L’Entourage, interview : le business plan des jeunes entrepreneurs du rap

jeudi 1 janvier 2015, par Julie Green.

Ça fait un moment qu’on vous bassine avec L’Entourage. Bonne nouvelle pour ceux à qui ça déplait : je me suis promis que c’était ma dernière saleve sur le crew, avant un moment. Alors profitez-en bien. Mais avant, je voudrais leur dire un truc tout simple : merci. Parce qu’en vrai, j’ai commencé à écrire sur ce blog grâce à eux. C’était un soir de 2011, j’étais dans mon canap et je me faisais chier, puis quelqu’un a eu la bonne idée de me montrer la vidéo de « Dans Ta Réssoi ». J’ai fait un bon de dix ans en arrière et en trois minutes, j’étais foutue, finie, retombée. Ce soir là, on a passé la nuit à remater les vidéos du Secteur Ä et à écouter Temps Mort. Le lendemain, tout faisait soudain sens et j’écrivais mon premier papier sur SURL. Sur Rocca.

Les gens peuvent bien dire ce qu’ils veulent : L’Entourage m’a en partie ramené au rap, et depuis ce jour là j’ai décidé d’en faire mon métier. Pour ça, je leur redis : merci. Je ne l’ai plus re-quitté depuis – je le re-quitterai peut-être, ce sera d’ailleurs une question abordée au cours de cette interview, mais tout ça n’a en réalité plus vraiment d’importance. Car autour de moi, c’est progressivement toute la France qui, peut-être grâce à eux, peut-être parce qu’ils en avaient juste envie, s’est mis à ressortir ses vieux disques. Et j’avais oublié à quel point c’était bon d’écouter « Du Mal à s’confier » à fond dans la caisse en montant à Paris.

La vérité, c’est que je ne suis pas la seule. L’Entourage et toute une génération de jeunes ambitieux ont redonné un souffle au rap en France dont on avait tous besoin. Il y a encore cinq ans, il fallait presque traverser l’Atlantique pour voir un bon concert. Aujourd’hui, à force de guet-apens sur Youtube et de la tant attendue résurrection d’une liesse collective qui n’en pouvaient plus d’attendre de sortir de son silence, il faut se dépêcher d’aller choper ses places pour l’Olympia quand Medine joue. Pour tout ceux qui ont aimé le rap comme je l’aime depuis quinze ans, ça n’a pas de prix. Et je m’en fous qu’ils soient trop jeunes ou trop beaux pour faire plaisir à tous le monde : j’ai 206 morceaux de rap dans mon iPod qui n’étaient plus là avant que je clique sur cette vidéo.

Entretien fleuve.

LENTOUR1
Les garçons, ça fait un moment qu’on se croise, on a déjà fait quelques sujets ensemble. Je voudrais en profiter aujourd’hui pour faire un peu le point. Tout a un peu commencé avec 1995. Vous faisiez quoi avant d’être rappeurs ?

Fonky Flav : En vrai, tout n’a pas commencé avec 1995. Au tout début, c’était la version 0.0 de l’Entourage. Avant que le premier disque sorte, on se connaissait déjà quasiment tous. Et on était déjà tous dans les open mics.
Jazzy Bazz : Et sur Internet c’était déjà le nom de L’Entourage qui tournait pas mal.
Fonky Flav : Après avec 95, oui, on a été les premiers à sortir un truc. Donc directement ça a focalisé l’attention, mais c’est pas ça qui a commencé l’histoire de L’Entourage.
2Zer : A la base on s’est tous connus dans des événements hip hop, on avait chacun nos potes respectifs et on se retrouvait tous les week-ends pour raper ensemble. A force de se voir, on a commencé vraiment à rouler ensemble et à devenir une famille.

L’Entourage s’est formé avant 1995, donc.

2Zer : Oui, mais en fait ce n’était même pas né. On se disait même pas, on va faire un truc avec un  nombre de personnes défini et tout. C’était juste pour rouler ensemble.
Jazzy Bazz : L’Entourage, comme son nom l’indique, il faut le prendre au pied de la lettre. On employait ce terme parce que les gens qui nous entouraient, notamment dans le domaine rapologique, musical et avec lesquels on aimait partager des moments de rap, que ce soit en open mic ou chez l’un ou l’autre.

