Random Axe, l’interview des poids lourds

dimanche 6 novembre 2011, par Antoine Laurent.

Trois pour le prix d’un. Random Axe, c’est la fabuleuse association de Black Milk, Sean Price et Guilty Simpson. Trois mecs capables de découper n’importe quel mic, dans n’importe quel contexte, sur n’importe quel beat. Ça tombe bien : le premier cité est également producteur de génie. De quoi former un supergroupe qui promet d’être tout sauf discret.

Depuis le 23 octobre, nous avons quelque peu traîné avant de publier notre interview avec Random Axe – groupe regroupant Black Milk, Sean Price, et Guilty Simpson -, réalisée le jour de leur venue au Transbordeur, à Lyon. Mais nous avons été pas mal occupé, et de nombreux faits marquants sont venus alimenter les gros titres de notre humble webzine. Un tel entretien méritait d’être mis en avant, et c’est pourquoi nous ne vous proposons qu’aujourd’hui ce petit bavardage avec trois énormes pointures du rap outre-Atlantique, enregistré après un concert difficile devant une foule peu informée. Rencontre.

SURL : Donc, première chose : Sean Price, Guilty Simpson, Black Milk. Comme vous le dîtes dans une de vos tracks, c’est clairement une « dream team ». Quelle est l’histoire de celle-ci ? Deux de vous viennent de Detroit, l’autre de Brooklyn, comment tout cela s’est-il organisé ?

Guilty Simpson : C’est grâce aux featurings ça, notamment lorsqu’on a bossé sur « Ode to the Ghetto ». Black Milk m’a proposé de travailler sur certaines de mes productions alors que je ne les connaissais pas vraiment, et lui connaissait déjà bien Sean Price. Il m’a dit que j’avais de bonnes rimes, et m’a proposé d’intégrer le groupe rapidement après.
Black Milk : C’était aussi un grand fan de musique, et il avait de bon hooks donc ça coulait de source.

[Sean Price coupe alors la discussion pour s’interroger à voix haute sur le paquet de chips qu’il est sur le point d’entamer : « Est-ce que s’est censé avoir un goût de poulet ?! » – je l’éclaire sur le sujet avant de poursuivre.]

Et pourquoi Random Axe ?

BM : En fait, c’est la première ligne que Guilty a balancé dans un des premiers sons [le titre « Run », ndlr] qu’on a fait ensemble dans « Ode to the Ghetto », « Random Axe in the jam with Max« . Et on s’est dit que « Random Axe » ça sonnait pas mal, et voilà quoi, that’s it.

Vous avez tous eu d’importantes carrières solos, ça fait quoi de travailler en groupe désormais ? C’est pas un peu plus délicat au niveau de l’organisation ?

GS : Non non, au contraire, c’est moins de travail pour tout le monde.
BM : C’est moins de travail pour moi, parce que je me concentre principalement sur la production, et c’est à ça que je suis le meilleur.
SP : Et pourtant il est capable de te sortir des bars énormes ! Mec, ces chips sentent vraiment le poulet !
BM : Sérieux ? Fais moi essayer.

[Les trois MCs plongent successivement leur main dans la précieux paquet de chips de Sean Price…]

BM : Ça se sent au premier croc, c’est dingue. J’ai bien faim maintenant ! C’était quoi la question déjà ? Ah oui. Non mais c’est plus facile, c’est sûr. Et c’est plus facile pour les shows, Guilty fera certains de ses trucs, je ferai des miens, Sean aussi, tout devient plus tranquille. Tu peux poser tes lignes et te reposer, au lieu d’être tout le temps en train de rapper pendant des heures entières. C’est moins de stress, c’est une charge de travail moins importante qu’en étant en solo.

La pression est plus ou moins divisée ?

BM : Ouais ouais…
GS : Mais tu sais, on parle de pression, alors qu’on fait de la musique. Je ne ressens pas de pression en faisant de la musique, la pression mec c’est payer les factures ! C’est prendre soin de ta famille, faire des rimes c’est s’échapper de toute cette pression, au moins pour moi. Moi tout seul je ne ressens pas de pression, mais c’est sûr que c’est beaucoup plus facile en tant que groupe. Black Milk verra certains trucs parfois qu’on avait pas vu individuellement…
SP : Mais comment ils font pour que ces trucs aient un goût de poulet ! C’est dingue !
GS : …c’est pour ça que cette connexion marche si bien, et pourquoi je suis content de bosser avec un vrai producteur comme Black Milk en tant que troisième membre du groupe, ça c’est vraiment super. C’est notre quaterback.

