Est-ce qu’Okou Gnakouri n’est pas l’ultime révérence de Kaaris tel qu’on le connait ? C’est avec cette idée en tête que nous sommes allés à la rencontre du rappeur de Sevran qu’on commence à bien comprendre, l’ayant interviewé trois fois en quatre ans. Que nenni : à 36 ans, Talsadoum semble avoir troqué la glace qu’il avait dans les veines par du magma. Son évolution artistique interroge et son dernier album intrigue. Mais Kaaris, qui n’a jamais la langue dans sa poche, nous a longuement expliqué ce qu’il était aujourd’hui et pourquoi nous devions l’attendre encore demain.
Jamais deux sans trois. Alors qu’il vient de sortir Okou Gnakouri, son troisième album, Kaaris nous a accordé un nouvel entretien. Le troisième, après ceux réalisés au moment d’Or noir en 2013 puis de son second LP, Le bruit de mon âme, en 2015. Deux entretiens où le rappeur de Sevran nous avait parlé de rage, de sourire et de son parcours atypique dans le rap français. Parce qu’avant de connaitre la lumière en 2012 avec la mixtape Z.E.R.O. et son featuring légendaire avec Booba sur « Kalash », Gnakouri a charbonné dans l’ombre pendant une petite quinzaine d’années. Ce vétéran avant l’heure, qui peut se targuer d’avoir pondu l’un des rares classiques des années 2010 avec Or noir, a explosé dans le jeu avec une telle force – façon films de Michael Bay – qu’il s’est lui-même mis la barre très, très haut. De quoi susciter une vraie attente à chacune de ses nouvelles sorties, et naturellement son lot de déçus. Kaaris, qui ne supporte pas qu’on lui dise quoi faire, à cette faculté à surprendre, à tenter et, parfois, à tomber à côté. Avec Okou Gnakouri, l’artiste propose un disque varié, à son image, dans lequel il jongle avec les styles et les flows tout en n’omettant jamais de rappeler ce qu’il vaut quand il s’agit de faire dans la découpe. Entretien avec compétiteur qui a toujours su garder son sang-chaud.
SURL : Est-ce que le masque Kaaris n’est pas en train de tomber pour laisser place à autre chose ?
Kaaris : Non, je ne trouve pas. J’ai juste une approche différente du business, c’est tout.
C’est à dire ?
Je ne me prends plus la tête. Avant, j’essayais de réfléchir à ce que j’allais faire… C’était un milieu que je ne connaissais pas donc j’étais un peu sur la défensive. Maintenant, je m’en fous.
Est-ce qu’Okou Gnakouri, l’homme, ne vient pas chasser le personnage Kaaris ?
Non, pas du tout. Si t’écoute l’album, tu verras.
Je l’ai écouté et justement, il y a des morceaux qu’on n’aurait pas imaginé trouver dans Or noir ou dans Le bruit de mon âme. Sur « Boyz N The Hood », par exemple, tu chantes de A à Z.
J’ai compris que je pouvais chanter, en fait, avec le morceau que j’ai fait pour la B.O. de Braqueurs, « Bambou ». C’était un test. J’ai trouvé que ce n’était pas trop mal et c’est à ce moment-là que ça a changé pour moi. Je ne suis pas chanteur mais je suis capable de maîtriser les mélodies et de mettre différents flows sur mes morceaux, et je vais continuer à le faire.
Okou Gnakouri est le premier de tes albums qui n’est pas composé uniquement par Therapy. Qu’est-ce que cela a changé concrètement pour toi ?
Selon moi, ça n’a pas changé grand-chose. C’est ce que je me dis en écoutant l’album. Il y a beaucoup de morceaux, même à l’époque, que je faisais tout seul en studio. Le morceau « Or noir », par exemple, je l’ai fait tout seul. « Dès le départ », je l’ai fait tout seul. Donc ça n’a pas changé grand-chose au niveau de l’enregistrement. La seule chose qui a changé, c’est que je me suis rendu compte que d’avoir des prods composées par différentes personnes, même si elles sont toutes dans le même genre, ça apporte un autre truc. Il a fallu que je travaille avec d’autres compositeurs pour vraiment m’en rendre compte.
