Fin Janvier 2012, à l’occasion de la sortie de son dernier album « This Is Our Science », Astronautalis passe en France lors de sa longue tournée Européenne. On en a alors profité pour le rencontrer. Il nous reçoit à l’étage d’un squat clermontois, taggué, mal éclairé. Ambiance conviviale, fin de soirée. Tous les éléments pour une interview du tonnerre.
SURL: Salut ! Pour commencer, comment en es-tu venu à faire de la musique ?
Astronautalis : Mes parents et mon grand frère m’ont initié à la musique, on en écoutait constamment chez moi. En grandissant, j’ai commencé par écouter Van Morisson, The Band, Bob Dylan. Puis mon frère m’a fait écouter The Clash, Morissey, The Smith. Ensuite je me suis mis au Grunge et au Punk. Vers douze ans, je me suis mis au Hip-Hop et comme tout le monde à cette époque j’écoutais du gangsta rap New Yorkais. Puis il y a eu les vidéos de skate-board avec de l’indie-rock, tout ce genre de musique et des trucs comme ça.
« This Is Our Science » est ton album le plus complexe, penses-tu que ce soit le plus accompli ? Comment expliques-tu sa variabilité ?
Quand j’ai fait mes trois premiers albums (You and Yer good Ideas, The Mighty Ocean, Promegranate), j’essayais d’apprendre comment faire un album. Ces trois albums étaient une expérience dont le but était d’ apprendre à être musicien. This Is Our Science est le meilleur album possible que j’ai pu faire, en tirant profit de ce que j’ai appris avec les précédents. C’est comme si toutes les bonnes choses de tous mes albums étaient réunies dans This is Our Science. C’est le meilleur album que j’ai fait. Ce n’est pas le plus aventureux, ni le plus emblématique mais c’est le meilleur. J’ai été capable d’écrire des paroles complexes, mais de les rendre accrocheuseset de faire des trucs musicalement différents.
Sur cet album, tu as collaboré avec différents artistes sur chaque chanson. Comment s’est passé l’enregistrement ?
C’était différent selon les musiciens. Aucuns d’entre eux ne m’ont envoyé un morceau complètement fini.. J’ai encouragé les musiciens à m’envoyer des brides d’idées que je pouvais retoucher moi-même.
Pour certaines chansons comme « Measure the Globe », j’ai écrit des parties au piano pour les couplets, puis une partie au piano pour le refrain mais je n’arrivais pas à les faire fonctionner ensemble. Alors je suis aller voir mon ami Rickolus, il a changé quelques trucs, ajouté des transitions jusqu’à ce que ca donne une chanson.
Des fois c’etait juste des échanges par mails, d’autres fois on bossait ensemble dans une pièce. Pour « Contrails », on a pas changé le beat, on a changé la structure, les arrangements, on a coupé quelques trucs, mais on est resté sur la base de départ. Pour d’autres morceaux, on a vraiment du tout reconstruire. C’etait vraiment différent d’une chanson à une autre.
Est-ce que tu as leur à dit « pour cette chanson je veux quelque chose de rock, pour celle-ci quelque chose de plus doux… » ?
Je suis allé voir des gens en particulier pour un son particulier. Je leur ai aussi parlé des musiques que j’étais en train d’écouter, que je voulais, mes attentes envers eux et dans quelle direction je voulais aller. Je ne les ai pas limité, c’était marrant car il y a des choses qui sont sorties complétement différemment de ce à quoi je m’attendais.
Pour mon album, j’ai fait beaucoup de recherches pour le contenu, les paroles, les histoires. J’ai beaucoup lu, j’ai écouté des musiques pour me faire une idée des sons que je voulais, j’ai beaucoup planifié à l’avance, mais y’a un moment où faut arrêter de s’inquiéter et laisser le truc se faire. Tu peux avoir toute cette préparation, tu sais c’est comme planter un jardin : tu peux décider de tout ce que tu vas planter, un jour ça va devenir une forêt, tu peux essayer de tout couper à la hache, mais ça l’empêchera pas de continuer de pousser. Il y a un moment où tu dois laisser aller le truc, et c’est la partie la plus excitante quand tu fais un album.
[highlight] »Je suis un junkie de l’inspiration, j’ai besoin d’informations pour être inspiré. »[/highlight]
Tu dis avoir fait des recherches pour tes paroles, que tu as beaucoup lu, quelle est l’importance de la littérature dans ta musique ?
