas faire de son trop « hard », parce que j’ai un public à la base qui ne vient pas de là. Les différents EP qui sortiront à la rentrée montreront différentes facettes de ma musique.
Est-ce qu’une carrière à la DJ Mehdi peut te servir de blueprint, de modèle ?
Carrément, j’ai adoré le travail de Mehdi qui a commencé dans le rap avec la Mafia K’1 Fry et qui ensuite a réussi dans l’électro. Même si je n’aime pas utiliser le terme « modèle » car je ne veux pas faire du Mehdi mais forcément, son œuvre est une référence. Et si tu regardes bien, aussi bien dans le rap que dans l’électro, il gardait les mêmes influences avec des influences kainfri, des samples de musique rebeu… En tout cas, aujourd’hui, je ne veux pas rester bloqué dans un genre de musique. Je veux pouvoir toucher à tout.
Pour en revenir sur la relation avec les autres beatmakers en France, sur ton EP Rov or Benz avec Alpha Wann et Prince Waly, tu invites des beatmakers. Comment tu vois ta relation avec eux ? Il y a une forme de concurrence ?
Non, je ne vois pas ça comme une concurrence. Je vois ça comme une école, surtout qu’on a la chance d’être en France et je vais être chauvin, on a la chance d’avoir quand même un héritage musical fort. Tu le ressens surtout quand tu es à l’étranger d’ailleurs. Que ce soit à l’époque de la soul, de la house des années 90… la France c’est la France. Ça sonne et il y a le son français. Donc non, ce n’est pas du tout de la concurrence. Moi, je m’inspire de ce que fait Everydayz, je m’inspire et je me suis inspiré de ce que fait Stwo, j’aime beaucoup. Ikaz, dans les trucs vachement trap qu’il fait, j’adore. Je respecte aussi énormément le boulot de Fiasko. Lui, il est 100% analogique, il ne va rien travailler sur son ordinateur. Il va peut être te sortir à la fin les pistes finalisées, mais sinon il ne travaille que sur machine. Donc tu vois, je puise les trucs un peu à droite à gauche. Si c’est de la concurrence, c’est de la concurrence super saine.
C’est un milieu très connecté au final, même en dehors du cadre pro ?
Ouais ouais, on est tout le temps en contact. Soit quand ils passent à Paris ou quand moi je suis dans le Sud, pour parler d’Everydayz. À la base, c’est le DJ de Nemir, je l’ai rencontré comme ça. Moi j’étais le DJ d’1995 et lui celui de Nemir, donc on se croise sur la route, on joue dans la même ville, le même événement à Paris, on s’échange des trucs, c’est super cool. Mais après, je bosse assez solo dans mes trucs, aussi bien sur mon label que sur mes projets. Mais je suis totalement ouvert.
Justement, tu peux nous parler de Don Dada ? D’où ça vient ?
C’est né de cette influence commune, de cette direction commune entre Alpha et moi, aussi bien dans le rap que dans la musique en général. On s’est progressivement rendu compte qu’on kiffait pas mal les mêmes choses, surtout en terme de rap français. Parce qu’Alpha, il bouffe que du rap, que ça, que ça et que ça, que ce soit du rap cainri, anglais ou français. On se retrouvait pas mal sur les mêmes choses donc on s’est dit que si un jour on voulait mettre de l’oseille ou de l’investissement personnel dans des projets extérieurs, autant créer un label. On a créé Don Dada. Pour l’instant on se concentre sur ce que l’on sort nous, à savoir le deuxième EP d’Alpha, Alph Lauren 2, mon deuxième EP et une petite série de projets que je prépare. On est entrain de monter notre petite équipe, aussi bien de beatmakers, d’artistes, de rappeurs. Voilà, je pourrais en citer, mais vu que c’est pas du concret, ça sert pas à grand chose pour l’instant.
« Chaque artiste quand il rentre chez Don Dada doit avoir son disque assuré et sa tournée assurée »
Quel est l’objectif à terme ?
C’est d’avoir suffisamment de thunes sur le label. Strictement, parce que si tu veux créer une boîte c’est pour pouvoir faire du chiffre, pour pouvoir proposer un… [il s’arrête, tend l’oreille du côté la scène] Tiens, ça joue du Infinit. On aimerait bien bosser avec lui par exemple sur Don Dada.
On veut pouvoir proposer un luxe, une forme d’opulence à l’artiste pour qu’il fasse son projet comme il le souhaite. Parfois, on est limité pour ce qui est des clips. Parfois on est limité pour un budget mix. Là, l’objectif c’est de tout unifier vers le label. C’est à dire trouver un tourneur qui soit intéressé par le projet, trouver un distributeur. Je te dis ça, c’est déjà en cours. Chaque artiste quand il rentre chez Don Dada doit avoir son disque assuré et sa tournée assurée.
Pas trop complexe de créer un label aujourd’hui en parallèle de vos activités ?