Dans ta façon de travailler, tu as appréhendé les choses de la même façon ?
Oui, toujours pareil. Tous les rappeurs travaillent toujours de la même façon : t’appelles un beatmaker, il t’envoie une instru, tu l’écoutes en boucle puis après t’écris dessus. Tu vas en studio et tu poses.
Dans la création pure de tes albums, est-ce que Therapy 2093, en dehors de la composition, n’était pas là aussi pour dicter une direction artistique ?
Si, il le faisait à l’époque où il était encore mon producteur. Nous avions un contrat : je suis chez Def Jam depuis Le bruit de mon âme et déjà, à ce moment-là il n’était plus que mon manager. Après, le contrat de management s’est fini et il n’était plus que mon éditeur.
C’est un choix commun de ne plus travailler uniquement ensemble ?
C’est un choix d’abord par lui. Il en avait marre de la production, il voulait retourner à la composition pure et ne faire que des instrus.
Il voulait redevenir beatmaker, en fait ?
Oui, voilà. C’était plus simple pour lui vu que j’étais déjà chez Def Jam. Il est parti et il m’a laissé la bas.
Justement, on a plus de mal à voir la ligne directrice d’Okou Gnakouri par rapport à tes deux albums précédents. Il semble peut-être moins linéaire. Tu as voulu faire quelque chose de plus varié, plus représentatif de tes différentes facettes et influences ?
Oui, c’est vrai. Avec Therapy, c’est plutôt du rap dur. Et c’est ce que je sais faire – en tous cas selon moi. J’ai fait « Bambou » puis « Dans le club » avec DJ Arafat sur une instru un peu aux tempos africains, et j’ai bien aimé. Donc je me suis dit qu’il était temps de tester un peu autre chose sur cet album, et c’est pour ça qu’il y a plein de choses différentes. Faut bien que j’évolue !
C’était la direction artistique de Therapy qui t’amenait à faire des morceaux durs ?
Non, c’était moi. Mais c’est vrai qu’avec Therapy, des morceaux comme « Tchoin » ou « Boyz N The Hood » ou « Poussière », on ne les aurait pas faits. Lui ne fait pas ce genre d’instrus.
Est ce que tu estimes qu’Okou Gnakouri, c’est aussi l’album de Kaaris, le père de famille ? En quoi la naissance de ton premier enfant t’a influencé en tant qu’artiste ?
Non. Ça a joué dans ma vie privée, mais pas sur moi en tant qu’artiste. Je fais toujours ce que j’ai envie de faire. Franchement, je ne pense pas que ça ait joué dans mon évolution artistique. Quand j’écris, je ne pense pas à mon bébé. Je pense à faire la musique que j’aime.
Le fait d’être père a ouvert les yeux a beaucoup d’artistes. La vie prend une importance différente…
Oui, mais c’est que dans ma vie privée. Au niveau de la musique, je reste le même. Je fais toujours la même chose, c’est à dire que je fais ce que j’aime. Le rap, c’est de la compétition : toujours essayer de faire les meilleurs morceaux, les plus hardcore, ceux qui passent le mieux. Essayer d’apporter quelque chose de nouveau.
Est-ce qu’aujourd’hui tu es plus heureux qu’il y a trois ans ?
Oui, avec mon bébé c’est sûr. Ça m’apporte un nouveau souffle, une joie de vivre que je ne connaissais pas avant. C’est certain.
Et ça ne joue pas sur ta musique ? On te sent plus jovial sur certains morceaux.
Même si je n’avais pas eu de bébé, j’aurais fait ces morceaux quand même. J’en suis sûr à 100%. Je voulais déjà le faire. Mais peut-être que ça a joué, peut-être que tu as raison mais moi, je ne ne le ressens pas comme ça.
