SURL offre chaque mois une carte blanche à des plumes, rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes ou journalistes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de déchiffrer le bruit du monde extérieur. Ce mois-ci, on a sollicité le rappeur Moïse The Dude, à quelques semaines de la sortie de son premier album, Dudelife, le 4 mars prochain. Après trois EP, l’ancien membre du Bhale Bacce Crew est bien décidé à faire entendre son rap français en solo. Surtout à l’heure où l’on dénigre la langue de Molière avec une honteuse réforme de l’orthographe. Wait, l’est-elle vraiment ?
Le bruit du monde donc.
C’est amusant car c’est – aussi – le sujet, finalement : le bruit du monde. Ici, le bruit de la foule qui crie au loup à la moindre info sensass’, avec ce petit effet loupe et viral propre aux réseaux sociaux dont on ne se méfiera jamais assez. Le bruit d’un monde que la nouvelle d’une réforme de l’orthographe prochainement appliquée a donc fait rugir.
Le bruit, c’est déjà celui d’un trop grand nombre de médias de masse qui balancent une info sans l’expliciter vraiment, parce que, comprenez-vous, faut s’en tenir au titre tapageur qui fait toujours son petit effet et provoque les avalanches de clics. Le règne de la bande passante et de la publicité en pop up les remercient.
Le bruit ensuite se prolonge et devient celui du quidam lapidairement informé et qui ne perd jamais une occasion de s’indigner à peu de frais, et comment donc ma pauvre dame, voilà qu’on va avoir le droit de massacrer notre bonne vieille langue française. Et tout ça sans vraiment creuser le sujet non plus, parce que le bruit du monde n’a pas besoin de creuser, il s’épanouit parfaitement à la surface des choses, c’est quasiment sa raison d’être.
Fondamentalement, cette réforme de l’orthographe est à relativiser. Pour la simple et bonne raison que la langue française, au cours de son histoire, a vécu et vivra encore d’innombrables évolutions. Même si, oui, là tout de suite ça fait mal aux yeux de lire « ognon ». Mais ça, chers amis, c’est parce que nous y sommes habitués et que le changement n’est pas le meilleur ami de l’homme (au contraire du chien, mais ce n’est pas le sujet). Mais nous n’étions pas non plus habitués au vieux français (au vieux françois !) de Rabelais par exemple et ses orthographes fantaisistes (à lire ça pique aussi pas mal), pourtant on parle de monument de la langue française. Il faudrait savoir.
Gardons à l’esprit également que cette langue que les plus farouches râleurs entendent défendre n’est que celle qu’ils connaissent eux depuis qu’ils sont en âge de la pratiquer, mais qu’elle était autre avant et sera certainement autre après. En somme on aime l’idée que c’était mieux avant, que c’est bien maintenant, mais que ce sera moins bien plus tard. Sacré toi, l’homme.
Profitons en aussi pour rappeler à quel point une langue est riche quand elle est vivante, mouvante et labile (j’ai appris ce mot là y a pas longtemps, je suis bien content de pouvoir le placer, vous irez chercher sur le net, on va pas tout faire non plus). Qu’elle n’est déjà plus tout à fait la même selon qu’on vient de telle ou telle région, telle ou telle ville, tel ou tel quartier. Que des orthographes déjà, là aussi, parfois peuvent différer. Rappelons que la langue française s’enrichit régulièrement des langues voisines. On ne compte plus les anglicismes, on ne compte plus les apports du Maghreb (immigration historique oblige), et entre nous : on n’y peut rien, c’est comme ça, et c’est très bien comme ça.
Un peu de chauvinisme artistique pour évoquer la créativité du rap en matière de langue. Entre récupérations tous azimuts, argot, verlan, déformations et néologismes truculents (allez, pour le fun citons le « désanusser » d’Alkpote) la langue française n’a pas fini d’être éreintée par tant de manipulations et franchement, c’est réjouissant. Il n’y a pas plus belle déclaration d’amour à une langue que la faire valser dans tous les sens, avec un plaisir palpable pour l’oreille de l’auditeur.
Ceci étant dit, ce qui me chagrine dans cette réforme, c’est que – d’après ce qui se dit (je n’ai pas lu le texte officiel, j’avoue) – ce serait pour simplifier la vie de certaines zé certains. Si tel est le cas, c’est en revanche une mauvaise raison. Parce que si on va par là, autant tout simplifier et laisser fondre les neurones, à force d’en limiter les efforts, de nos chères petites têtes blondes (ou brunes ou rousses ou autres).
Niveler par le bas, toujours et encore, n’est jamais une bonne idée. Que prévoit-on en compensation pour amener les gosses vers la lecture ? Que prévoit-on pour leurs expliquer l’étymologie souvent ludique tant elle peut être abracadabrantesque (tiens, une invention de Chirac) de certains mots ? Que prévoit-on pour l’amour du mot ? L’amour de la langue au delà de la syntaxe et de la sémantique ? Les mots on peut en faire ce qu’on veut, on les déforme, on les torture, on les abîme. C’est le jeu et encore une fois c’est le propre d’une langue vivante. Mais pour le faire bien il faut les aimer avant tout et s’y intéresser. J’imagine un idéal où l’on passerait du langage texto à un langage soutenu en claquant des doigts. Fun et pratique d’un côté, élégante éloquence de l’autre : les deux mamelles de ma langue.