C’était presque « l’entourage » au sens propre en fait.

Jazzy Bazz : Exactement.
Fonky Flav : Oui. C’est pour ça que ça s’appelle comme ça, y’a pas à chercher plus loin en fait. Même quand on a pris la décision de faire un disque… Je te dirais même que quand la décision elle a été prise, on savait même pas qui il y avait dans le truc au final.
Jazzy Bazz : À part quand le disque s’est vraiment formalisé ; là on a décidé de dire qui faisait partie de quoi.
Fonky Flav : Mais c’était toujours dans la même mouvance, parce que c’était un bordel le truc !
Jazzy Bazz : En fait, à un moment y’a eu l’envie de créer un collectif autour de toute notre bande. Et y’avait ce terme « l’entourage ». Depuis 2007, j’ai dans mon ordinateur un fichier qui s’appelle « L’Entourage », et dans lequel je mets tous les sons de mon entourage. Mais quand y’a eu la décision de former le collectif, le nom de L’Entourage est devenu formel, et à partir de ce moment là on a du choisir qui en faisait partie et qui n’en faisait pas partie. Parce que tout le monde se sentait de L’Entourage, tous les gens qu’on croisait en open mic pouvaient s’en revendiquer en fait ! Donc après, pour créer un collectif concret, oui, il y a une équipe qui s’est formée. Avec le temps, il y a des gens qui partent, et voilà. Maintenant, à l’heure de l’album, tout est fixe, tout est carré.

Est-ce que le succès important d’1995 justement, auquel personne ne s’attendait à ce stade, a encouragé des carrières parmi vous ? Vous vous connaissiez tous depuis longtemps j’imagine, est-ce qu’à un moment certains d’entre vous, qui n’envisageaient peut-être pas de gagner leur vie avec le rap, se sont dit, «  ah ouais quand même ! Allez, là y’a de la place, on y va ? »

Fonky Flav : Tu sais quoi, je vais te dire un truc : personne n’avait prévu de faire carrière. Même 1995.
2zer : On faisait ça tous les jours ! Comme te disait Bazz, on allait chez des uns et les autres, on faisait que rapper.
Jazzy Bazz : Moi c’est pas le souci d’1995 qui m’a fait réaliser vraiment le truc. C’est à la base, ça reste mon expérience personnelle hein, mais moi le premier truc qui m’a alerté, c’est Nekfeu. Je voyais qu’il faisait ses freestyles, n°1, n°2, et qu’il faisait 100 000 vues sur Youtube. Quand j’ai vu ça, je me suis dit « nan mais attend, dans quel monde on rentre ? C’est un truc de malade mental ! » Parce que nous, quand on mettait des petites vidéos comme ça, par rapport à nos potes, à ce moment là…c’était pas 100 000. Avec Nekfeu, j’ai réalisé qu’il y avait plein de gens, qu’on connaissait pas, qui parlaient de lui. Et jusqu’au point qu’il y en ait 100 000 qui aient cliqué. Et même si y’en a 2000 qui sont liés à notre réseau parisien, les 98 000 autres…
Eff Gee : le premier clip de L’Entourage, on pétait un plomb parce qu’un jour on avait fait 20 000 vues, et on s’est dit c’est une dinguerie !
Fonky Flav : La première fois qu’on a fait 100 000 en une journée, c’était un truc de ouf.
2zer : On a commencé à voir ça quand les gens nous reconnaissaient dans la rue en fait.

C’est venu vite ça ?

2Zer : C’est venu assez vite ouais.
Jazzy Bazz : Bah 2Zer depuis toujours hein de toute façon…
2Zer : Comme Nekfeu il dit j’étais connu dans Panam avant de faire du peu-ra !

(Doums rentre, dit bonjour à tout le monde)

2zer : Alors on en était où ?

L’impulsion. 

