Interview // Akhenaton x Pablo Reinoso

jeudi 14 juin 2012, par Julie Green.

Un après-midi de mai dans les bureaux d’Adidas. On y parle de foot, beaucoup, de l’Euro, de Trézéguet, on y boit du thé avec de charmants barmens, et en ce qui me concerne, dans cinq minutes, on rencontre Akhenaton. C’était le jour de l’imbécile polémique de la faute d’orthographe sur le maillot de l’OM, beaucoup d’encre pour rien. Et l’encre pour rien, on ne peut pas vraiment dire qu’Akhenaton, père des pères du rap français, mentor, grand sage, passionné d’histoire et de musique, ai l’habitude d’en faire couler inutilement.

Le plus simplement du monde, lui et Pablo Reinoso m’accueillent comme deux vieux copains, signent mon maillot gracieusement offert par Adidas, puis le vinyl, parlent de Marseille avec un journaliste. Loin des délires d’une presse plus affairée à ses attaques mesquines qu’à saluer ceux qui le méritent, AKH et Pablo se livrent avec enthousiasme et passion sur leur attachement au sport, de leurs valeurs, mais aussi à la musique et à la vie. Nous l’avions déjà rencontré il y a quelques temps pour lui poser quelques questions sur un autre thème, et après notre récente interview avec son acolyte Shurik’n, c’est à croire qu’IAM, c’est notre domaine désormais.

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SURL : Akhenaton, nos lecteurs te connaissent bien, Pablo, un peu moins… Tu peux te présenter en quelques phrases ?
Pablo Reinoso : Alors je suis né en Argentine, d’une mère française. Mon métier, c’est être sculpteur. Et plus tard dans la vie, je me suis tourné vers des activités de designer. Maintenant je fais les deux. Comme designer, j’ai beaucoup travaillé pour des marques de luxe, et ensuite je me suis ouvert à d’autres horizons, dont le football. En France, j’ai notamment travaillé sur la conception de la coupe de la Ligue : le trophée, mais aussi l’image institutionnelle. J’ai aussi travaillé pour la Formule 1. Ce qui est intéressant quand tu crées un objet design, il va être ensuite reproduit à un milllion, 2 millions, 3 millions d’exemplaires. Dans le football, tu fais un objet qui est reproduit visuellement à l’infini, mais il n’y a qu’un seul objet. C’est exactement le contraire. Tu renforces la capacité signifiante de l’objet. Ici, à l’OM, en quelque sorte c’est un peu la même chose : si tu as un produit dérivé qui va se vendre, toi, quand tu penses l’objet, tu le penses pour 11 joueurs, pour une équipe, pour une ville. Tu ne penses pas aux déclinaisons, aux couleurs… Tu penses à une chose : comment tu vas permettre à l’équipe d’incarner quelque chose. C’est dans l’ADN d’un designer. J’espère que je me suis bien présenté !

 

[highlight]Pour moi les grandes équipes sont celles qui savent former de futurs joueurs.[/highlight]

 

Qu’est ce qui vous lie au football ?
AKH : Ce qui nous lie au football, c’est avant tout la passion. C’est la passion de ce sport, de ce qu’il représente, ce qu’il représente dans la société aujourd’hui…

Pablo : L’opportunité qu’il peut donner à l’humanité toute entière. Si on arrive à faire passer des beaux messages, si le sport se déroule dans de bonnes conditions, c’est quelque chose qui soude, qui fait qu’une bagarre entre l’un et l’autre est une bagarre sportive, on peut passer en démocratie. Par exemple il vient d’y avoir les élections chez moi, le climat était très tendu, il reste assez tendu mais je ne veux plus de dictature. Je ne veux plus de non passage d’une démocratie à une autre, je ne veux plus que quand un parti commence à avoir un peu trop d’idées, les militaires arrivent, tac, ils te cassent la tête et tu vas en taule. Le football pour moi permet de canaliser cette aggressivité sur des règles d’un jeu auquel tout le monde peut adhérer : c’est facile à apprendre, tu n’as pas besoin de sortir d’une grande école, mais tu dois investir dans d’autres valeurs, dans l’éducation, dans ce qui est l’avenir. Pour moi les grandes équipes sont celles qui savent former de futurs joueurs.

