Mardi après-midi. Une petite salle de cinéma de banlieue parisienne. Le réalisateur Kizo, originaire de Grigny a fait le déplacement pour présenter à nouveau son projet Gangs Story : Les Années Rap. Diffusé le 17 novembre 2012 sur Canal +, le documentaire retrace l’histoire des gangs en France à travers les témoignages d’anciens membres, sous le regard de spécialistes de la culture urbaine et de sociologues.
En 52 minutes, Kizo retrace l’évolution des gangs depuis les années 80, de l’arrivée dans l’hexagone de la Zulu Nation aux premiers chasseurs de skins, les Rocky Boys, les Black Dragons, les Requins Vicieux.
Une première chose : le documentaire, pour ceux qui sont passés à coté, est passionnant. Il aura fallu pas moins de sept années de recherches à Kizo, le réalisateur, pour enfin se mettre au tournage. « Je faisais des trucs à coté. » L’occasion certainement pour l’essonnien de prendre du recul sur son travail, même s’il affirme « Le résultat final ressemble complètement à ce que je voulais au début. »
En 52 minutes, Kizo retrace l’évolution des gangs depuis les années 80, de l’arrivée dans l’hexagone de la Zulu Nation aux premiers chasseurs de skins, les Rocky Boys, les Black Dragons, les Requins Vicieux. D’abord liés par les mêmes valeurs et la même volonté d’unir, autour du credo « Peace, Love, Unity, Having Fun », les gangs vont ensuite progressivement se politiser et ressentir le besoin, ou l’urgence, d’unir leur force autour d’un même combat : désunir ceux qui s’opposent à leurs idées pacifistes. Les gangs se réunissent, descendent à Assas. « On provoquait un peu », reconnait un membre des Black Dragons. Puis un jour, c’est fini. Plus de skins. Ou alors, plus beaucoup. « On s’est mis à taper tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un skin, ajoute Jo Dalton. On comprenait plus rien. » Premières dérives. On entre dans les années 90. Rapidement, les choses vont dégénérer. Sans trop de raison, les bandes commencent à se racketter entre elles, des petits vols sans conséquences. « Mais on allait récupérer nos affaires, normal », statue à nouveau Jo. Puis on passe au viol, comme le confirme Mc Jean Gabin, ancien membre des Requins Vicieux. Rapidement, les membres des gangs vont commencer à lâcher prise sur les jeunes, dépassés par leur soif de violence et leur manque de revendications.
« On s’est plantés quelque part. » – Fred, gang des Asnay
Le discours des jeunes du gang BTG (ndlr : Blacks Trop Gangsta), formé à Grigny en 2005, surprend. Paumés, conscients de l’importance des valeurs enseignées par les premiers gangs mais aussi de l’importance de leur combat pour leur intégration dans la société, les cinq jeunes sont là, prostrés, dressant avec une justesse presque effrayante le constat de la vacuité de leur quotidien, entre embrouilles, rackets et vengeances permanentes. On entre alors dans l’ère du vide, dans laquelle l’appartenance à un groupe ne se définit plus que par le respect d’un nom que l’on respecte uniquement parce qu’il fédère chacun de ses membres. Finies les valeurs, finie l’unité, terminés aussi, le partage, le combat, bienvenue dans l’ère de la radicalisation et de la pensée collective. Le groupe est alors vu comme un danger, une nuisance qui aliène et oppresse l’individu, allant jusqu’à l’empêcher de penser. « On s’est planté quelque part, je pense. On n’a pas su les encadrer », lâche dépité Fred, membre des Asnay, à la fin du documentaire. Autour de l’échec de l’interaction d’une double responsabilité, celle des anciens qui n’ont su transmettre aux plus jeunes leurs valeurs, et à ces derniers de n’avoir pas assimilé correctement le discours de leurs ainés, se pose alors une question toute simple : mais pourquoi combat-on, au juste ?
« Je me suis dit à un moment, mais tu te bats pourquoi ? Tu défends ta fierté, mais quelle fierté ? Tu vas travailler le matin ? Ça n’avait plus de sens »
Kizo paraît au premier abord difficile à cerner. Après plusieurs années passées au sein de la Mafia Z, avec laquelle il a pris part, entre 1998 et 2005, aux rivalités entre les quartiers de Corbeil, Évry et Grigny, Kizo est aujourd’hui réalisateur et fondateur du No Joke Training, un mouvement sportif « Un jour, on allait racketter un mec. Il était avec son petit frère, qui avait quoi, 4 ans ? Et là, j’étais avec des mecs, même pas des potes, et là le mec nous dit “ S’il vous plait les gars, faites pas ça devant mon petit frère.“ Pour la première fois, j’ai eu pitié. Quand t’es dans une bande, la pitié, ça existe pas. Evidemment les mecs m’ont pas écouté, et quand j’ai retrouvé mes potes, je leur ai raconté. C’était le déclic. »
Au début de l’intervention dans la salle, personne ne bronche. Les gamins lèvent la main, posent des questions. « Attends, mais tu as regardé le film ? », répond-t-il du tac-au-tac. Kizo force le respect, comme la plupart des mecs capables de tenir un discours radicalement opposé de celui qu’il ont délivré pendant des années, sans ciller devant ses nouvelles responsabilités, davantage grave que fier. « Je me frappais toujours avec des noirs. Je me suis dit à un moment, mais tu te bats pourquoi ? Tu défends ta fierté, mais quelle fierté ? Tu vas travailler le matin ? Ça n’avait plus de sens », lâche-t-il. De l’évidence ensuite, d’avoir un discours à défendre, de se poser les vraies questions et pour le réalisateur, de la nécessité de passer par la prévention. Le message devient alors limpide : l’appartenance à un groupe ne fait sens que s’il n’est pas motivé par un désir de rassemblement autour d’intérêts communs, et le poids du passé ne pèse que s’il est soutenu par la transmission.
Et comment sort-on du groupe, dans ce cas ? » Le tout, c’est de s’instruire », conclut alors Kizo, avec une gravité lourde de sens.