Jazzy Bazz : 1995 a permis notre professionnalisation, c’est sûr. En gros je pense qu’1995 a apporté en terme de professionnalisation, à montrer l’exemple de ce que signifie faire un truc très concret. Surtout, le schéma de sortie de disque comme le fait 1995, c’est à dire produire soi-même, voire ensuite selon une licence, c’est un schéma qui a été suivi par toutes les sorties suivantes, ou presque. 1995 nous a inspiré pour le concret, de mettre un pied dans l’industrie. Là ouais, ils ont totalement ouvert la voix.

Et vous vous faisiez quoi à ce moment-là ? Vous bossiez ?

Jazzy Bazz : On était étudiants, on bossait…
2Zer : Chacun avait sa vie.
Fonky Flav : En fait, je crois que personne dans le groupe s’est dit, « je vais arrêter tout ce que je suis en train de faire, pour faire de la musique, aujourd’hui ça marche pas mais on verra bien ». C’est juste qu’à un moment la musique s’est imposée. On avait plus le temps de faire autre chose.

Du coup, il fallait que la musique rapporte assez.

Fonky Flav : Oui, mais ça, tu t’arranges.
2Zer : Moi par exemple j’ai arrêté l’école quand j’avais 17 ans.

Tu bossais alors ?

2Zer : Nan, je faisais que rapper toute la journée !

Mais tu faisais comment pour gagner ta vie ?

2Zer : Oh ça tu sais, y’a des business parallèles hein !
Jazzy Bazz : Et même quand tu es étudiant, t’es en troisième année, ça te plait pas forcément et que tu vois qu’il y a des possibilités avec la musique, la question ne se pose pas.

 

« Moi le premier truc qui m’a alerté, c’est Nekfeu, quand j’ai vu qu’il faisait 100 000 vues… » – Jazzy Bazz

 

La transition s’est un peu faite pour tout le monde au même moment.

2Zer : Pour les mecs d’1995, ça a été direct. Par la suite, le reste de L’Entourage a suivi.

Aujourd’hui, L’Entourage c’est dix rappeurs, si je ne m’abuse. On ne va pas se mentir, vous n’avez pas tous le même succès en solo. Est-ce qu’aujourd’hui vous arrivez tous à vivre pleinement du rap ?

2Zer : On n’en vit pas tous non.
Eff Gee : Tout le monde arrive à toucher un minimum d’oseille par le rap. En vivre, ça dépend.
Fonky Flav : En solo, je touche rien car je ne sors rien. Mais avec 95, ouais, je vis que de ça, évidemment.
Jazzy Bazz : En plus L’Entourage rapporte rien pour l’instant. Vraiment en fait, ça dépend de chacun. Y’en a qui ont des groupes et ça, ça peut permettre de gros cachets, entre les sorties, les concerts et même le merch. Y’en a qui ont des carrières solo, qui sortent plus ou moins… Moi par exemple, je n’ai sorti qu’un projet gratuit. Bon, avec les concerts tu as un peu d’argent de poche. Y’en a qui peuvent concrètement payer un loyer. Y’en a qui sont toujours chez leurs parents. On trouve encore tous les cas de figure.

Il y a quand même une marge incroyable entre le succès que vous avez et la réalité financière de ce métier.

Jazzy Bazz : C’est sûr que personne ne roule en grosse voiture.
Fonky Flav : Et rouler en grosse voiture, ça veut rien dire. Si aujourd’hui j’ai envie de m’acheter une grosse voiture je vais te dire : oui, je peux le faire. Mais pour quoi faire ?
Eff Gee : Beaucoup ont eu la possibilité d’être intermittents du spectacle aussi. Certains cotisent encore, mais à partir du moment où tu es intermittent, tu gagnes ton SMIC minimum. Donc là tu es tranquille. Et tout le reste, c’est du bonus.
Fonky Flav : Et puis y’a des moments pour tout. Tu sors un album tu vas toucher toutes tes avances, tu vas être bien. Les ¾ des rappeurs c’est les moments où ils s’achètent leurs montres et leurs voitures pour se la raconter sur les dix ans à venir… Pour te répondre, oui, avec 95 on a fait suffisamment pour ne pas trop se poser de questions. Et avec L’Entourage ça va venir aussi. C’est pour ça qu’on taffe.