AKH : Entièrement d’accord.

Pablo : (il reprend) …pas celles qui vont aller chercher le joueur le plus cher, ça à la rigueur ce n’est pas trop difficile, mais celles qui comme à Barcelone sont capable de créer une école qui sort des joueurs. Les jeunes vont y aller pour tenter leur chance, qui peut-être seront formés, qui peut-être auront un avenir. Et avoir un sport qui réunit ces qualités, et qui à une telle dimension planétaire, ça c’est une chance! C’est quelque chose d’énorme. Donc oui, pour moi le football c’est d’abord une passion, mais quand j’ai réalisé le potentiel de paix que ça peut apporter…c’est extraordinaire.

AKH : on a souvent taclé le football comme étant un facteur de trouble, d’opposition de supporters…on oublie trop souvent le ciment que ce sport, le sport en général, mais le football en particulier puisque c’est le sport le plus populaire du monde, il peut créer de grandes joies de masse, comme on l’a connu en 98. Les français sont en manque de ce type de joies parce que…il n’aurait pas fallu y gouter (rire)…il n’aura pas fallu mais on y a gouté et on en redemande! Pour faire simple, je pense que le sport et le football peuvent procurer ce que 10 000 discours n’arrivent pas à engendrer.

C’était le grand débat après 98…
AKH : Ouais, et puis il y a une certaine forme de mépris qui s’est installée. Alors certains hommes politiques aiment le foot, certains ont aimé sur le tas, et il y en a qui détestent…Un truc que je ne je comprends pas, c’est comment on peut s’en prendre à des joueurs systématiquement, à les traiter de « racailles milliardaires », à les caricaturer, à dire que c’est des imbéciles, dire qu’ils touchent trop d’argent. Moi ça, ça me dérange. Tu sais pourquoi ? Je me dis, pourquoi les français s’en prennent systématiquement aux joueurs, dans le processus de toucher trop d’argent, pourquoi ils s’en prennent pas directement aux sponsors, aux chaines de télés qui diffusent ? Quand c’est eux qui gagnent énormément d’argent c’est normal, mais quand c’est le footballeur qui ressemble au petit voisin de palier et qui a son casque Beats by Dr Dre sur la tête, là ça te fait chier ? Et y’a un gros distributeur qui te chies à la gueule à longueur d’années à faire les prix qu’il veut dans son supermarché, et qui gagne son fric avec l’argent de tout le monde, ça ça t’embête pas ? C’est ça qui me pose un problème. Et justement, le fait pour se recentrer autour du foot, je pense malgré les difficultés, ça peut engendrer des choses que rien d’autre ne peut engendrer, au moins sur des périodes courtes.

Comment vous est venue cette idée de collaboration? De quelle manière avez vous travaillé autour de la conception du maillot ?
AKH : Alors c’est deux questions différentes. On a été mis ensemble directement en se méfiant l’un et l’autre…

Pablo : …en fait on est un produit marketing !

AKH : …(rire) tu es venu sur l’aile gauche moi par l’autre coté ! En fait je suis arrivé dans le projet par Adidas, en chariant des maillots précédents lors de congrès Adidas. Ils sont venus me filmer, j’étais en promo avec IAM, ils voulaient que je donne mon avis. Je leur dis «ok, mais attention, je dis ce que je veux !», et ils étaient là «vas-y, vas-y !». Les maillots à l’époque étaient particulièrement laids… Je les ai démolis ! Et puis l’année d’après, ils me disent «puisque t’as l’air de bien savoir, tu vas en faire un !». Et en fait Pablo comme il te l’a dit bossait avec la ligue, avec les instances du football.