Je ne veux vraiment pas enfermer Don Dada dans du rap ou de la musique électronique. La preuve, actuellement, je rêve de trouver un groupe de soul, un groupe d’instruments. Je sais pas si tu as écouté BADBADNOTGOOD, qui marche très bien en ce moment. Moi je suis toujours en retard donc je viens d’écouter et je trouve ça exceptionnel. Limite tu as envie de tout sampler, c’est une mine d’or, même s’il ne faut surtout pas le faire. Je rêve de pouvoir produire un truc comme ça. C’est chanmé. Comme de produire une chanteuse, donc je ne suis pas du tout dans un truc ou je veux m’enfermer.
Donc à la fois c’est difficile, mais à la fois c’est super intéressant. Cela m’apprend un peu un métier. J’étais super jeune quand 1995 a marché, j’avais genre 19 ans, un truc comme ça, et j’étais un peu con dans ma tête. Flav’, qui est un peu celui qui a concrétisé ce qui s’est passé pour 1995, n’avait pas forcément le temps à l’époque de m’emmener dans tous les rendez-vous. Et là du coup, je découvre ce qu’est ce boulot. Rencontrer des distributeurs, rencontrer des managers, tout ça. Donc c’est super intéressant, ça me prend du temps que je ne passe pas forcément derrière les machines, mais ça me va.
Justement, l’expérience 1995 et le fait de tout devoir apprendre sur le tas te sert énormément ?
Oui, on a tout appris sur le tas. Maintenant, je m’assume beaucoup plus face aux mixeurs, je sais beaucoup plus ce que je veux. Je sais avec qui je veux le faire et encore plus avec qui je ne veux pas le faire grâce à l’expérience que ça te donne de manière générale. Ça nous a donné une expérience folle. Et c’est pas fini, on est sensé repartir.
C’est quoi vos projets avec 1995 ?
C’est d’avoir une banque de son déjà. On n’a jamais eu vraiment le temps avec 95 de passer du temps sur un projet, comme tu passes du temps sur un album. Donc c’est un peu le pari de l’année 2015 avec 1995, c’est de prendre le temps, de bien faire les choses. Donc après, est-ce que ça passe par une distribution gratuite pour revenir, une distribution payante… C’est des trucs sur lesquels on ne se prend pas la tête pour l’instant. On a toujours fait de la musique avec 95. C’était avant tout ce qu’on kiffait, donc voilà, c’est un peu ça le pari.
C’est pas trop dur de se retrouver à l’heure où les projets solos se multiplient ?
On ne se voile pas la face, quand on est en période de solo comme ça, on ne veut pas presser les choses. Mais l’année dernière, il y a eu une période de vide, on était en studio, on est parti s’enfermer à la campagne. Dès que ça va se calmer pour Nekfeu – et je ne souhaite pas que ça arrive et dans tous les cas ce n’est pas prévu pour tout de suite -, on va vraiment y aller.
« c’est un peu le pari de l’année 2015 avec 1995, c’est de prendre le temps, de bien FAIRE les choses »
Tu t’attendais à un tel succès pour Feu ?
Ça ne me surprend pas. Et en même temps, je suis surpris parce que c’est énorme, ça fait plaisir. En fait, je suis surpris, mais je ne suis pas étonné dans le sens où il le mérite tellement. Si tu regardes historiquement, il a toujours porté tout le monde. C’est même le plus gros porteur de l’étendard de l’école qu’on représente du rap parisien, l’Entourage, 1995, S-Crew, 5 majeurs. C’est toujours lui et c’est tellement mérité ce qui lui arrive. Je suis ravi, c’est un album que je trouve réussi de fou. C’est la première fois que je trouve un album aussi abouti dans ce qu’on a fait ou proposé, aussi bien dans les singles que dans la défense du projet, dans la promo. En promo, il est parfait, on a rien à redire sur la manière dont il se présente. Chapeau bas.
Est-ce qu’ont peut dire qu’il incarne la réussite d’un modèle ? De votre modèle ?
Exactement, c’est ça. C’est que le mec au final, c’est toujours le même Nekfeu qu’il y a cinq ans quand on mettait nos sons sur Internet. Nekfeu, c’est toujours lui qui gère ses pages, c’est toujours lui qui répond aux fans, c’est toujours lui qui deale ses propres trucs. C’est un monstre de boulot en fait ce mec. Quand il écrit pas; c’est qu’il est en train de bosser sur du S-Crew, s’il n’est pas en train d’aligner les planètes pour l’Entourage. C’est un monstre de boulot, c’est normal que ça lui arrive.
Vous êtes pourtant tous très différents dans 1995. Du quel te sens tu le plus proche artistiquement ?
Ben Flav on sait tous qu’il bosse énormément, il a plusieurs business. Il est manager de Georgio et d’autres artistes pas forcément rappeur. Ensuite non, je me retrouve dans chaque projet, dans chaque personnalité du groupe. 1995, c’est avant tout une bande de potes qui depuis toujours écume les open mics avec comme seul kif la musique. Et on a vraiment envie que cela reprenne.
Merci aux copains de Ratchet Lab pour le heads up.