Votre album s’appelle Jeunes Entrepreneurs. De votre côté, en moins de cinq ans êtes presque devenu un business model à vous seuls.

Eff Gee : On a commencé à avoir une notoriété en dehors de Paris depuis les Rap Contenders. Le premier Rap Conterders remonte à 2011. Fais le calcul…

…il y a une manière d’aborder le rap et de communiquer autour, que ce soit dans votre rapport avec les fans, dans votre présence sur les réseaux sociaux, dans votre organisation interne du collectif. Ce ne sont pas des comportements que l’on observait vraiment dans le rap avant, juxtaposés en tout cas.

Jazzy Bazz : C’est vrai. Un jour on nous a dit qu’on étudiait nos manières de faire dans les écoles de commerces.

Je voudrais savoir s’il y une part de démarche commerciale derrière tout ça.

Jazzy Bazz : Aucune. Au final on est des jeunes, on fait du rap. Comme tous, on utilise les réseaux sociaux pour pouvoir partager notre musique. Aujourd’hui, c’est souvent ta maison de disque qui s’occupe d’en faire ça. Mais si tu es un jeune, que tu fais de rap et que tu n’as aucun buzz, alors tu le mets sur ton Twitter ou ton Facebook. Ça, c’est normal. Je ne vois pas ce que ça révolutionne. C’est lié à notre époque.
2Zer : il y a aussi le fait que l’on soit dix MCs. Si quelqu’un sort un truc, ça se propage automatiquement entre nous. C’est la force du nombre.
Jazzy Bazz : Voilà : la force du nombre. La force d’Internet. Mais c’est une corrélation de plein de choses liées à l’espace temps. Ce n’est pas vraiment dans une stratégie. On est peut-être arrivés au bon moment.

Y’a donc personne chez vous qui tient les ficelles, et qui vous dit quoi faire ?

Fonky Flav : Non. Après on est pas cons, si on sait qu’un jour on va sortir un truc, évidemment qu’il faut qu’on le relaye.
Eff Gee : Là on est dans l’organisation.
Jazzy Bazz : Et encore, tu verras que justement on est pas un exemple à ce niveau là, parce qu’on ne respecte pas forcément les deadlines. On essaye de s’organiser.
Eff Gee : On essaye de plus en plus de s’organiser mais c’est plus récent.

On va parler de l’album. Pourquoi et quand vous décidez de réunir le collectif pour faire un disque ?  

2Zer : Longtemps. Dès le départ, on voulait faire un album.
Fonky Flav : Non, je suis pas d’accord. Au tout début, on rappait, on s’en foutait de faire un album. Après, quand on s’est dit que l’on allait faire un album, ça devait être il y a trois ans.
Ensemble : En fait, à partir de ce moment là, on s’est dit, « faut qu’on fasse un truc ». On ne savait pas quoi.
Eff Gee : On avait annoncé un projet il y a trois ans, qui ne s’est pas fait parce que 1995 était en tournée, après Deen, Jazzy Bazz et moi on était en tournée, le S-Crew était en tournée… Donc on avait pas le temps de concrétiser la chose.
Fonky Flav : Et même, ce qui avait été concrétisé n’était pas à la hauteur.
2Zer : On avait fait quelques sons juste…
Eff Gee : Mais ils nous plaisaient pas tant que ça. Attendre trois ans, ça nous a permis de prendre de la maturité, dans nos sons et aussi, à dix, de réussir à faire un son efficace, qui ne dure pas 8 minutes. C’est aussi compliqué. Vu qu’on est tous des kickers et des croqueurs de mic, on aime bien avoir au moins un 16 mesures, il a fallu apprendre à faire des 8 mesures, ce qu’on savait pas faire avant. On savait pas être cohérents entre nous. Après, on a réussi à voir tout ça, et là on s’est enfermés deux semaines l’été dernier.

Ça s’est fait en deux temps c’est ça ? Une fois à Paris, et l’autre en Ardèche.