Pablo : Ils aimaient bien les coupes que j’avais désigné, ils m’avaient consulté pour que l’image parte pas dans tous les sens, et en fait l’équipe marketing de l’OM, très ouverte, très sympa, s’est beaucoup appuyée sur mes conseils. Ca aurait pu être juste des conseils, mais non, ils ont tout utilisé, ils ont très bien géré l’image, ils étaient très à l’écoute. Et quand il y a eu l’histoire du maillot, ils ont dit que c’était Pablo qu’il leur fallait, parce que c’est un bon designer, parce qu’il a très bien compris l’esprit et qu’il a une mère marseillaise… Adidas avait leur Akhenaton, et eux ils avaient leur Pablo. Alors au final on s’est dit, faut qu’on se rencontre ! Ca me parait difficile de concevoir une création à deux. Donc on s’est rencontrés à la Commanderie, à Marseille, et là on s’est dit «bon, le reste, ce sera peut-être difficile ; mais nous deux, ça va».

AKH : Et là, tout de suite, on a fait sortir tout le monde de la salle, on en a gardé qu’un.

Pablo : Ils n’en revenaient pas ! Churchill a dit «un chameau est un cheval désigné en comité de direction». Donc il fallait qu’ils partent tous. Un est resté, parce qu’il voulait prendre des notes. Et là on a commencé à parler, à voir ce qu’on avait dans le ventre.

AKH : Humainement, on s’est très bien entendus. L’OM m’a apporté un argentin d’origine marseillaise alors qu’Adidas lui apportait un marseillais qui avait toute sa famille en Argentine ! C’est vraiment marrant. Même Martin, le designer d’Adidas, est argentin aussi !

Pablo : Martin vit en Allemagne, il ne parle pas français, donc nos réunions étaient en anglais. Tous les trois on parlait anglais, et parfois il fallait traduire un mot qui manquait d’un coté ou de l’autre, donc nous on pouvait pas parler français…et c’est très touchant chez Akhenaton, son français, son rapport à la langue. D’ailleurs sa musique est un rapport à la langue. Et je me disais merde, il est là et il faut que qu’on parle anglais! Et là, de cette discussion, de ces premiers moments, est né un concept.

AKH : Direct. La première fois où l’on s’est vus.

Pablo : C’était par rapport à une phrase. Raconte, j’aime beaucoup quand tu racontes l’histoire.

AKH : C’est par rapport aux légendes des Redskins en Angleterre, qui retournaient le bombers pour afficher leur distance avec le racisme. Et on a voulu faire ce maillot-bombers. Et c’est pour ça qu’il est noir, et orange à l’intérieur. Avec la possibilité de se retourner pour affirmer ses valeurs. Des valeurs artistiquement représentées par le travail de Pablo, et les paroles de la chanson. Le concept est complet, y compris autour des couleurs, on a trouvé cette idée du bombers certes, mais aussi le maillot 1 et 2 qui symbolise Marseille le jour, avec le maillot blanc et bleu, et les couleurs, comme décrites dans «Demain C’est Loin» avec IAM. Le noir, et la ville éclairée en orange. La ville est complètement orange quand on l’aperçoit la nuit. Et c’est pour ça que même dans le tissu il y a un travail : (ils me montrent le maillot), le maillot devient métallisé orange au soleil !

Pablo : Et il y avait cette idée qu’au football, tu ne peux pas enlever ton maillot. Quand tu enlèves ton maillot, tu prends un carton. Au début ça nous faisait peur, mais personne n’a rien dit. Ils savaient pas trop comment le réaliser. Et là, incroyable, ils ont lancé la recherche. Ils ont vraiment mis beaucoup de moyens de la recherche. Si on prend l’amour d’une ville, des jeunes, apprendre et grandir, avoir une culture, investir dans la recherche…pour moi, là; on avait tous les trépieds. A cet instant, j’ai trouvé l’histoire magnifique. Ensuite, le graphisme, le truc, le rappel, on a crée des passerelles. Quand tu engendres bien la marche, ça suit tout seul.