Sans transition, c’est votre première fois ensemble en Europe. C’est mieux qu’en solo ?

BM : C’est notre premier tournée en tant que groupe, ouais. C’est une de nos première scènes en fait, on en a fait quelques unes aux États-Unis mais pas des masses, une à Detroit, une à New York… On en a fait quelques unes sur la côte Est, mais pas grand chose. En Europe, à chaque fois qu’on fait un show on sent qu’on progresse, qu’une meilleure alchimie se crée un peu plus scène après scène. Chaque représentation est un entrainement qui nous permet de devenir meilleur.

 

« Je ne ressens pas de pression en faisant de la musique, la pression mec c’est payer les factures ! »

 

Hum, et est-ce que c’est votre première date en France ?

SP : On a fait Toulouse et Paris juste avant !

Comment ça s’est passé là bas ? La réaction du public était meilleure ?

GS : C’était incroyable, c’était… [Sean Price lui coupe la parole]
SP : Ça reste un show, ça dépend des gens c’est vrai, mais ça reste un show…
BM : C’est vrai, mais Paris c’est toujours spécial.
GS : Les gens étaient un peu différents de ce soir, ouais.
BM : Quelqu’un m’a dit récemment qu’à Paris, il y avait beaucoup plus de puristes, donc c’est probablement pour ça. C’est apparemment là où les puristes vivent. J’ai jamais eu de mauvais show à Paris. Non mais tu sais, ça fait plus de deux semaines qu’on est sur la route, et on le sera en tout pour un mois, donc on ne s’arrête pas à des détails comme ça au final. On ne conserve que les bons moments. On a déjà fait Londres, Rotterdam, puis on va aller à Leipzig…

Et à propos de Lyon, vous avez la chance d’être dans une des villes les plus réputées de France pour sa cuisine, vous avez pensé à tester un petit resto gastronomique ?

GS : J’aurais adoré…
BM : On en a même pas la chance ! On est arrivé aujourd’hui il y a quatre heures, on a posé nos trucs à l’hôtel, on est resté une heure…
SP : On a commandé le service de chambre.
BM : …ouais on a commandé le service de chambre, puis on est venu ici, on a fait notre show, puis là on va retourner à l’hôtel, et là on a notre avion à cinq heure du matin.

 

On a interviewé Big Sean il y a quelques jours parce qu’il était à Paris, et son style est assez différent du votre. C’est la richesse de cette culture d’avoir des rappeurs foncièrement différents ?

SP : C’est comme ça que je rime, j’écoute pas Big Sean en me disant que je voudrais rapper comme Big Sean, si je rappais comme lui ben soit, je rapperais comme lui. Mais je ne rappe pas comme ça, je rappe différemment, donc je vais pas prétendre à autre chose.
BM : Tu fais toujours ce que tu aimes au final, certains aiment bien rapper gangsta, d’autres sont plus intéressés par le rap conscient, d’autres feront des trucs hard core…
SP : Du rap fashion, du rap de meuf, du rap de skateur…
BM : On ne prétend pas, c’est juste ce que l’on est. On aime les trucs lourds, les trucs pas trop foufou et un peu dirty…
SP : C’est la même pour les sneakers. (rire)

 

« C’est comme ça que je rime, j’écoute pas Big Sean en me disant que je voudrais rapper comme Big Sean, si je rappais comme lui ben soit, je rapperais comme lui. »

 

Le commentaire le mieux noté de la vidéo de « The Hex » sur Youtube est un mec qui dit : « Mesdames et Messieurs, ça c’est du hip hop, pas de chaines, pas de voitures flashy, pas de meuf avec le cul à poil, du vrai rap. » Est-ce que c’est l’image que vous voulez donner à vos fans ?