Jazzy Bazz : Exactement. 13 sons à Paris, et 19 une fois là bas.
2Zer : Sur le long terme, c’était compliqué. Chacun allait en studio faire son couplet, après c’était un autre… Au final, on s’est dit, « c’est pas possible. On va jamais y arriver comme ça ». Il fallait vraiment qu’on se rejoigne pendant un certain temps et qu’on soit tous ensemble pour écrire. Enfermés, sans qu’on nous dérange.

Et ça a marché ?

2Zer : Et ça a marché.

 

« Si aujourd’hui j’ai envie de m’acheter une grosse voiture je vais te dire : oui, je peux. Mais pour quoi faire ? » – Fonky Flav

 

Comment vous décidez de qui pose sur quel morceau ?

Eff Gee : On était tous ensemble. Donc soit au feeling, soit tu prends la prod si elle te plait. Quand y’a trop de monde sur une prod, on vote.
Doums : Selon qui aime plus la prod, qui est inspiré…
Jazzy Bazz : Y’avait des ordres de priorité. Si tu peux pas être sur ta première, tu seras prioritaire sur la seconde, etc.
Jazzy Bazz : Des fois c’est à qui est là au bon moment. On reçoit les prods, si y’en a qui dorment ou qui sont partis, et que les 4 qui sont présents se mettent à faire le son, quand les gars reviennent c’est trop tard.
Eff Gee : Quand on était en Ardèche, 1995 était en tournée, y’a des moments où ils pouvaient pas être là et ils ont manqué des prods… forcément, nous on allait pas dormir pendant ce temps là donc on faisait des sons !

Donc si Fonky Flav revenait de tournée et qu’il avait vraiment envie d’être dessus, c’était mort.

Fonky Flav : Ouais, sinon t’avances plus. Moi par exemple y’en a plein où j’aurai aimé être dessus, mais je savais que j’étais pas là au moment clé, donc tant pis, c’est la vie.
2Zer : Après je te dis, c’est vraiment au feeling.
Jazzy Bazz : On faisait souvent même deux groupes en même temps. Comme c’était une villa, certains vont dans une chambre, chacun prenait quelques prods et testait.

Ça ressemble finalement à ce que vous vouliez ?

2Zer : Bien sûr.
Fonky Flav : Moi je m’attendais pas à ça mais ça déboîte.
Doums : Moi je pensais pas trop.

Vous saviez ce que vous vouliez raconter ?

Eff Gee : Non. On a fait par rapport à ce qu’on avait, à notre vécu. Par rapport à l’émotion qu’on avait, rien n’est calculé.
Jazzy Bazz : L’écriture c’est un moment, en fonction de la prod, du thème, ton humeur…

D’ailleurs, j’ai l’impression que vos thèmes ont tendance à se rejoindre avec le temps.

Eff Gee : Parce qu’on est des jeunes issus de la même génération et du même environnement.
Jazzy Bazz : Y’a plein de thèmes, au final… Tu parles d’un truc, puis d’un autre, donc là tu peux un peu regrouper et te rejoindre. Mais tu peux très bien choisir un thème pour une chanson. Ça c’est un thème par exemple : mourir demain. Qu’est ce que tu fais ce soir si tu meures demain ?
2Zer : Tout peut nous inspirer. Parfois, chacun décrit un personnage qu’il a vu a la télé, qu’il connaît… on parle vraiment de tout et n’importe quoi.

Vous disiez dans une interview pour Melty : « Si on trouve des collectifs qui partagent nos valeurs, on est prêts à y aller. » Comment définiriez vous vos valeurs justement ? 

Eff Gee : C’est simple. On partage un délire de l’humain. On est tous potes, je pense que c’est ça qu’on met en avant. Si on doit collaborer avec un autre collectif, faut d’abord qu’on s’entende bien.

Mais hors de votre rapport avec les autres.