AKH : Ce qu’il faut retenir, c’est que cette création ne s’est pas faite dans le brainstorming. On a bien rigolé, on a fait ce qu’on voulait. On était timides au début. Ce sont des sociétés, qui, malheureusement, aussi bien la Ligue que les marques, sont très réglementées. Comme les vraies sociétés elles vont apporter ces restrictions à la création. Et finalement tu t’aperçois qu’il y a pas mal de barrières…Mais ils nous ont laissé vraiment libres finalement sur le processus de création.

 

[highlight]Il faut se mettre en danger. Sinon le processus de création n’a aucun intérêt.[/highlight]

Vous êtes deux artistes très polymorphes. Pablo, tu navigues entre sculpture, photo, architecture, design; Akhenaton quant à toi, certes il y a le rap, mais aussi l’Egypte qui est il me semble ta grande passion, mais aussi la cuisine, et maintenant le foot…Vous pouvez nous parler un peu de tout ça? C’est nécessaire pour vous de toucher à tout ?
AKH : Pour moi , c’est la vie. J’imagine très mal, et je pense que c’est pareil pour Pablo, j’imagine très mal une vie sans rebondissements, sans marcher sur la corde raide. Le processus de création, dans n’importe quel domaine que ce soit…il faut se mettre en danger sinon le processus de création n’a aucun intérêt. Sinon je fais «L’Ecole du Micro de Vermeil», «L’Ecole du Micro d’Or», je prends les mêmes recettes et je fais les mêmes morceaux ! Non. Les gens doivent se le mettre dans la tête : ça ne m’intéresse pas. J’ai envie de rechercher pour moi-même, de vivre, de me prouver des nouveaux trucs. Parfois tu te risques à des choses, tu trébuches, tu te relèves, et cette histoire là, c’est ni plus que moins que la vie. On est vivant.

Pablo : Ma réponse, la voilà : Idem. Je suis d’accord avec lui. C’est pour ça que certains sont des créateurs et d’autres ne le sont pas. Je lisais un reportage, on me disait « pourquoi tu es créateur? ». Parce qu’à chaque fois que je recherche quelque chose, je préfère l’inventer.

Dans les bureaux d’Adidas, on me signale que l’interview est terminée. Sur ma faim, je propose aux deux artistes de poursuivre l’entretien le lendemain. Vraisemblablement ravis, ils acceptent immédiatement. J’appelle donc Akhenaton le lendemain matin pendant qu’il sirote un jus d’orange. Pablo me rappelle peu après pendant un vernissage, il sera finalement contraint d’annuler. La suite, ici, donc :

Tiens à ce propos, puisqu’on parle de cuisine… Si ta musique/art était un plat ?
AKH : Ce serait surement un Ton Yan Kung. C’est une soupe thaïlandaise pimentée à base de crevettes.

Le restaurant de ta ville préféré ?
AKH : Alors je sors plus au resto à Paris qu’à Marseille ! Un restaurant où je vais qui est pas trop loin de la maison, ça s’appelle les Saveurs du Vésuve. C’est un restaurant napolitain. Je garde celui-là !

Fais tu appel aux mêmes influences pour la création d’un maillot de foot que pour tes autres projets ?
AKH : Pas exactement non. Par contre ce sont les mêmes valeurs. Quand tu m’as posé des questions sur le maillot, j’ai tout de suite pensé au concept qui a dicté la création de ce maillot. J’imaginais pas faire juste cet objet sans une histoire derrière. Et étant donné que je suis passionné de football, passionné de l’OM, un grand amateur de fringues… Je suis aussi attaché à l’histoire d’Adidas, c’est lié à ma musique. Depuis bientôt 30 ans maintenant, les gens dans le rap, aux Etats Unis et ailleurs sont très attachés au modèle de cette marque.

