Ce jeudi soir de mars, aux alentours de 19 heures, la Maroquinerie est encore déserte. Au fond de la cour intérieure, juste un gosse, coudes sur la table, tête enfoncée dans un sweat trop grand pour lui, qui a l’air de s’ennuyer ferme. Bishop Nehru, 16 ans, ressemble à n’importe quel ado qui patiente avant un concert, à une différence près : ce concert, c’est le sien. Quelques minutes avant son premier show en France, c’est un petit prodige musical bien décidé à conquérir le hip hop, loin du cliché de l’enfant-star, que l’on a rencontré.
Premier constat : Bishop Nehru est le roi de la taquinerie. Manager, fans venus le prendre en photo, journalistes…: il chambre tout ce qui bouge, avec une préférence marquée pour DJ Juanyto, son chauffeur de salle. Ce latino à l’air bonhomme, deux fois plus vieux et trois fois plus large que son employeur, reste extraordinairement stoïque : « C’est normal, explique-t-il. C’est comme mon petit frère, on est très proche. »
Une fois Nehru lancé, on ne l’arrête plus. Comme « bishop » signifie évêque en anglais, c’est parti pour une interview sur le thème des sept péchés capitaux – un péché, une question. Quand vient le tour de la gourmandise, on évoque son obsession pour un certain fromage orange, qui revient souvent dans ses textes. Nehru écarquille les yeux, hilare. « Cheddar, s’étrangle-t-il, c‘est le slang new-yorkais pour dire argent… »
Les blagues de gosse de Bishop Nehru contrastent avec sa maturité artistique, la rigueur de ses textes et sa voix grave, un peu rocailleuse… et avec sa capacité à garder les pieds sur terre lorsqu’il parle de sa carrière. Encensé par Nas, qui voit en lui « le futur du hip hop », sollicité par Disclosure et MF Doom, le jeune rappeur tempère : « Les médias me regardent, les artistes m’aiment bien… mais les gens normaux, eux, ne m’aiment pas. »
Son manager, Leroy Benros, est persuadé du contraire. Focalisé sur les jeunes talents, il a lancé les rigolos de Das Racist et s’occupe d’Angel Haze. Aujourd’hui, il place tous ses espoirs en Bishop : « Quand Kendrick est arrivé, il a embarqué toute la West Coast derrière lui », dit-il. « Nehru peut faire pareil avec New-York. »
Et il y a des chances que Leroy Benros voie juste. Car au-delà de ses talents de rappeur, son protégé est un redoutable commercial, qui orchestre le buzz comme pas deux. Au cours de son concert, il gratifie la salle d’un morceau exclusif de son prochain album (produit par MF Doom), mais pas avant d’avoir lancé un « Sortez tous vos portables, que je soie filmé! » Le spectacle, à l’américaine, dure un peu moins de quarante minutes – presque autant que ce Bishop consacre à vendre des t-shirts sur un stand, juste après son show.
Malgré cette apparition express, qui tient plus du showcase que du véritable concert, Nehru a le public dans sa poche. « Gé-nial! C’était génial » martèle Edouard. « Un peu court, mais c’est pas grave« . « Il a pas beaucoup de sons, en même temps« , rappellent Simon et Adrien, 16 ans. Seul mécontent : Mister Old Jay, un de ces mecs qui écument tous les concerts de hip hop, un puriste. « Trente-six minutes, 25 euros… bon, voilà quoi », grince-t-il. « Et regarde un peu le public : que des jeunes et des hipsters. »
Au bout du compte pourtant, même ce hater d’Old Jay abdique, et y va lui aussi de son (petit) compliment : « Bon, je dois dire… ça me fait quand même plaisir d’entendre des bobos danser sur du boom bap. »
Décidément, quoiqu’il en dise, Bishop Nehru ensorcelle tout le monde.