De passage à Londres, on s’est posé une heure dans un café de Liverpool Street avec le très prometteur emcee britannique, Adian Coker. Après une première partie d’entretien sur son parcours, sa musique et ses récentes sorties, le rappeur s’attarde sur le malaise que traverse la scène hip hop au Royaume Uni. D’ailleurs, y a-t-il vraiment une scène hip hop au pays de Joey Barton et de Vinnie Jones ?
SURL : Donc, « Young World ». Tu n’avais pas de featuring sur ta dernière mixtape, ça va changer avec ton nouvel opus ?
Adian Coker : J’ai des chanteurs ouais, mais pas de rappeur. Je suis un peu égoïste, tu sais. (rire) Je voulais un feat pour être honnête, un seul. Sur la track « Suicide Drive », je voulais Giggs dessus. Mais mon problème avec les collaborations, c’est que je me laisse trop emporter dans mes couplets. Si je fais des featurings, je ne ferais que des sons de six ou sept minutes, parce que je veux tout le temps écrire trois couplets, kicker un 32… Tu vois le genre ? Quand je fais le beat, je sais qui devrait être dessus. Je me dis que ce morceau a besoin d’une collaboration et que c’est cette personne qui doit être dessus. Si je n’arrive pas à l’avoir, il n’y a aucun intérêt à aller trouver un mec au hasard pour qu’il pose dessus. C’est pour ça que je voulais Giggs sur « Suicide Track », vraiment. Ce morceau est fait pour lui putain, je le voyais trop balancer ses gimmicks sur le troisième couplet. J’ai pas réussi à l’avoir, mais on fera un remix ! Mais tu vois ce que je veux dire ? Les featurings doivent avoir du sens. Je lisais un truc sur J Cole récemment, sur sa track « Power Trip », il expliquait qu’il avait fait le refrain et qu’il l’avait fait écouter à Jay Z. Et Hova a directement dit qu’il lui fallait Miguel dessus. Il a fait la même chose avec No I.D. qui lui a aussi dit que c’était fait pour Miguel. Donc le featuring avait du sens ! Il coulait de source. Parfois tu fais des feats dans un but marketing, ça aide, mais parfois t’en as juste pas besoin.
Donc c’est plus un choix artistique qu’autre chose ?
C’est sûr. Après, ça rend ma vie bien plus dure, sans aucun doute. Mais bon, c’est ce que je veux faire en ce moment jusqu’à ce que je sois vraiment désespéré. (rire)
D’ailleurs, tu ne fais que de la musique en ce moment ou tu as un job à côté ?
Non, j’ai pas de boulot en ce moment. Mais normalement je bosse ouais, j’ai quitté mon boulot récemment. Je suis pas un cas social hein. (rire) Non, je suis un tuteur en langue anglaise, j’ai étudié l’anglais à la fac. J’apprends à ces motherfukin’ black kids comment prononcer correctement leurs mots, entre autres. (rire)
Il y a des gamins que t’as eu comme étudiants qui ont vu tes vidéos ?
Quand je travaillais dans une école, c’était insupportable. Quand ils ont trouvé ce truc, oh my god… Ils ont fait des groupes sur Facebook, ils mettaient mes sons end cours, ils venaient me voir en fredonnant mes lyrics…
C’est une image plutôt sympa du Royaume Uni de 2013 où les rappeurs enseignent l’anglais.
Ca l’est ! C’est dingue. Mais j’essayais de garder mes distances vis à vis de cette situation.
A propos de « Cream » et de ta tape « Lights Fantastic », tu as eu des retours de la part de personnalités du milieu ?
Ouais, les retours étaient super. Beaucoup de gens ont trouvé que c’était un peu… underground, alors que je trouve que c’est plutôt mainstream. Ils ont trouvé que c’était vachement différent de ce qu’ils avaient l’habitude d’entendre. Peut-être parce que c’est le Royaume Uni et que les gens sont habitués à la pop, au grime, à la dance… Il n’y a pas vraiment pas de scène hip hop et s’il y en a une, c’est forcément quelque chose de caractérisé comme « underground », « old school ». Un peu comme Rejjie Snow, tu vois ? Donc les retours étaient bons parce que c’était différent je pense, c’était pas un truc qu’ils avaient l’habitude d’écouter. Les gens ont kiffé.
Tu penses du coup qu’il y a une place à prendre dans le hip hop britannique ? Parce que les rappeurs british, on a un peu l’impression que dès qu’ils deviennent un peu connus, ils dérivent vers d’autres genres musicaux. Ils suivent un peu la voix tracée par Dizzee Rascal, no disrespect. Prenons l’exemple de Tinie Tempah, également ? Et c’est propre au Royaume Uni, parce que les rappeurs US – certains – arrivent à devenir vraiment connus en restant des… rappeurs.