Pablo et toi avez tous les deux une longue carrière, parviens tu toujours à te renouveler aujourd’hui ? Penses vous que le processus de création puisse s’épuiser avec le temps ?
AKH : Non, mais il change. C’est très différent. Tu as une vision, tu aimes quelque chose, et 25 ans plus tard tu n’aimes plus. Et inversement. C’est juste le processus de création qui change. Et malheureusement, ce sont aussi les moyens qu’on a pour faire de la musique. On est vraiment le métier le plus dénigré de France. Ce que nous on doit subir, aucun autre corps de métier ne le supporte. Quand je vois les français qui manifestent parce qu’on les fait bosser 5 min de plus au boulot et qui descendent massivement dans les rues…Et quand je vois tous les candidats de tous les bords politiques, jamais un ne s’attaque réellement au problème du téléchargement ! C’est du vol, ni plus ni moins. C’est la seule forme de vol qui est officiellement validée par tous les partis de France. Je suis estomaqué. Et même la presse qui trouvait ça plutôt snob il y a quelques années d’aller se servir les artistes trouve ça beaucoup moins snob maintenant que leurs journaux sont téléchargés ! C’est beaucoup moins cool ça ! Notre pays est devenu ultra-individualiste. Chacun prêche pour sa paroisse, et nous…si un artiste réagit par rapport au téléchargement se fait automatiquement incendier sur internet. Bon, les gamins de 16 ans, je leur en veux pas…Par contre les fournisseurs d’accès qui depuis des années engrangent des millions avec la pub, ou des sites qui pendant des années ont été illégaux, ont touché des millions en pub sans jamais rien reverser aux artistes…ça, ça me pose un gros problème. Les gens appellent ça la liberté, moi j’appelle ça du vol.

Mais ça a un peu changé. Heureusement l’opinion publique commence un peu à se réveiller. J’ai des expériences internes, je pourrais t’en parler pendant 3/4 d’heures… Ce à quoi on a plus accès avec IAM… On est un des groupes qui battons les records de téléchargements [ndlr, l’album Revoir un Printemps est l’album français le plus téléchargé, toute musique confondue]. Et le problème, c’est que quand on travaille après sur des albums officiels, on a plus les moyens dans les maisons de disques de pouvoir travailler comme avant. Ils anticipent que l’album va se faire défoncer au téléchargement illégal. Pour la petite histoire, la France est le premier pays en taux sur le téléchargement illégal. J’entends à longueur d’années des clichés, «les italiens sont voleurs, les espagnols sont racistes…» Faudrait qu’on se regarde un peu, parce que pour l’instant, le petit vol mesquin dans la chambre, ici ça dérange personne.

 

[highlight]Avec IAM, c’est pas après 27 ans d’expérience qu’on va se mettre à faire n’importe quoi.[/highlight]

 

Du coup, quand on a une si longue carrière, j’imagine que parfois, quand on se pose pour se rappeler de certains moments, il y a certaines choses qui marquent davantage. Tu as l’impression de t’être compromis parfois ? A l’inverse, quelle est ta plus grande fierté ?
AKH : Forcément sur une longue période comme celle qu’IAM a connue, il a des moments qui te marquent. On va être très fiers de faire certains trucs, pour moi, très certainement le point d’orgue, et j’espère qu’il y en aura d’autres, c’est le concert en Egypte face aux Pyramides. Là, avec We Love NY et Faf Larage on joue à NY le 23 juin, et puis le but l’année prochaine c’est de faire le concert d’IAM à New York, ce qui serait une manière de fermer la boucle puisque j’ai commencé là-bas : j’ai sorti mes premiers disques là bas dans les années 80, j’ai signé mon premier contrat là bas… Mais jusque maintenant, le concert aux Pyramides. Et si je regarde les trucs pas bons, c’est sûrement des erreurs de choix, tu sais sur 26, 27 ans… Tu refuses des trucs biens, tu dis oui à des trucs pas terribles… Mais globalement heureusement, sur un groupe comme IAM, on a une éthique qui amortit le maximum de dégâts et qui empêche de partir dans du n’importe quoi. On a une manière de se comporter. C’est pas après 27 ans d’existence qu’on va se mettre à faire n’importe quoi et à faire des trucs qui nous plaisent pas.

