Il a sorti son premier projet solo Mercy début décembre 2016. Fidèle à son nom, Laylow est passé relativement en scred. Pourtant, il aurait pu faire beaucoup, beaucoup plus de bruit tant les dix tracks explosent dans tous les sens, s’affranchissant de toutes les règles des temps, du flow et des modulations de voix autotunées. Rencontre avec un phénomène mystère, avant qu’il ne se dévoile davantage ce vendredi 3 février aux Nuits Fauves.
« J’ai assez confiance en la musique, elle parle d’elle-même. » Laylow est sûr de sa force, et il a raison. Le son qu’il crée est difficile à ranger dans une case. C’est lent et rapide, c’est aigu et grave, c’est léger et lourd. Tout à la fois. Avant d’en arriver là, l’aboutissement de Mercy s’inscrit au terme d’un parcours d’expériences. Celui qui a commencé le rap en groupe avec son ami Sir’Klo a tiré des apprentissages de toutes ses confrontations avec l’industrie, et avec la vie en général.
En 2007 – « à peu près » -, comme beaucoup d’autres, Laylow tombe dans le rap en observant son grand frère s’adonner à la punchline. Très jeune, il se fascine pour l’exercice. « J’essaie de jamais oublier ce sentiment fantastique de recevoir la musique quand tu es très jeune. » Une façon très innocente de capter ce qui se passe autour de soi quand on est gamin.
Le rap devient petit à petit une affaire sérieuse. Avec son ami Sir’Klo ils commencent à poser – et même à peser. Le groupe grandit jusqu’à la signature en major, chez Barclay. Un épisode court sur lequel Laylow revient avec beaucoup de lucidité. Trop naïf à l’époque pour capter tous les rouages d’une mécanique trop rodée.
L’expérience des majors n’était pas mauvaise ceci dit. Laylow a ainsi compris le business. Mauvais timing donc. Il fallait laisser un peu plus de liberté pour laisser naître une véritable identité solo.
Une expérience survenue beaucoup trop tôt, à un moment où le jeune rappeur avait besoin d’ajouter encore quelques cordes à son arc. Ça bouillait trop en lui d’avoir des notions suffisantes pour comprendre et choisir beaucoup plus pertinemment et personnellement ce qu’on lui proposait. De la même manière que ça devenait aussi urgent de maîtriser les codes de son temps. Et rien ne s’inscrit plus dans l’ère du temps que le digital. En rappeur numérisé, Laylow passe beaucoup de temps derrière l’écran et se bute à apprendre. « Je suis digital« , martèle-t-il. L’esthétique de ses clips, ultra travaillée, reflète bien son monde entre le film d’horreur et la science fiction 2.0. Laylow y mixe tous les codes de mises en scène basiques avec le numérique. L’artiste blinde l’image d’effets spéciaux, et créé ainsi une ambiance à la fois robotique, futuriste, et bizarrement assez vintage. Il cultive sa fascination pour les technologies. Sa soif d’apprendre le transforme. Pas en geek, mais presque. En symbiose totale avec ces nouvelles techniques graphiques, sa musique est pensée digitale, avec une esthétique digitale, et une technique digitale. Rien n’est laissé au hasard, le numérique fait partie de sa manière de rapper. Le prochain projet se nomme déjà Digitalova tant les deux arts ne font plus qu’un.
D’essai en essai, Laylow apprend, se découvre, retente du neuf, remixe du vieux, et se créé. Le rappeur puise aux quatre coins de la planète pour se construire son identité d’artiste. D’abord il y a l’influence de la musique africaine qui tournait à la maison familiale et qui a alimenté ses flows. « Dans le coupé décalé, t’as toujours un truc qui fait clac clac clac. Les chanteurs africains savent très bien se positionner sur ces temps. Je m’inspire de la musique africaine pour cette maîtrise des temps. » Les States ne le fascinent plus autant qu’avant. Quand on lui parle d’outre-Atlantique, il répond Europe. Yung Lean (Suède), Ghali (Italie), Skepta (Angleterre), Tommy Cash (Estonie), Keith Ape (Corée)… Les références multinationales fusent. « Il faut ne pas avoir peur d’affirmer son pays et sa culture. Après je peux pas nier, les américains ont beaucoup décomplexé nos façons de faire. » Toutes les choses qui sont arrivées dans la musique, les tentatives des autres aussi ont créé des déblocages très intimes. « Young Thug par exemple, je suis pas fan de tout ce qu’il fait mais j’adore sa liberté, sa folie, ce qu’il explore avec sa voix. » Dans Mercy, c’est comme si on était face à une osmose de tentatives. Un couplet grave, l’autre strident, une punchline criée puis un refrain chuchoté, tout est hybridé. Ça se tente et ça fait son effet. « Sur « Oto », mon son préféré, je voulais du neuf pour le deuxième couplet. J’ai posé le micro et ma voix est sortie hyper aigue. J’ai exploité !« , nous dit-il. L’évolution depuis « Roulette Russe » est plus que flagrante.
