« Adamn ». Comme il aime le rappeler à longueur de morceau, Adamn Killa n’est autre qu’Adamn, rappeur torturé à la chevelure rose, qui ne passe inaperçu ni dans une campagne de pub, ni dans un studio d’enregistrement. Chicagoan d’origine, sa musique ne peut pas être décrite uniquement sous cet angle. Tout au plus certains morceaux rappellent-ils les essais pop de quelques autres stars issues, comme lui, du très violent South Side de la ville – Chief Keef (« Ain’t Missing You ») ou King L(ouie) (« M.O.N.E.Y. »). Sur de sérieuses vapeurs d’autotune, Adamn concocte un poison sucré infectieux.
Hypnotique. Voilà un mot qui revient souvent pour décrire ces rappeurs qui, depuis 2010, s’essaient à infuser un spleen communicatif à travers des voix plus ou moins retravaillées. On aimerait donc s’en passer pour décrire la musique du rappeur de Chi-Town. Oui, mais voilà : rien ne semble mieux convenir aux livraisons somnolentes du cavalier. Entre flows volontairement paresseux et mélodies croissant comme des spores sur un panorama musical tissé par des productions souvent travaillés, Adamn Killa poursuit le #mood avant tout. Quitte à proférer menaces et egotrip en donnant l’impression d’être à deux doigts de pleurer.
« Ce qu’on a à vendre sent pas la lavande », disait Booba en 2007. Dix ans plus tard, on peut raisonnablement affirmer que beaucoup de rap actuel sent la lavande, et que le public est loin de s’en plaindre. Il apparaît d’ailleurs que le style singulier d’Adamn lui a attiré les faveurs de producteurs en vue qui ont parfaitement compris comment soutenir sa voix lorsqu’elle est proche de s’éteindre, et lui laisser de l’espace lorsqu’elle s’envole en mélodies virevoltantes. Début 2016, Back 2 Ballin lui offre une soudaine exposition, plus encore que Libra Season, l’EP qui l’année précédente l’avait placé sur le radar des observateurs attentifs. Sur Mr 650, Adamn Killa travaille avec DP Beats, producteur proche de Chief Keef. Il se rapproche en parallèle de Yung Lean, esthète suédois qui s’inscrit dans un cercle d’influences voisin. Cette connexion suédoise, issue des réseaux sociaux, a d’ailleurs valu un petit coup de projecteur sur le rappeur, qui a profité du rapprochement avec le public des Sad Boys nordiques. Amateur de divagations autotunées sur des prods synthétiques et planantes, celui-ci ne pouvait qu’accrocher au rap chanté d’Adamn. Jusqu’à accoucher entre autres feats d’un « Ten » produit par Shlohmo qui soulignera la complicité avec Yung Lean, après une tournée commune et quelques apparitions dans leurs clips respectifs.
Sur sa dernière tape I Am Adamn, le rappeur s’est entouré d’une équipe qui ferait frémir d’excitation tout opposant à la frontière mouvante entre rap et électronique. Mentionnons Ryan Hemsworth et Shlohmo par exemple. Collaborateur ponctuel de Deniro Farrar, Hoodrich Pablo Juan ou encore Nef The Pharaoh, le premier flirte depuis ses débuts avec une scène rap qu’il ne cesse de mixer et remixer. Le second, lui, a notamment joué les chefs d’orchestre pour un excellent EP avec Jeremih et quelques envolées feutrées avec Tory Lanez. Leur caution apporte un certain attrait à cette tape sortie très récemment. Mais le véritable plat de résistance vient de l’équipe de frenchies réunie par Adamn. Autour de la galaxie Bromance, Sam Tiba, Myd, 8tm, Ikaz Boi et bien sûr Brodinski s’activent derrière les manettes pour propulser le projet sur orbite.
Enregistré en partie dans des studios parisiens avec Brodinski, I Am Adamn s’ouvre sur les mélodies infectieuses de « Guap », où Sam Tiba entoure le rappeur d’une atmosphère soyeuse soutenue par des accords de piano qui donne à la prod des accents très pop. Le genre d’instru à la fois rétro et avant gardiste qui pourrait se retrouver sans prévenir sur le projet d’une popstar. Partant de sa simple addiction à l’argent, Adamn brode quelques mélodies qui évoquent ce qu’a pu faire Lil Yachty, le côté nasal et enfantin en moins, la menace sous-jacente en plus.
Sur « Roseland Baby » (dédié à son quartier d’origine), Adamn Killa éclabousse de sa fantaisie la prod bondissante de 8tm. Sur le fond, son propos tient à peu de chose. Il est Adamn – quitte à le répéter une fois de plus – et il n’est pas comme eux. Ces mecs-là l’ont sous-estimé, ces mecs-là n’ont compris leur erreur que trop tard. Ces meufs ne se sont d’ailleurs pas rendu compte de l’énergumène à qui elles ont affaire. Ce sentiment de supériorité assez banal prend son envol lorsqu’il est mixé avec les raps nonchalants et les mélodies assoupies d’Adamn. Moment fort de la tape, « Turtle Feet », produit par Ikaz Boi, n’est pas beaucoup plus qu’une divagation de trois minutes partant du principe que ces mecs sont beaucoup trop lents. Et pourtant, ça fonctionne. Ikaz Boi propose une prod proche de ce qu’il a pu sortir avec Myth Syzer sur leur très bon EP Cerebral. À un moment, on se dit que l’instru se porte tout seule et que personne ne pourrait rapper là-dessus. Assertion très vite démentie par Adamn avec son flow étrangement tranquille et féroce. En restant très cohérent dans ses codes au risque de parfois s’y retrouver en huis-clos, Adamn crée un univers auquel on finit par s’identifier. Et nous sert un philtre étrange qui nous amène à nous sentir, nous aussi, Adamn.
En contrepartie, le style perd en variété ce qu’il gagne en cohésion. Si vous n’accrochez pas à un morceau, il y a peu de chances qu’un autre vous convainque. Le refrain « Pay your rent / You live in a tent » n’amusera peut-être pas tout le monde. Pour les autres en revanche, I Am Adamn combine cette personnalité proche du dessin animé avec des prods de haute volée pour emporter jeu, set et match. La musicalité de I Am Adamn ne superpose pas les instrus et les flows : elle s’entend comme un tout indissociable. Le choix des productions qui côtoie le All-Star Game sur ce projet jouera certainement beaucoup dans le succès futur du chicagoan. Adamn ne fait d’ailleurs que très peu de feats rappés, son meilleur allié restant le cocon dans lequel il s’enveloppe.
Avec un goût pour la mélodie qui l’inscrit dans la lignée du rap – post-rap ? – de Lil Yachty et consorts, Adamn Killa s’élève en fier représentant du rap des années 2010. Celui qui n’a que faire des frontières, qui s’acoquine avec d’autres genres mais n’oublie jamais l’essence même du game, quitte à ne garder que ça : un sentiment d’urgence qui pousse à s’extirper, une envie d’exprimer que l’on vaut mieux que tout ça. Soutenu par des producteurs en vue, notamment l’équipe Bromance qui déferle fort comme une nouvelle vague de la French Touch, ses efforts ne laissent pas indifférent. Adamn est ce coyote des cartoons qui se déguise en mouton pour se fondre dans le troupeau avant de lancer une féroce attaque surprise. Le poison dans un emballage de bonbon rose.