Depuis trois ans, on te voit collaborer avec de nombreux de rappeurs français mais, à l’exception de Kalash Criminel, aucun n’est présent sur cet album-là. Pourquoi ?
Parce qu’ils ne veulent pas. Parce que je suis Kaaris. La bête noire du rap français. Il ne faut pas poser avec moi, sinon t’es grillé. Même pour les compositeurs on a eu du mal à trouver.
Tu l’as vraiment ressenti comme ça ?
Ce n’est pas un ressenti. C’est vrai, c’est sûr. Il y a un moment où je suis devenu persona non grata. Je suis l’infréquentable du rap français. Mais je suis un grand garçon, je fais mes morceaux tout seul.
Cette situation ne t’a jamais agacé ?
Le jour où quelqu’un voudra faire un morceau avec moi, il n’aura qu’à m’appeler.
Tu n’as pas besoin d’eux ?
Tout le monde a besoin de tout le monde. Mais si tu ne peux pas, tu fais avec ce que t’as. Donc j’ai pris Gucci Mane et Kalash Criminel. C’est bien quand même, il y a pire !
Poser avec Gucci Mane, c’était l’un de tes objectifs de carrière ?
Ouais, depuis toujours. Depuis que j’ai vu « Mouth Full Of Golds », surtout. Je me disais : « Un jour, je vais faire un truc avec lui, c’est sûr ». Mais je disais ça sans vraiment y croire.
« Tout le monde a besoin de tout le monde. Mais si tu ne peux pas, tu fais avec ce que t’as »
À quel moment tu y as cru ?
Dès qu’il est sorti de prison. J’ai vu avec les mecs avec qui je travaille, je leur ai dit qu’il fallait trouver un moyen d’appeler son manager, qu’il fallait qu’on le fasse.
Tu peux nous raconter cette rencontre ?
On a réussi à contacter son équipe et on leur a expliqué que j’avais fait un morceau avec Future [« Crystal », ndlr]. Il a accepté. Au début, j’y croyais pas trop, jusqu’au soir où l’on m’a envoyé mon morceau sur lequel Gucci Mane avait posé. Et là, je me suis dit : « Ah ouais quand même, t’as posé avec Gucci Mane. C’est frais. » Après on a décidé de faire un clip parce qu’aujourd’hui, un morceau sans clip, c’est guez. On a organisé le départ, on est arrivé à Atlanta. On avait rendez-vous avec lui, on a eu un peu du retard et quand on est arrivé, il était là. Il m’a fait bonne impression et je pense que je lui ai fait bonne impression. On n’a pas trop échangé : je ne parle pas anglais et lui il comprend rien au français. Il arrive même pas à dire « voulez-vous coucher avec moi » alors que normalement, c’est l’une des seules phrases que les Américains savent dire. Il n’y arrivait même, tellement il est loin. Ça le faisait rigoler, il ne savait même pas ce que ça voulait dire. Je pensais que c’était la base, mais non. Il y a des Américains qui sont dans une autre sphère.
L’image qu’il t’a donné artistiquement sur le moment ?
Il m’a donné l’image d’un boxeur américain. Il est venu, il est resté debout, il s’est même pas assis une seule fois je crois.
C’est cette image-là que t’avais avant de bosser avec ?
Ouais. Je ne me suis jamais dit que c’était un mec chelou, pas du tout. Sérieux de ouf. Serrage de main, on se check, on se regarde, on essaie de se placer deux, trois mots. Il me dit comment il veut que je me mette pendant son couplet, tranquille. On termine, il serre la main de tout le monde. Pro de ouf.
Pour Kalash Criminel, tout commence vraiment lorsque tu l’invites sur ton Planète Rap pour Double Fuck. Quand il pose, le studio s’enflamme. Tu le connais depuis longtemps en tant qu’artiste ?
