Interview – Guizmo

dimanche 2 décembre 2012, par Joackim Le Goff.

Il est près de 20 heures 30 lorsque je serre la main de Guizmo, qui achève une journée promo assez intense. Son nouvel album, C’est Tout, le troisième opus en dix huit mois, vient d’envahir les bacs. Posé, malgré le jeu des interviews et le manque de sommeil, le rappeur m’accueille chaleureusement. C’est parti pour une demi-heure de discussion, qui ne traite pas que d’alcool et de bédo, loin de là.

SURL : Bon, la première question n’est pas la plus originale, mais « C’est tout », pourquoi ?
Guizmo :  
C’est tout, parce qu’après moi y’a plus rien. En fait, C’est tout symbolise beaucoup de trucs pour nous,  mais aussi parce que parce que le public peut l’interpréter comme il veut. C’est cool ! Cela fait un peu comme la fin du film, quand tu demandes s’il va y avoir une suite. Je trouvais ça intéressant.

Dans « Guizmax », tu clamais « ça fait du bien de vider son sac, dommage qu’il en reste encore cinq ou six remplis de rage ». Tu te sens plus apaisé sur cet album ?
Il me reste encore des sacs, ce n’est pas en trois albums que j’vais pouvoir tout raconter et tout évacuer. Mais c’est vrai que plus je me livre, plus je me raconte, plus je m’ouvre aux gens et plus je m’allège de toute cette petite rancoeur, cette petite rage qui animait mon quotidien à mon époque.

En écoutant les extraits de ce nouveau projet, on te sens plus posé mais aussi plus introspectif, par rapport à La Banquise qui était un peu plus hargneux. Tu es d’accord avec ça ?
Ouais, ouais. Déjà, la musique qu’on a choisi de mettre en avant est plus douce que les instrus sur lesquelles je rappais à mes débuts. Donc il y a ce côté un peu plus zen. J’ai essayé de raconter des trucs qui me tenaient à coeur, parce que l’alcool et le bédo, ce sont des thèmes que j’ai beaucoup évoqué, ainsi que la galère et la rue. Mais Guizmo ce n’est pas que ça, j’ai voulu vraiment rentrer dans le coeur des choses.

 Justement, dans une interview il y a quelques mois, tu expliquais que tu voulais sortir du cliché « alcool et bédo ». Tu sens que le public a perçu cette évolution ?
J’ai des retours oui. Je suis un Twitter addict, j’ai des retours en direct de mon public. Sur mon Facebook aussi. Les gens sont contents et certains sentent que je les ai refidélisé. Ils sentaient que je m’étais un peu éloigné d’eux avec La Banquise, parce que j’avais essayé des trucs qui me plaisaient chanmé et qui me plaisent toujours, mais que eux ne comprenaient pas forcément, c’était moins habituel. Là, ce retour à un retour plus classique et en même temps très musical leur fait plaisir.

[highlight] »Plus je me livre, plus je me raconte, plus je m’ouvre aux gens et plus je m’allège de toute cette petite rancoeur, cette petite rage qui animait mon quotidien à mon époque. »[/highlight]

Tu t’étais essayé à un rap plus égotrip dans La Banquise, on peut citer « Banlieue dégueulasse » par exemple. Dans cet album, « Daffy Duck » suit le même esprit. Tu te plaît dans ce style ?
C’est le grand frère de « Banlieue dégueulasse »  ! J’aime bien le son qui bouge du début à la fin, ça envoie, tu bouges la tête. Des fois c’est bien un peu de légèreté, du gros son juste pour kiffer.

Le titre « Daffy Duck », il y a une histoire derrière ?
Ca part d’une punchline, « Tu vas te faire canarder, Daffy Duck ». Du name-dropping tout con. C’est devenu un morceau que j’ai écrit. Daffy Duck c’est devenu un mec qui joue les gangsta, qui veut faire le chaud, mais qui en fait n’est rien de tout ça et finira par ce faire canarder.

Ta notoriété a bondi de manière assez fulgurante, tu avouais qu’ « en 6 mois tu avais pris une pige ». Facile de s’acclimater à ce rythme beaucoup plus accéléré ?
Je suis pas non plus une rockstar, cette notoriété reste gérable. J’ai un public vraiment à l’écoute, compréhensif et pas relou. Ils me tiennent pas la patte quatre heures : on discute, on parle de l’album, on prend une photo ou je signe une dédicace. Les gens ressentent quand il y a des moments où je suis en speed et agissent en conséquence donc c’est cool.

Parce que dans un couplet de « C’est tout », tu racontes « Dans ma nouvelle vie y’a que des mecs trop peace, c’est bizarre hein ? Dans la rue j’avais des problèmes, et même eux ils me manquent ».
Ouais c’est dans « C’est tout ». En fait, c’est pas vraiment que la rue me manque. C’est plutôt quand je repense à des moments, des ambiances avec les potes,  j’ai une petite nostalgie de tous ces instants là. En bas du hall on rigole, on est foncedé à la picole, on sait pas ce qu’on va faire demain, on part sur Paname n’importe comment. J’y pense et parfois je rigole tout seul ! Bien sûr, dans la rue, même quand je m’amusais comme ça, y’avait toujours des galères, des embrouilles avec des mecs… Mais j’ai vécu des moments tellement chanmé en même temps, que du coup même ces problèmes là me manquent. C’est plus la nostalgie du quartier.