SP : Non mec, c’est pas ça, j’ai des bijoux chez moi, j’ai une grosse caisse, ça n’a rien à voir avec ça. On n’est pas là « fuck chains yo ! », et personne ne fait ça !
BM : On aime tous l’argent ! Vraiment.
SP : Personne n’a envie de vivre comme un clodo, là on se contente juste de rimer et c’est tout. C’est aussi simple que ça. On a du Louis Vuitton ! Si tu rappes à propos de ça t’as pas tort, mais si tu le fais pas t’as pas tort non plus ! Tu rimes sur ce que tu veux !
BM : Les gens ne le voient pas, c’est tout. C’est sur ma ceinture, c’est sur mon torse, mais ils ne le voient pas. C’est une des barrières que j’ai essayé de faire tomber depuis que je suis dans le game, je ne veux pas que les gens me voient comme un mec qui met des trucs sobres, des trucs sans styles, pour me mettre avec d’autres dans une boîte avec une étiquette dessus, tout ça à cause de mon style de rime. Si tu aimes ce genre de musique, ça ne veut pas dire que tu dois aussi t’habiller en fonction.
SP : Je m’habille mieux dans la rue que quand je suis en tournée ! Tu vas pas amener tes sappes cools alors que tu peux pas l’amener au pressing, etc. Come on, man.
BM : C’est pas parce que tu aimes un genre particulier de son que tu veux ressembler à rien derrière, ou que tu n’aimes pas l’argent, en faire et en dépenser, voire l’afficher en soirée !
GS : Certains artistes aiment que ça se reflète directement dans leur musique !
SP : Même le rappeur qui raconte des conneries anti-je-sais-pas-quoi veut de l’argent ! Tout le monde veut de l’argent ! Tu vois ce que je veux dire, donc faut arrêter avec ces conneries.
BM : J’avais vu ce commentaire sur Youtube aussi, et ça m’avait fait rire jaune. J’ai rien contre avoir des meufs dans une vidéo si elles en valent la peine ! Moi c’est le son en lui-même qui m’énerverait s’il était mauvais, pas les meufs dedans.
SP : On a qu’à faire une nouvelle vidéo, je le ferai. D’où je viens, les gens ont une manière particulière de voir les choses. Ici, les gens font du vélo. Nous, on voit ça comme le fait que vous n’avez pas d’argent. À la place de le voir comme un truc bon pour la santé, nous on voit ça comme l’expression de votre manque de thune.

C’est un peu différent, c’est pour le côté pratique. Soixante personnes qui se déplacent en vélo ne se gênent pas entre elles, alors que soixante voitures, ça commence à coincer…

BM : Non mais votre état d’esprit est meilleur que le notre, c’est sûr.
SP : T’imagine Black Milk sur un vélo… (rire – il mime la scène) Yo ! Ce négro a des soucis ! C’est hilarant pour nous.
GS : C’est des perspectives différentes. Tu sais, parfois tu peux être à ton hôtel et regarder les gens dehors et trouver un belle rime narrée juste en opposant la vision que tu as de ce qu’ils font avec la réalité. Sur leur vélo ils sont probablement aussi frais que les autres !
SP : Je te garantis que moi, j’ai une paire de sneakers pour chaque jour de l’année. Vraiment.
BM : J’aime pas les gens qui pensent comme ça, c’est juste la musique que j’aime, c’est tout ! Et le pire, c’est que les mecs qui prétendent ne pas aimer les sappes, l’argent etc., ces mecs là ont peut-être plus de thunes que des mecs signé chez des gros labels !
SP : En vrai, j’ai étais dans ce game pendant pas mal de temps, j’ai perdu pas mal, mais maintenant je gagne très bien ma vie. Mais je connais des rappeurs qui avaient bien plus que moi, et qui maintenant ont (blanc). Je peux même pas mettre un mot dessus, ils ont (blanc). Donc c’est pas ce que tu as, c’est ce que tu fais avec ce que tu as. Certains aiment l’afficher, d’autres non. Un jour il avait pas mal d’argent, maintenant il a (blanc). Et après ces gens là ils t’en demandent !
BM : J’en ai connu plein des comme ça aussi, des mecs qui ont eu plein de contrats avec des gros labels, plein de trucs du genre, mais aujourd’hui ils sont retournés vivre avec leurs potes… Faut se méfier de la hype.

 

« J’ai rien contre avoir des meufs dans une vidéo si elles en valent la peine ! »

 

Comme je vous en ai un peu parlé avant, ça doit être vraiment différent de faire un show devant un public non-anglophone, est-ce que ça fait une grosse différence pour vous, est-ce que vous devez ajuster votre style ou autre ?

