« Ça n’a pas été facile de briser le coeur de millions de personnes, mais j’y suis arrivé. Quand un sbire de vous-savez-qui décide de me drive-by-shooter ce 9 mars 1997, l’abruti ne sait même pas qu’il me propulse dans la légende. « La tête la première », comme me le dit plus tard Heath Ledger en arrivant ici.
Si je pouvais vous faire parvenir, à travers l’une de ces écoutilles qui me donnent encore accès au monde des vivants, les premières lignes de ma biographie, vous seriez sans doute sur le cul. Sans déconner, mon livre serait le meilleur livre du monde. C’est facile, je m’inspirerais de ma vie. Le résultat serait plus probant que n’importe quel article sur moi, ou n’importe quel biopic à la con – sérieusement, ce mec était censé me ressembler ? Plus funky que la Torah, la Bible ou le Coran réunis. Un truc qui foutrait la gaule à Donald Trump.
Les gens parlent parfois de longueur d’ondes. J’imagine, que de là où je suis à présent, les miennes sont difficiles à capter. Et puis, comment un gamin de Brooklyn mal nourri a pu produire des rimes d’une telle valeur qu’elles sont devenues des hymnes ? Je me pose la question tandis que la réponse plane derrière moi dans les effluves de blunts et de liqueurs de malt. La faute à Tupac et Eazy-E.
Je n’ai rien contre les drogues, j’ai même écrit les dix commandements du crack. Juste, j’ai un problème avec le fait que la drogue soit « cool ». La drogue se trouve maintenant disséminée dans ces beaux immeubles devant lesquels je dealais pour faire bouffer ma fille. Weed, acides, coke, crack et maintenant codéine ont aidé à construire ces demeures. Grace à leurs contacts, ces mecs de la haute introduisent la came dans nos villes et la vendent à des types comme ces rappeurs qui en font leur fond de commerce lyrical. Alors qu’en temps normal, ils ne s’arrêteraient même pas au feu rouge pour leur donner une pièce, un peu comme Mark Zuckerberg avec celui que vous appelez « Yeezy ». Tant qu’il y a de l’argent à gagner, tout le monde trouve ça cool de faire plein d’oseille et mettre des trucs bizarre dans son corps. Il n’ y a que la drogue pour rendre le monde momentanément plus supportable, je le jure sur mon sweat Coogi.
« Ah, si Biggie était encore parmi nous, le rap ne serait pas parti en couilles. » Voilà ce que j’entends régulièrement à mon encontre depuis vingt piges. Avec tout le respect que je dois à mes fans inconditionnels et autres défenseurs du « vrai » hip-hop, cette affirmation est en train de devenir aussi répandue qu’un selfie bouche en cul-de-poule chez les groupies de ce Canadien que vous portez dans votre coeur (no offense bro). Comme si moi, j’avais un jour réussi à différencier les voix de l’ange et du démon qui me parlent à l’oreille. Comme tous les hommes je pense au sexe toutes les six secondes, sauf qu’à la septième j’imagine à quoi la fille ressemblerait si elle était vêtue avec une robe Prada payée avec mes royautés. Je n’ai jamais été un modèle. Pas un de ces connards qui parlent de rap conscient. J’étais né pour faire cette merde et je me suis juste contenté de cracher mes rimes, jusqu’à ce que mes paroles fassent un bruit épouvantable pour ceux qui nous regardaient comme des singes avec des gardes robes trop colorées.
Alors, ceux et celles qui reprochent aux rappeurs de vouloir manger trop sucré au lieu de bouffer de la merde oublient surement que le rap est une musique du diable qui s’infiltre par toutes les fissures. Même ici. Je suis parfois réveillé par un barouf de ouf. Je me plais à imaginer que c’est une attaque d’aliens qui viendraient en finir avec les humains. Mais le barouf s’avère toujours être un morceau de gangsta rap ou de trap craché par un haut-parleur dans une de vos bagnoles. Alors je souris et je me dis que ce fameux soir de 97, j’aurais dû pour une fois choisir la banquette arrière plutôt que la place du mort.
Si tu ne savais pas, maintenant tu sais. »
— Christopher Wallace
Le bruit du monde : Biggie Smalls
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