Une des caractéristiques de ta musique, c’est qu’elle est très populaire, au sens où tu parles beaucoup du quotidien, que ce soit le tien ou celui des gens. Mais dernièrement, il y avait des sons ou tu prenais plus de hauteur et t’impliquais plus directement dans la chose politique, comme dans « Enfants de la patrie ».  Tu te dis que plus tard, dans tes prochains textes,  tu voudrais t’orienter dans cette optique là ?
Un truc engagé, pourquoi pas, mais après de là à rentrer dans des délires de dénoncer un système … Je pense qu’en racontant ce qu’on dit, je dénonce déjà le système et que ça a autant d’impact.

D’ailleurs, l’album C’est tout, c’est la fin du cycle d’un album tous les 6 mois ? 
Suprise … surprise.

Ne jamais rouler trop vite …

Tu attaches beaucoup d’importance au côté technique du rap, à l’usage de rimes multisyllabiques. Toi qui écoutes surtout du rap français des années 90, est ce que tu sens que l’art de bien poser revient à la mode depuis quelques temps ?
(Il acquiesce)  Ouais et ça me fais vraiment plaisir. Les mecs se remettent à écrire avec des structures de rimes respectables, des flows nouveaux et de la nouvelle musique ! Que j’aime ou que j’aime pas, la démarche de faire du bon rap, de faire ça bien, c’est cool.

Tu as aussi été porté par Rap Contenders et les battles. Aujourd’hui, cet esprit battle, c’est un tremplin qui t’a permis d’arriver là où t’en es actuellement, ou tu aimerais y revenir plus tard ?
Non je recommencerai pas, parce que ça prend énormément de temps : décortiquer un MC, ses dossiers, écrire sur lui, se rappeler des phases et surtout trouver le petit truc drôle. Parce que le but n’est pas de blesser le type dans son amour propre, mais de faire rigoler le public et faut trouver un truc marrant. Ca prend du temps. Puis je ne suis pas à l’abris d’un petit gremlins qui arrive, qui a un talent de ouf, qui écrit sur mois depuis 6 mois. Il arrive, il me découpe, me déchiquette en plein de petits morceaux et fait des confettis avec moi. Il faut toujours rester conscient qu’il y a des artistes très talentueux et doués pour l’art du clash. Quand t’as fait ton truc et que tu l’as bien fait, t’es pas obligé de recommencer, sauf si c’est une passion. Mais je ne suis pas un passionné du clash, je l’ai fait pour kiffer et c’est un épisode qui s’est terminé.

[highlight] »Villeneuve, tu peux emmener ta meuf au cinéma Mégarama. Le lundi c’est quatre euros, tu te banquises ! »[/highlight]

Tu as fait pas mal de concerts ces derniers mois. Tu as une anecdote un peu folle à raconter ?
J’étais à la Maroquinerie, je faisais un concert. J’aime beaucoup Lacoste et je suis arrivé avec un survêt tout neuf, que j’ai balancé sur scène pour me retrouver au final en short et chaussettes Lacoste. J’ai même balancé mes Air Max. Sauf qu’ensuite, j’ai sauté dans la foule comme ça et je me suis fait voler mes chaussettes ! Du coup, je suis remonté sur scène pieds nu.

En parlant de sappes, combien de bérets dans ta penderie ?
Presque un million !

D’autres marques qui te plaisent à part Lacoste ?
Sergio Tacchini, Ralph Lau’, Levis évidemment.

J’ai lu également que tu kiffais la Air Jordan XI.
C’est ma sneaker préféré. A cause de Space Jam. Puis surtout elle est belle.

Tu représentes Villeneuve-La-Garenne. Un endroit à nous conseiller pour être banquisé dans ta ville ?
Villeneuve, tu peux emmener ta meuf au cinéma Mégarama. Le lundi c’est quatre euros, tu te banquises !

T’aimes bien le foot aussi, supporter du PSG ?
Fidèle, fidèle. Mais en ce moment j’ai plus trop le temps de suivre.

On demande souvent aux artistes avec quelle personnalité ils aimeraient collaborer, toujours Cabrel pour toi ?
Pfffff, non, aujourd’hui poser sur un beat de DJ Premier.

Si t’aimerais que les gens retiennent quelque chose de cet album C’est Tout, en terminant l’écoute ?
Que malgré tout ce que je peux traverser et à un si jeune âge, que je continue de faire de la bonne musique et de construire chaque morceau pour qu’il soit le meilleur de l’album.

Pour terminer : si ta musique était un plat cuisiné, quelle serait la recette ?
Si c’était un plat cuisiné… Genre avec des ingrédients ?

Ouais, ou un cocktail si tu veux !
(Il sourit) Un cocktail ? Alors de la glace pilée au fond, un peu de rhum, un peu de vodka, ensuite un peu de jus de la passion avec un tout petit peu de sirop de citron. De la glace pilée encore par-dessus et de la chantilly. Et on l’appelerait le Ouz !

Merci à Emilie de Because pour l’organisation – photo de couverture par Fifou.

 

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