SP : J’ai été au Chili quelques fois, et il parle pas trop d’anglais là bas, j’ai été au Japon aussi, et les mecs chantent et crient des mots dont ils ne connaissent même pas la signification ! Ils copient les mots.
BM : Parfois j’essaie de faire l’effort mais j’oublie, j’essaie de faire une effort sur mon énonciation pour que ça puisse être plus compréhensible. Mais c’est pas facile, les gens comme Sean l’a dit répète vachement les mots, mais une fois que le track se termine et que tu veux communiquer avec eux, tu ressens ce décalage.

Une chose : dans un de vos sons, Guilty Simpson dit « them having better nicks than Mike d’Antoni’s », et Sean Price est de Brooklyn n’est-ce pas ? C’est pas un peu une offense envers les Knicks ? Vous êtes des fans de NBA ou pas ?

SP : Non, j’apprécie les équipes de Detroit aussi.
GS : Non mais c’est un regard extérieur à cette situation, si tu comprends pleinement ce que je dis, avant je vendais de la weed, de la « nicks », et il n’y a qu’une seule équipe des Knicks dans la ligue, je ne pouvais pas donc comparer ça aux Knicks de Detroit parce qu’ils n’existent pas ! Et les Knicks ont de super joueurs, donc c’est pas du tout un « offense » ! Ils ont deux des meilleurs joueurs de tout la ligue, avec Carmelo Anthony et…

Amare Stoudemire.

GS : Ouais, et Chris Paul bientôt.

Donc il n’y a pas vraiment de rivalité ?

SP : Tu sais, la première fois qu’on a fait un show ensemble, le soir même les Tigers de Detroit on battu les Yankees, et je suis arrivé le lendemain à l’aéroport avec ma casquette des Yankees. Les gens étaient là : « Vous ne vous tapez pas dessus les gars ? », mais bon, ça s’arrête à quelques vannes. Il nous reste le football, et là on est meilleur. (GS acquiesce devant l’évidence)

En parlant de football, eux au moins ils jouent ! Vous êtes de vrais fans, est-ce ce que ça ne vous met pas en rogne ?

SP : Ça craint mec ! Je connais pas trop précisément les causes du désaccord, mais je sais que je veux regarder du basket. C’est la deuxième fois que ça arrive depuis que David Stern est en charge, peut-être qu’il devrait partir.

Pour en revenir à la musique, après le succès du premier album, vous pensez en faire un autre ?

(En coeur) Oui.

Donc c’est pas juste l’histoire d’une fois ?

BM : Non, on le sent comme beaucoup plus officiel depuis qu’on a commencé à faire les shows, on sent que ça commence à bien tourner.

Pour finir, est-ce que vous aviez déjà entendu parlé du rap français ?

GS : Moi c’est les producteurs qui m’intéressent, et il y avait ce mec à Paris qui était très fort, Astronaute. On avait vu en studio ce que ça donnait, et c’était vraiment cool.

Donc des producteurs, pas vraiment des MCs ?

GS : C’est ce que je recherche tu vois, je ne cherche pas dénigrer un rappeur ou un autre, mais je suis plus à l’écoute des producteurs, pour tout ce qui est collaboration. Je ferai l’effort d’écouter des MCs, et je verrai ce que ça donne, surtout s’ils me montrent qu’ils veulent bosser avec moi. Mais sinon, je reste vraiment axé sur les producteurs.

[Discussion en parallèle entre Sean Price et Black Milk sur l’un des samples utilisé par 1995, sur scène au moment de l’interview]

BM : Bref, ouais, comme il l’a dit, je suis pas trop calé rappeurs français, mais les producteurs sont un peu venus à notre rencontre, et c’est de là qu’on en connait un peu sur le sujet. Mais c’est à peu près tout.
GS : Cet Astronaute avait vraiment des trucs frais.
SP : Sinon il y a ces DJs français aussi là, ces trucs de boites de nuit là… Non, je blague. Everybody dance now, tam, tam, tam tam tam…. (rire)

 

Sean Price continue de blaguer sur le sujet, et commence à chanter des trucs qui me sont malheureusement totalement inconnus. Je doute que ça importe dans tous les cas. 

 

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