Je le connais très très bien en tant qu’artiste. Il est plus jeune que moi, on ne travaille pas ensemble à la base. Je travaille avec les gens de mon âge. Mais j’avais déjà entendu des morceaux de lui. Je savais qu’il rappait et je savais qu’il allait tout bousiller, et c’est pour ça qu’il est venu. Quand il y a du boulot et du talent, ben ça donne ça.
La vie est un éternel recommencement : pour toi tout part de Sevran, cité Rougemont. Tu fais ton trajet et tu te retrouves, indirectement, à contribuer à lancer la carrière de Kalash Criminel, lui aussi de Rougemont. On a l’impression que ce retour aux sources te donne du fioul. C’est le cas ?
Bien sûr. Je pense que tout le monde à apprendre de tout le monde. Quand je fais un morceau avec un petit jeune comme Kalash Criminel, bien sûr que ça me donne du peps. Ça me donne envie de donner plus. Quand on a posé le morceau « Arrêt du cœur », je savais que ça allait être un banger. J’en étais sûr, j’en étais persuadé. C’était trop évident. Tu écoutes les premières paroles de son couplet et tu sens tout de suite la lourdeur du morceau. Tu sens qu’il y a une écriture, une recherche. Je comprends ce que tu veux dire : oui, c’est une espèce de boucle, de cycle et j’espère que ça va continuer dans ce sens.
Dans ce morceau, on a vraiment l’impression qu’être dans ton environnement initial, entouré des gars de chez toi et en collaboration avec un artiste de Rougemont te donnent une énergie qu’on avait pas retrouvée depuis longtemps…
Ouais possible, c’est fort possible. C’est la fraîcheur. Il y a un truc qui se passe là-bas, je sais pas. Il y en a d’autres qui vont arriver, c’est sûr.
D’ailleurs, petite question technique : est-ce que tu as déposé « limonade de chatte » à l’INPI ?
Je crois que j’aurai dû le faire. Je crois que des gens l’on fait…
C’est vrai ?
Non, je rigole. (rires)
Outre « Bambou », le premier morceau que tu sors pour ton retour est le freestyle « Chicha », remix de « Minnesota » de Lil Yachty. Les réactions mitigées des gens t’ont surpris ?
Les gens étaient étonnés, ils ne s’attendaient pas à ça. Ils s’attendaient à un truc dur, un rap dur. Et moi j’étais en train de m’amuser tranquille. Mais beaucoup ont kiffé, et je le sais. Des gens que je ne connais pas m’en parlent dans la rue ! D’autres ont été déçus parce qu’ils n’ont pas retrouvé le Kaaris qu’ils connaissent, d’autres parce qu’il n’aime pas ma musique tout court mais franchement, je m’en fous complètement. Le son, je vais le faire sur scène et ça va marcher.
Ça en dit quand même long sur le public français : beaucoup adorent Lil Yachty mais n’étaient pas prêts pour une version française de « Minnesota ».
Beaucoup ne connaissent pas. Dans tous les cas, les Américains sont toujours en avance et le seront toujours. Il faut rester lucide un moment, quand même. Je ne pense pas que l’écart se réduit, je trouve qu’on va complètement dans l’autre direction. Je crois que les Français n’écoute même plus la musique américaine. Maintenant, il y a les trucs africains dans les chichas et dans les boites et les Américains n’ont rien à voir avec ça.
Juste avant la sortie d’Or noir, tu nous disais que ce qui te caractérisait par rapport aux autres, c’est que t’avais la rage. C’est encore le cas aujourd’hui ?
Quand tu écoutes « Blow » et « Nador », tu sais. Je pense que j’ai toujours la rage. Après, peut-être que je ne l’expulsé plus de la même façon, parce que maintenant je suis bien. Mais j’ai toujours la rage.
Et quand tu vois que tu es aujourd’hui « la bête noire du rap français », n’as-tu pas de la haine ? Tu y fais écho dans « Jack Uzi ».