Je lis beaucoup mais pas tout le temps. Au moment de l’album, j’ai beaucoup lu de sites internet et de journaux, mais le plus important quand je lis c’est le contenu de l’information. John Congleton qui a produit mon album fonctionne pareil. On est des junkies de l’inspiration, on a besoin d’information pour être inspiré. On est pas inspiré par la poésie, mais plus par le monde, l’actualité, les faits historiques. Je ne lis pas de poésie ou de littérature post-moderne. Avoir quelqu’un assis à son bureau qui pense à sa vie ou à la forme du monde ne m’excite pas. La littérature est importante mais ce qui compte le plus pour moi c’est les infos qui en ressortent.
Quelles sont tes autres inspirations pour ta musique ?
Ca dépend des albums, pour celui-ci j’ai lu Bill Bryson «Une histoire de tout, ou presque». C’est un livre fantastique sur l’Histoire de la science. J’ai appris sur des scientifiques comme les Curie, Lavoisier, Newton, Franklin… A l’époque, on avait beaucoup de connaissances mais on ne savait pas pourquoi. Il y a trois cent ans, les scientifiques étaient des riches qui faisaient ça en hobby. Ils auraient fait n’importe quoi pour faire une découverte. Des gens sont morts, ont explosé, Curie a mangé du Plutonium, ils se sont mis en danger par pur désir de faire une découverte.
Ca me parle tellement, à un moment dans nos vies, mes amis et moi-même, nous sommes dit, « je veux vivre comme un artiste, comme un graphiste, comme quelque chose du genre. Je n’ai aucune idée de comment je vais le faire, je m’en fous, je dormirai dans une voiture, je conduirai à travers le pays, je dormirai dans des squats, je m’en fou, je dois juste le faire ». On crevait de faim, on n’avait pas de sécurité sociale mais ça n’avait pas d’importance, on voulait le but final, on ne savait pas comment y parvenir, mais on le voulait.
Le parallèle entre les artistes et les scientifiques était tellement fascinant, tellement excitant que j’ai pensé que ça rendait mon travail, celui de mes amis et nos vies plus importantes. C’est comme si le procédé de découverte des scientifiques était pareil que le procédé du développement des artistes. Ca a été une inspiration pour cet album.
Sur cet album, et au cours de ta carriere tu as eu des collaborations très diverses, qu’en retires-tu ?
Il y a des trucs vraiment ringard. Par exemple avec mon ami Alias qui a bossé sur la musique de « Dimitri Mendelev », tout son travail a été fait sur ordinateur, alors quand j’ai du regarder ce qu’il avait fait, c’était comme regarder une belle guitariste de flamenco jouant de la guitare, j’avais devant moi toutes les cordes, c’était génial ! J’ai aussi travaillé avec Tegan Quin. Je ne connais rien aux harmonies. La plupart du temps, je ne fais pas d’harmonie, je chante un truc sur une note puis un ton plus bas, un ton plus bas et ça rend bien. Quand elle a chanté cette partie (sur « Contrails »), elle a fait ça harmonieusement, sur des notes complètement différentes. C’est tellement simple de faire ça pour des musiciens. C’est la base de la musique, mais je ne suis pas un musicien alors quand je l’ai entendu faire je me suis dit « oh shit » ça a complètement changé le refrain et après je me suis dit que je devais en apprendre plus sur les harmonies.
Je n’ai pas étudié la musique, j’ai appris par moi-même, en écoutant la musique des autres et en travaillant avec ces musiciens. Quand je suis dans mon studio, je suis face à ce que je connais, mais quand je sors de chez moi, que je vais travailler avec quelqu’un d’autre, j’apprends toujours quelque chose de nouveau. Pour moi la meilleure partie des collaborations, c’est de piquer dans le savoir des autres.
[highlight]C’est marrant car maintenant le rap est comme la House des années 90.[/highlight]
Penses-tu que le rap était mieux avant ?
