Big « ting », oui. Pas de faute de notre part. Habituez-vous à cet accent bien particulier car une rappeuse de Birmingham, Lady Leshurr, fait depuis quelques mois une percée assez précise sur les réseaux sociaux. Mais est-ce que cela suffit à lancer une carrière qui ne décollait pas jusqu’à présent ?
« Big mouth gyal, where’s your lips gone? » Lady Leshurr a beaucoup d’atouts. Elle a aussi la chance d’évoluer dans une ère où, d’une part, les rimes anglaises ont plus que jamais le vent en poupe et, d’autre part, des carrières peuvent être lancées en une après-midi. À l’heure où les personnalités deviennent virales, celle qui a du sang caribéen revendique sa singularité de multiples manières : que ce soit dans son slang inimitable, dans son acoquinement certain avec la scène grime UK ou encore à travers un humour surgras qui met les Internets à ses pieds. Avec un nouvel (et cinquième !) EP qui devrait arriver bientôt, Queen Of the Scene, il est grand temps de faire les présentations.
CARIBBEAN GYAL
Melesha O’Garro a grandi dans la grisaille de la banlieue anglaise, près de Birmingham. Heureusement, ses parents caribéens ont apporté ce qu’il fallait à la môme pour entrevoir un peu le soleil : un goût pour le jazz, le reggae et le rap lié à leur métier, et des origines exotiques, inépuisables sources d’influence pour la future Leshurr. Productive très tôt, elle a sorti sa première mixtape à l’âge de 14 ans. Et, depuis, une ribambelle d’autres ont suivi, lui permettant de faire ses armes. Aujourd’hui, sa musique caractéristique transpire ces racines tropicales : Lady Leshurr a une diction bien particulière, un accent qui fait se rencontrer l’anglais le plus pur avec des sonorités caribéennes. Avec ça, la Lady ponctue ses phases d’un slang des plus atypiques : gyal, ting, aye… Des termes issus des dialectes caribéens que tu connais forcément à force d’avoir rouillé les titres les plus obscurs de Sean Paul pendant l’adolescence. Ou que tu découvres aujourd’hui après que la scène rap de Toronto se les soit appropriée.
Mais voyons plus grand. Lady Leshurr apporte surtout une nouvelle pierre à l’édifice déjà bien solide de la scène grime anglaise, en plein renouveau. Le grime est, en 2015, la partie la plus émergée d’un immense iceberg de subcultures ultrafertiles sur le territoire UK. Pas besoin de citer l’héritage de Dizzee Rascal, Devlin et Virus Syndicate ou de rappeler que Skepta, Fekky ou Stormzy sont en train de tout péter en agitant avec plus de virulence que jamais les étendards du hip-hop made in UK. Qu’est ce qui constitue le grime ? Des rythmes justement empruntés aux musiques tropicales et au dancehall, mélangées avec des sonorités plus sombres et électroniques, telles que celles du mouvement garage, très anglais lui aussi. Sur « Shurraq », par exemple, Leshurr met une instru minimaliste aux rythme effréné au service de la boule d’énergie incontrôlable qu’est son flow.
LESHURR L’EFFRONTÉE
Car le plus frappant dans l’identité Leshurrienne, c’est le caractère, l’humour et l’effronterie qu’elle met en avant. Un humour gras, très imagé, truffé de références à la culture Internet. Son plus grand kiff : se moquer des bad bitches virtuelles, et réelles : « Bare girls change their friends everyday but forget to change their panties. »
Une énergie et un goût pour la provocation qui rappellent Azealia Banks. À l’exception que Leshurr transforme ça en énergie productrice efficace – on ne reviendra pas sur le gâchis Azealia. Dans ses freestyles sobrement baptisés « Queen’s Speech », elle dispense des leçons de bonne tenue et se moque tour à tour des snappeurs compulsifs en soirée, des gyals accros au contouring – technique de maquillage inspirée par Kim Kardashian – ou des bad bitches à l’hygiène douteuse. En balançant, hilare, une quinzaine de « brush yo teeth » dans sa dernière vidéo en date, elle s’impose comme la rappeuse golri à l’humour décapant et à l’esprit vif qu’on a envie d’avoir comme copine. Sans trop savoir si elle s’exprime au premier ou au 26ème degré, on se retrouve malgré nous avec ses punchlines didactiques en tête toute la soirée. Des mèmes inspirés de ses tracks se multiplient sur les réseaux sociaux. La moquerie, ça fédère.
LE BUZZ COMME ESSENCE
Et son influence est en train de s’étendre au delà des frontières de la grime, de l’Angleterre, et même du monde de la musique. Alexander Wang, sans doute séduit par son esprit facétieux et sa diction hors-normes, a utilisé son « Queen’s Speech 3 » comme bande de présentation pour sa collection printemps/été 2016 lors de la fashion week de New-York. Récemment, on pouvait aussi l’entendre sur des publicités Samsung aux Etats-Unis. À l’instar de Rihanna, A$AP Rocky ou encore Yeezy, Lady Leshurr pourrait bien suivre cette nouvelle vague de rappeurs/euses courtisés par la haute couture et les marques, avec tout ce que ça induit comme effets secondaires sur leur travail et leur image.
Le truc fascinant, c’est que la carrière de Leshurr semble vraiment avoir décollé du jour en lendemain. Entre 2013 et 2014, on se rappelle notamment qu’elle a joué plusieurs fois sur la scène du Ninkasi, à Lyon. On ne va pas dire que ses passages étaient anecdotiques, mais pas loin. Rien à voir avec la star en devenir qui explose les compteurs. Lady Leshurr a explosé via les réseaux sociaux et peut notamment remercier Facebook. Une raison principale : en décidant de devenir concurrent de YouTube, Facebook a mis le paquet sur les vidéos uploadées directement sur le réseau social en leur donnant systématiquement une énorme portée. En gros, si Facebook fait en sorte que votre pseudo soit vu par 5% de votre audience, il s’arrange aussi pour que ce pourcentage (aka le « reach ») soit huit à dix fois supérieur dans le cas une vidéo uploadée directement sur votre profil/page. Oui, c’est la raison pour laquelle ton fil d’actualité est inondé de Vine pas très drôles et autres merdes depuis quelques années maintenant.
Mais ce qui peut s’avérer bien pratique pour partager au monde entier la gamelle d’un mec sur un tapis de course n’est pas forcément adapté à la promotion efficace d’un artiste. Dans le cas de Leshurr, de ses vidéos en plan séquence, de son humour et de son flow entraînant, ça fonctionne : son dernier « Queen’s Speech » cumule 35 millions de vues sur le réseau social et a été partagé… 500 000 fois. Bien plus que les quatre millions de vues générés depuis sur la version YouTube du freestyle.
Une étrange trajectoire et un non-moins incertain destin. Quelle est l’espérance de vie – comprendre en terme de carrière – d’une kickeuse comme Leshurr ? À un moment donné, l’exercice de style ne suffira plus. Pour ne pas être qu’une comète, l’Anglaise doit montrer davantage ; l’EP à venir devrait apporter son lot de réponse. Et si ce n’est pas le cas et que l’émulation retombe aussi vite que la forme d’un soufflé sorti du four, la gyal pourra se targuer d’avoir été la première rappeuse à la carrière moins longue qu’un Vine de Logan Paul.