De la haine envers qui ? Non, pas du tout. Je n’ai aucune haine. Peut-être que j’aurais fait pareil que si j’avais été dans leur situation… En fait non, je n’aurais pas fait pareil. Parce que moi, je suis quelqu’un qui dit non : dès qu’on me dit de faire ou de ne pas faire un truc, je dis non. C’est mathématique. Il suffit que tu me dises « fais ci, fais ça » pour que je te dise « nique ta mère » direct. Je suis un mec comme ça. Mais je les comprends, et ce n’est pas grave parce que mes sons marchent.
Je ne dis pas que tu as de la haine envers eux. On parle de rage, de haine…
(il nous coupe) Oui mais la rage, je l’ai musicalement. Je ne l’ai pas contre d’autres artistes. Ma rage n’est que musicale. La rage de toujours vouloir faire mieux, de se remettre en question, de rester dans le truc. Je pense que c’est quelque chose que tu as à l’intérieur de toi ou que tu n’as pas. Certains commencent à briller un peu et finissent par se ramollir parce qu’ils n’évoluent pas. Moi, j’essaie toujours de revenir avec un truc différent.
Tu dis que tu trouves l’industrie trop sévère avec toi parce qu’elle te tombe toujours dessus avant même que tu ne sortes quoi que ce soit ?
Ouais, clairement. Même, je te prends un exemple : à l’époque de « Kalash » avec Booba, quand j’avais été annoncé en tant que featuring, dans les commentaires tu voyais déjà des : « T’aurais pas dû ! » Je ne sais pas pourquoi, je ne pourrais pas te l’expliquer ça. Je pense que je dérange.
Toujours dans cette discussion que l’on avait eue au moment de la sortie d’Or noir, tu disais que ta recette n’avait, finalement, pas trop changé depuis tes débuts, que tu avais juste adapté ton flow à l’époque. Pour toi, le Kaaris de « Vendeur de nah nah » avec Despo Rutti est presque le même que le Kaaris d’Okou Gnakouri ?
Ouais, je pense. Je ne peux pas mettre « Vendeur de nah nah » à côté d’un « Bambou », par exemple, ça n’a rien à voir, mais il y a une suite logique ouais.
Tu pourrais justement faire cette suite logique en prenant un morceau de chacun de tes projets, en partant de « Vendeur de nah nah » qui a été un peu le début pour toi et an arrivant à un track chanté comme « Boyz N The Hood » ?
Alors… « Vendeur de nah nah », puis « Zoo » sur Or noir, puis « Le bruit de mon âme » sur mon deuxième album. Ensuite, je mettrai puis « Petit vélo » sur Double Fuck et on arrive enfin à « Boyz N The Hood » sur Okou Gnakouri ! C’est bon, on a notre suite logique, vrai ou faux ?! (rires)
« J’ai toujours la rage, mais peut-être que je ne l’expulse plus de la même façon »
En avril 2015, lors de notre seconde discussion, tu disais qu’il y avait trop de divisions en France. Tu sens que c’est pire aujourd’hui, avec tout ce qui a pu se passer entre temps ?
Ça doit être encore pire, ça ne peut pas arranger le problème en tout cas. Je pense qu’on est encore plus divisé par ce que les extrêmes montent, mais c’est un problème mondial, pas que français. Il y a un problème d’extrême. Peut-être qu’il y a des types qui ont des calendriers sur lesquels ils ont déjà noté les dates des prochains guerres mondiales. (rires)
Le rap français est-il lui aussi de plus en plus divisé ?
Le rap est divisé, même si l’on devrait être plus soudé. Mais remarque bien qu’à chaque fois qu’il y a des problèmes, c’est toujours des renois. Ce sont toujours eux qui se clashent, les autres sont soudés. Ce serait bien que ça s’arrête.
Le manque d’unité, en général, n’est pas un thème sur lequel tu as envie d’appuyer artistiquement ?
Peut-être qu’un jour je serai amené à le faire. J’ai beaucoup de mal à faire des thèmes.