C’est peut-être là où finalement, le manque de moyens, ça aide…
AKH : C’est clair qu’avec beaucoup de moyens tu peux te perdre. Tu peux faire des choses pas intéressantes. Le manque de moyens te permets alors de te recentrer sur la création, sur l’artistique. Mais c’est aussi ce qui engendre des frustrations et qui freinent les possibilités. Parfois je rencontre des fans qui me disent «pourquoi vous faites pas des clips comme ‘Bad Boys de Marseille’, comme ‘L’Empire du Coté Obscur?’ »… S’ils ont 200 000€ sur leur compte, je veux bien ! Je prends une équipe, je tourne en 35, en cinémascope… Automatiquement si on tourne au cinémascope comme sur «l’Empire du Coté Obscur», c’est 50 à 60 personnes par jour de tournage ! Ce sont des clips qui coûtent horriblement cher. On ne pourra plus les faire. A moins qu’on fonctionne avec du mécénat, ce qui se fait de plus en plus. Ca et le sponsoring, comme Adidas, comme We Love New York, on a fait des choses qu’on aurait jamais pu faire sans eux ! Sur We Love New York, ils se sont impliqués, ils nous ont aidé sur la tournée, mais aussi logistiquement, sur la communication, ils ont appuyé pour que les magasins Originals soient aux couleurs de l’album… Ce sont des moyens détournés pour continuer à faire de la musique. Quand je pense qu’il y a une dizaine d’années, quand j’allais travailler au Moyen Orient, les américains, les français, les européens… Tout le monde se moquait du mécénat. Ca dé-crédibilisait la musique, c’était naze. Finalement, 12 ans plus tard, notre système se rapproche du leur! Tu vois, le paradoxe, parfois… Là bas, ça pirate énormément. Si les princes multi-milliardaires étaient pas là pour financer les artistes et subventionner la création des albums, il n’y aurait pas de musique dans ces pays et les artistes crèveraient la dalle.

A ce propos, que penses-tu du rap aujourd’hui ? Tu arrives toujours à t’y retrouver ? Quels sont tes groupes phares ?
AKH : Moi j’ai grandit dans le rap américain. Depuis 1981, j’écoute que ça. C’est vrai que j’écoute moins de rap français. J’ai une émission de radio sur Le Mouv’, tous les samedis soir je fais des sélections, donc de part l’émission mais aussi au quotidien, j’écoute toutes les nouveautés qui sortent aux Etats-Unis, beaucoup me plaisent, je m’y retrouve complètement! J’écoute aussi énormément de soul, des artistes plus pop… Pour revenir au rap, je pense que le rap est devenu LA musique d’aujourd’hui, et sa force c’est que comme le rock, il est devenu une musique très large, il a le droit à cette même nuance qu’il y a dans le rock. Bon, y’a toujours cet esprit, les mecs vont voir un concert de rock, les artistes viennent pas, ils n’aiment pas le groupe ; si c’est un concert de rap, ils n’aiment pas le rap. Ce que je veux dire c’est que c’est encore en marge. On a encore ces petites chaines aux pieds pour que ça devienne la musique numéro 1 !

Beaucoup de jeunes sont arrivés, on parle beaucoup d’un «nouveau souffle» dans le rap, grâce à internet, les nouveaux venus bénéficient d’une exposition remarquable dans les médias… Tu vois ça d’un bon oeil ? Comment est-ce qu’on perçoit ça quand on a plus de 40 ans, on est un peu jaloux ou c’est plutôt ressenti comme un aboutissement ?
AKH : C’est une fierté. Et pour compléter la question d’avant, c’est même encore pas assez! Ils méritent encore plus, ils ont le droit à la nuance, ils ont le droit d’être considérés pour leurs créations et pas pour leur manière de s’habiller, pour leur attitude, leur origines lointaines… Il faut arriver à exposer des groupes qui font des trucs intéressants pour justement éviter la frustration de toute une frange musicale pour éviter ce qu’il s’est passé entre 2000 et 2010 : que le rap se radicalise. Parce que maintenant l’ouverture est de retour, tant mieux, mais on a connu pas mal d’années où les artistes n’avaient accès à aucune télé, ils étaient complétement passés sous silence alors qu’ils vendaient plus de disques que toute la variété ! Et ça a engendré une forme de frustration et de colère, je te le confirme.