Les textes sont pourtant restés sombres. Toujours un peu d’egotrip, mais aussi beaucoup d’ambiances angoissantes sur des prod lourdes. Résultat d’expériences accumulées, Mercy a mûri avec une envie de rattraper le temps.
Laylow a exploré tous les moyens de s’exprimer sur ses sons, ce qui paradoxalement l’a détourné de ses textes. Les propos ne sont pas toujours bien articulés, et à vrai dire, Laylow s’en fiche. Quand un photographe danois lui a dit : « je comprends pas ta langue mais ton aigu, ça me touche trop !« , ça par contre c’est le feu. Merci l’autotune aussi, qui lui a permis de chanter, exploité comme un véritable instrument de musique du premier au dernier track. Un usage de la technologie qui lui permet de développer une nouvelle manière de toucher le public. Laylow est clair, il s’en fiche aussi que les puristes du rap le trouvent fort ou non. Aujourd’hui de toute façon, « c’est fini l’époque où tu rappes pour les thèmes« , estime-t-il. Un projet c’est l’expansion d’un artiste. « Chaque track c’est comme si tu taillais une facette dans un diamant. Mais au final c’est le même diamant. »
En réalité, toucher les gens au plus profond d’eux-mêmes, en se réappropriant les mythes universels l’intéresse beaucoup plus. Pas un hasard si tous les tracks abordent les déceptions amoureuses. « Je kiffe les mélodrames, quand y a un héros pauvre fou d’une femme aisée qui est obligée de se marier avec un autre riche. J’adore ces histoires parce que c’est les histoires qui rendent les humains beaux. » Ces chevaliers kitchs aux cheveux longs montés sur chevaux, ancrés dans la tête de tout le monde, Laylow les mèle aisément aux codes violents et hardcore du rap qu’il affectionne. « Moi j’ai pas un cheval, j’ai une Lamborghini, c’est tout. »
Alors c’est sûr que la Lambo s’imposait en couv de son projet. « Je sais que ça fait cliché, mais ce côté bling bling me fascine. Cette voiture fait vraiment quelque chose dans la tête des jeunes« , nous dit-il. Quelque chose de vachement beau et de vachement triste à la fois. C’est de ça dont Laylow voulait parler sur cette couv. Il fallait donc d’abord choisir un endroit pour la poser. Un endroit qui souligne l’indécence de la caisse, dans un cadre lourd de sens. Un cadre de la vraie réalité. En plein milieu d’un camp de réfugiés syriens par exemple. « C’était spécial de ramener cette voiture là en plein milieu du camp. Certains passants pensaient que c’était une œuvre d’art, une performance artistique, pendant que d’autres me disaient que ça ne se faisait pas. Les avis divergeaient de ouf ! » Les réfugiés quant à eux, se sont pris au jeu. Une bonne partie d’entre eux posent autour de la Lambo avec les potes du rappeur. Laylow se reconnaît, se sent lié, est touché. Au final, lui comme eux sont venus à Paris chercher l’Eldorado, à leur manière. C’était sa façon à lui de le montrer.
Au final, le plus beau compliment qu’on puisse faire sur ce projet c’est qu’il est enfin personnel. La découverte, enfin de sa propre identité d’artiste après avoir cassé en un à un tous les chaînons qui le tenaient lié. « Et encore, je pense que je pourrais être encore plus affranchi de plein de codes et d’expériences passées qui me tiennent. » C’est en bonne voie en tous cas. Si l’évolution suit celle de Mercy, le cerveau de Layow continue de s’imprégner de toutes ses expériences pros et persos. « Dans Mercy, je dirais que le chevalier sort légèrement de sa pénombre, mais bientôt, il va arriver avec sa Lamborghini sur le dancefloor. » Le ton est donné pour Digitalova.