Justement, beaucoup de rappeurs, une fois devenus pères, font attention à ce qu’ils disent parce qu’ils imaginent leurs enfants écouter leurs morceaux une fois qu’ils sont en âge de le faire. Tu imagines ta fille écouter du Kaaris ?
Franchement, quand ma fille sera en âge d’écouter, on sera en 2030 ou je ne sais pas quoi et je crois que la vulgarité ne voudra vraiment plus rien dire. Peut-être que « fils de pute » voudra dire « bonjour ». Plus on avance et plus ça devient hardcore. Aujourd’hui, t’écoutes du Public Ennemy, t’es mort de rire. Alors qu’à l’époque, ils étaient interdits de partout. C’était trop hardcore, trop dangereux. Quand ma fille écoutera mes sons, ce sera du Claude François.
Ça change aussi la définition du rap hardcore, qui n’est plus la même qu’avant. Aujourd’hui, être hardcore, n’est-ce pas davantage dans la confession que dans la vulgarité ? « Hardcore comme reconnaître ses torts », disait d’ailleurs Kery James.
Ça dépend de qui l’écoute. Après, je pense qu’on est d’accord sur le fait que le rap ne sera plus si hardcore que ça avec le temps. C’est comme NTM : si tu l’écoutes aujourd’hui, ce n’est plus hardcore du tout. Alors, sur les plateaux TV, les gens avaient peur. Leurs paroles choquaient. Aujourd’hui, on s’est habitué à tout ça. C’est qu’une question d’époque. Ma fille pourra écouter mes morceaux et je pense vraiment que j’ai réussi à faire ce que je voulais de ma vie. Je pense qu’elle sera fière de moi. C’est toujours mieux d’avoir un père qui a fait un peu de musique plutôt que d’avoir un père qui n’a jamais rien réussi. Elle sera fière de moi quoi qu’il arrive, pour ça et parce que déjà, je suis un bon père. Je le sais.
Tu commences et termine Okou Gnakouri par deux morceaux très lourds, « Le sang » et « Chaos ». Deux morceaux qui incarnent ce qu’est Kaaris dans la tête des gens. Tu voulais qu’ils entrent dans ton disque et qu’ils le quittent avec le Kaaris qu’ils aiment et auquel ils s’attendent ?
Ouais, c’est ça. J’ai essayé de faire le même début et la même fin. Sur « Chaos », j’ai essayé de faire un flow à l’ancienne, malgré la partie un peu chantée. J’ai pas forcément réussi, mais j’ai essayé.
C’est l’image que tu as envie de laisser un peu à la fin de l’album ? « Je fais plein de trucs différents, mais n’oubliez pas ce que je vaux sur ce genre de morceau. »
Oui, c’est exactement ça.
Est-ce qu’Okou Gnakouri est l’album d’un rappeur qui n’a plus rien à prouver ?
Non, j’ai tout à prouver. Ce que j’ai fait jusqu’à présent, c’est bien mais c’est petit par rapport à d’autre. Je ne peux pas me permettre de m’endormir même si je peux par rapport à d’autres. Mais j’ai trop à prouver. Faut que je sois au top, je n’ai que ça dans la tête.
Ça, c’est la rage dont on parlait.
Ouais, je pense.
Okou Gnakouri n’est donc pas ton dernier album ?
Non, jamais de la vie. J’enchaîne avec une mixtape là, direct. Elle est déjà en préparation.
Dans notre premier entretien en 2013, tu disais ne pas du tout te voir multiplier les projets. Récemment, dans certaines interviews, tu confirmais également ce point.
Ouais, mais j’ai changé d’avis. Je ne vais pas lâcher, j’ai une rage de fou. Ce serait trop facile. Je ne peux pas arriver en ayant ramené un truc – en tout cas j’estime avoir amené un truc -, l’avoir bien développé et que tout le monde en fasse sa petite sauce alors que j’arrête. Jamais de la vie. Je vais continuer de revenir jusqu’à je me dise moi-même que j’ai fait le tour. Mais là, ce n’est pas le cas.