La remise en question, la subversion sont des constantes qui reviennent en permanence dans tes créations. Au delà de la revendication pure et dure, du désir d’éveiller les consciences, qu’est ce qui te pousse vers ces thématiques ?
AKH : Déjà, l’engagement vis à vis de mes enfants. Comme tous les parents, je rêve de quelque chose de mieux pour eux. On nous dessine toujours l’avenir comme étant pire…bon, c’est ma première motivation, la seconde, je trouve que l’art en général, et tu pourrais mettre Pablo à coté de moi [sic], doit s’engager. Mais s’engager, ça ne veut pas dire aller crier «les flics c’est des enfoirés, les politiques c’est tous des méchants…». L’engagement, il peut revêtir une multitude de formes. C’est quelque chose de super important. C’est important dans le processus de création. Si on fait de la musique pour devenir une machine à vendre des disques, je pense qu’on se perd. Et le secret de la durée d’IAM, pourquoi IAM existe depuis quasiment 27 ans, c’est qu’on a toujours fait passer le processus de création avant ne serait ce que nos besoins. Si je te parlais de nos besoins, de notre train de vie, on ferait un album tous les 2 ans! Or IAM, c’est un album tous les 6 ou 7 ans. On fait des albums quand on en ressent l’envie.

Tu as encore des rêves ? Des projets fous pour l’avenir ? New-York je suppose ?
AKH : Oui mais pas que ça. La BO de «Comme un Aimant», bosser sur des musiques de films, comme celui que j’ai fait y’a deux ans et qui est passé un peu inaperçu [ndlr, France 2 l’a fait passer à la trappe au moment du remaniement des dirigeants par le gouvernement], mais dont je suis super fier ! Il y a Leïla Bekhti, Omar Sy, Nicolas Cazalé, y’a Oxmo, Fred, Roschdy Zem, y’a Faf Larage… C’est une espèce de conte musical. Je me régale à faire du cinéma. Ca tu peux aller le télécharger, j’en ai rien à foutre. Le DVD, France 2 ils l’ont sorti, on dirait un DVD d’autoroute ! Tu vois quand tu passes sur l’autoroute en Bourgogne et que tu t’arrêtes à la station essence, et bah ça ressemble à ça. Ca m’énerve, je suis tatillon sur ce genre de choses. Ca me met en colère. Quand je fais un truc, j’ai envie d’avoir un suivi, que ce soit beau, tu vois là, le coffret Adidas j’en suis fier. Ils étaient pas obligés de fabriquer un vinyl ! Mais eux, alors même qu’ils ne sont pas dans l’industrie du disque, ils ont le soin de faire des beaux objets. Le DVD, il s’appelle «Conte de la Frustration», et il porte bien son nom d’ailleurs ! J’ai crée 14 morceaux qui racontent bout à bout une histoire filmée. C’était une super aventure. Le cinéma c’est important. Alors ouais, autour de la BO de «Comme un Aimant», bosser avec des artistes de la soul comme Marlena Shaw, Dennis Edward qui a fait la musique des Temptations, Isaac Haynes, Millie Jackson…C’est des pointures ! Ca, j’aimerai le refaire.

Pour finir, tu peux nous parler un peu de ton actu ?
AKH : L’actu elle est super simple. On a commencé à attaquer le prochain album d’IAM qui donc sera sûrement le dernier dans ce cadre. Je veux dire avec ces moyens et une grosse maison de disque derrière. On va surtout faire en sorte de kiffer, de s’éclater et de le défendre dans une idée de tournée. Avec IAM on tourne énormément, on a presque plus de personnes dans nos concerts maintenant que quand on vendait 1 million de disques ! On vient de jouer à Bangkok, on a fait 6000 personnes ! Tout le monde est mélangé. C’est un pur bonheur.

 

SURL Magazine remercie Brice, Aïsha, mais surtout à Akhenaton et Pablo Reinoso pour leur enthousiasme et leur disponibilité.

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