Je pense que le Rap, comme tous les genres de musique, a des hauts et des bas, en fonction de quelles sont ses priorités. Peut importe ce que les gens appellent « l’âge d’or » du rap. Dans les années 1992-97, les beats étaient simples et répétitifs, l’important était donné aux paroles. Beaucoup de gens de mon âge regardent en arrière et disent que c’était le meilleur rap qu’il y ait eu. Je pense que c’est stupide. Je pense que le rap a changé, qu’il est revenu à ce qu’il était avant ça (avant les 90’s) quand le rap était plus porté sur le style. Les paroles n’étaient pas profondes, ni importantes, ni compliquées. Ce qui importait c’était le style de ta voix, ton élocution, tes vêtements, le rythme. Puis dans les années 90’s, on s’est interessé aux paroles. On a ce qu’on a maintenant avec la Pop-rap. On a des rappeurs commes 50 Cent, Gucci Mane, qui sont des rappeurs horribles mais qui ont un bon style. J’adore Young Jeezy, c’est un terrible rappeur, son style et son élocution sont incroyables. Je suis quelqu’un qui a grandi en travaillant dur sur les paroles, avec des rappeurs très techniques, c’est une compétence il faut être rigoureux. Maintenant le rap c’est plus ça, maintenant c’est le refrain, la danse, le style. C’est super excitant pour moi car c’est très éloigné de ce dont j’ai grandi. Je pense qu’éventuellement le rap va retourner aux paroles, puis le style, puis les paroles… C’est marrant car maintenant le rap est comme la House des années 90, avec des synthés, des batteries, un rythme rapide, les paroles sont simples et il y a un refrain énorme comme dans les années 1990. Le rap c’est comme le rock, ça a des hauts et des bas, c’est cool, puis ca ne l’est plus. Je pense qu’il y a aura toujours un nouveau rap qui sortira, genre pop-rap, quelque chose de bizarre, indie-rap, que j’adore, donc moi ça me va.
Penses-tu que « This is our science » est un album rap ?
J’ai commencé avec le rap, alors c’est difficile pour moi de me voir comme autre qu’un rappeur. Même quand j’écris une chanson comme « Measure the globe », le second couplet est doux, si tu le met sur un rythme différent ca peut facilement devenir un morceau de rap (démo) mais c’est plus lent, joli avec du piano. Donc même sur une chanson comme ça, qui est une chanson pop ou peut importe je pense toujours que c’est une chanson de rap. Beaucoup de mes chansons sont comme ça, c’est une question de flow. « Christmas in July » de l’album The Mighty Ocean, si tu accélères , ajoute des batteries, tu verras que c’est un rap mais au ralenti. J’avais écrit le second couplet de «Trouble Hunter » pour être deux fois plus rapide, mais finalement je l’ai ralenti et alors c’est devenu une chanson plutôt qu’un rap. Donc je pense que ma musique est du rap, mais ce n’est pas à moi de décider quel est mon genre, c’est le travail du public, des reporters. Je peux juste faire la musique que je fais, et je vous la présente, ensuite c’est vous qui vous dites, c’est génial c’est du rap, ou c’est nul c’est de l’indie-rock, ou c’est du nul c’est du rap, c’est génial c’est de l’indie-rock. Mon travail est juste de faire de la musique.
Quelle est la différence entre tes audiences dans le monde entier ?
C’est trop bizarre, aux Etats-Unis, ma base de fan est devenue beaucoup plus importante juste depuis l’année dernière, les concerts sont devenus beaucoup plus fou. Dans presque tous les shows la foule chante presque toutes mes chansons, ça en devient presque sauvage. Quand on joue « The River, the Wood » tout le monde crit, c’est génial ! La première fois que c’est arrivé j’en ai eu la chair de poule.
C’est à peine le début de ma tournée Européenne donc je suis curieux. On commence en France, qui est un nouveau marché pour moi, je suis curieux de le découvrir. Je ne dis pas que les concerts américains sont mauvais, mais vous allez à des concerts pour des raisons différentes. Les Americains sortent pour voir des groupes qu’ils aiment, les Européens sortent pour voir des shows car ils aiment ça. On a beaucoup joué dans des squats, des petites salles indépendantes. Aux Etats-Unis mon public a grandi car plus de gens connaissent ma musique, alors qu’en Europe même si nous avons eux des concerts vraiment cools, à l’exception de dix-quinze villes, les gens n’avaient jamais entendu parler de nous. La nuit dernière à Toulouse le concert était genial et personne ne savait qui j’étais.
Si ta musique était un plat ?
J’ai envie de dire que ce serait mon plat préférée. J’adore la cuisine Mexicaine. J’adore les tacos. C’est simple mais tellement bon. C’est quelque chose de simple, avec des oignons et de la coriande et avec de la viande différentes à chaque fois. Ma musique n’est pas très complexe, mes chansons ne durent pas 30min, mais elles changent quand tu mets une viande différente à chaque fois
SURL Magazine remercie le Raymond’s Bar à Clermont-Ferrand ainsi qu’Astronautalis et toute son équipe pour leur disponibilité.