Je pense pas que ça soit vraiment voulu. C’est juste que… tu n’as pas le choix, en fait. C’est juste parce qu’il n’y a pas vraiment de marché pour le hip hop ici. En fait, on en a un sans en avoir un : on a un marché hip hop qui est lié au hip hop US, mais on n’a pas une culture hip hop assez forte pour en avoir un propre au UK. Même si les artistes britanniques n’imitent pas les américains, s’ils font de la musique de qualité les gens diront qu’ils essaient de faire de l’américain. C’est aussi simple que ça. Et si ta musique n’est pas assez bonne, les gens s’en battront les couilles. Mais j’ai été a des concerts de rappeurs US où t’avais des queues de 400 mètres, donc il y a un bien marché. L’idée c’est qu’il faut se positionner de toi-même, te faire une place et un nom en solo sans te laisser influencer par un label qui te poussera à t’identifier aux kainris ou à te tourner vers la pop. C’est la pire chose pour moi, c’est le genre de truc qui me ferait arrêter la musique si l’on devait me guider vers telle ou telle directions. Bien sûr que je veux vendre des disques, mais tu dois être intelligent dans ce que tu fais, je veux faire de la musique comme je l’entends.
Tu te sens capable de remplir ce spot ? D’occuper cette place à prendre ?
Pour sûr. Il n’y a personne ! Il y a vraiment une place à prendre ! Je sens vraiment qu’avec la musique que l’on propose et que je fais, ça peut arriver. Ce n’est pas trop éloigné de ce que font ces artistes de renom dont les gens achètent les disques.
Michael : C’est pour ça que c’est un challenge au niveau de la promo, on doit se projeter à l’international parce qu’on ne peut se contenter du marché britannique tellement il est… inexistant. Ici, il n’y a pas vraiment des trucs équivalents à Complex, Fader… un media purement hip hop quoi.
Adian : Il faut vraiment cultiver une culture qui nous est propre, à laquelle on s’identifie vraiment. Je me souviens quand Tinie (Tempah) a commencé à devenir big, avec « Pass Out » et l’album qui va avec, il y avait une vraie excitation, un vrai sentiment vers lequel tout le monde gravitait. C’est comme si les gens n’avaient jamais rien entendu avant, c’était dingue. Et ce genre de truc peut arriver de nouveau. La raison pour laquelle les gens étaient comme ça, c’est parce que son truc était vraiment différent par rapport à ce qu’on habituellement ici. Les gens n’avaient jamais entendu ce genre de truc avant.
Mais justement, pour en revenir aux producteurs, Tinie Tempah n’en serait pas là où il est aujourd’hui sans Labyrinth, ils sont un peu devenus « big » ensemble.
Ouais, c’est pas faux. Labyrinth amenait l’aspect musical que Tinie ne pouvait pas apporter. Ils voulaient aller dans la même direction, c’est pour ça que ça a marché. Je pense juste que si Tinie avait fait le beat lui-même, on n’aurait pas cette conversation. La seule raison pour laquelle on en discute, c’est parce qu’il n’était pas capable de le faire. Je peux, donc ce n’est pas vraiment la même chose. Non pas que je me compare à Labyrinth ou quoi que ce soit hein, tu vois ce que je veux dire. Ce n’est juste pas la même chose parce que c’est un rappeur, moi je suis aussi capable de produire. Mais quand tu penses à « Pass Out », les gens ne s’en rappellent pas comme un morceau de Labyrinth. Mais c’est vrai que ça a lancé les deux en même temps.
Du coup c’est assez courageux de se lancer complètement en solo, sans appui, sans répartir la charge de travail et diviser les responsabilités. Ca t’effraie pas un peu ?
Non, pas du tout. Je suis confiant, j’aime la musique et le son que j’arrive à produire. Je me base juste sur le fait que des gens l’écoutent. Si personne n’écoutait ma musique, je me poserais des questions. Je réalise qu’il me reste beaucoup de chemin à parcourir, mais je sens vraiment qu’il y a un chemin, au moins. Je sens que je dois continuer, que je peux le faire. Et puis faut être réaliste aussi, si je suis en majoritairement en solo c’est également parce que je ne fais pas encore partie de ce cercle là.
Michael : Les portes ne sont pas fermées, elles sont juste un petit peu dures à ouvrir.
Adian : Il y a un morceau qui s’appelle « MIA » que vous n’entendrez jamais (rire) que j’ai joué à Austin Daboh, le manager musical de Radio 1Xtra [ndlr, un mélange entre Skyrock et Générations, en gros]. Il me l’a dit directement : « C’est une tuerie. Tu sors ce son en radio, tu l’entends partout. » C’était un truc dans le genre de ce que fait Tinie Tempah aujourd’hui. Finalement, on a décidé de ne pas le sortir. On voulait rester profondément… hip hop.
Pour télécharger ses mixtapes et trouver plus d’infos, rendez-vous sur son site officiel. Et pour relire la première partie de l’interview, c’est ici que ça se passe.