Eff Gee : Les valeurs que tu peux avoir dans tes groupes de potes : la solidarité, l’entraide, la force, le respect, pas de traîtrise.
Jazzy Bazz : La fidélité.
2Zer : Ca revient souvent dans nos textes de toute façon si tu écoutes bien.
Jazzy Bazz : Justement, avec L’Entourage on essaye de véhiculer ces valeurs d’amitié qui peuvent paraître ridicules mais qui sont parfois à rappeler.
Doums : Elles sont essentielles. Les gens disent, « C’est des enfants »…

Parce que c’est une honte d’être un enfant ?

Doums : Ahah, dans L’Entourage oui !
Jazzy Bazz : Ce qu’on veut dire que que certains groupes d’amis maintiennent certaines valeurs. Et tout le monde a son groupe d’amis et parfois il y a des petites défaillances, des choses que l’on pardonne, d’autres qui sont impardonnables. Ce sont ses détails qui définissent l’identité d’un groupe.
2Zer : Par exemple, on va jamais se dire « fils de pute » entre nous. On se respecte trop pour ça.
Alpha Wann : Quand on dit « fils de pute » à quelqu’un, c’est qu’on va démolir la gueule du mec !

Autre chose : vous fonctionnez sans beatmaker attitré, vous piochez ici et là. Or chez les gros collectifs, le schéma habituel veut qu’un producteur arrive en disant, « voilà, mec, j’ai fait ce son pour toi, celui là il est pour vous, dessus il faut que vous me fassiez ça »… Il n’y a pas vraiment cette figure au sein de L’Entourage ?

Fonky Flav : Non. Nous en fait on respecte pas les schémas et on s’en fout. Et puis même, en vrai pas tant que ça. Tu penses à quel collectif ?

À personne en particulier, même si le Wu Tang me vient tout de suite à l’esprit.

Alpha Wann : Mais moi je suis d’accord avec elle. Le Wu Tang c’est RZA !
Fonky Flav : Alors on parle que cainri là…
Jazzy Bazz : Attends,  mais t’as raison Alpha ! C’est ce que je voulais dire. Y’a pas de producteur dans la bande, c’est vrai. Y’a Flav un peu (il dément de la tête), mais bon, c’est une tous les quatre ans. Dans le Wu Tang, y’a des producteurs, dans Boot Camp Clik, y’a des producteurs, dans D.I.T.C y’a des producteurs. Ça c’est les gros collectifs américains. Nous, on est un collectif de rappeurs. On reçoit des instrus pour nos projets personnels, de mecs qui ne sont pas un crew ni rien, et une nouvelle fois, c’est notre entourage.
Eff Gee : Je trouve qu’avoir un producteur attitré, ça te permet pas forcément d’explorer différents univers. Quand tu tapes à gauche et à droite, tu tombes forcément sur des beatmakers qui ont des influences différentes. Quand tu es souvent avec un beatmaker, certains savent se renouveler, mais la plupart du temps ça va tourner en rond.

Après le mec, s’il te connaît bien, peut peut-être aussi faire sortir des trucs intéressants en toi justement parce qu’il te connaît très bien.

Eff Gee : Ouais, et là, avec dix mecs, dix influences différentes ? C’est pas possible.
2Zer : Je kifferai que par exemple Doums me fasse une prod et que je la kiffe… mais pas tout le temps.
Fonky Flav : Ça s’est fait en fonction du groupe. Si la prod est lourde, on valide et voilà !
Jazzy Bazz : Ouais, on bosse avec n’importe qui tant que la prod est chaude.
Eff Gee : … et que le mec n’est pas un fils de pute !

Puisque vous vous définissez comme une petite entreprise… Si vous deviez vous donnez des rôles, qui serait qui dans la boîte ?

Ensemble : Moi je suis le PDG !
Eff Gee : Non, en fait, on est un peu tous comme des associés.
Jazzy Bazz : L’Entourage c’est le président, et on est tous des vice-présidents.
Alpha Wann : Moi je serai à l’accueil. Au calme. Rez-de-chaussée, j’introduis les gens dans l’immeuble et tout. Eff il est au dernier étage. Flav il est middle étage, Nekfeu il monte il descend… Abou il a construit l’immeuble !

(C’est au tour de Deen de faire son entrée…)

D’un coté, on dit souvent que votre génération de rappeurs à créé un nouveau public amateur de rap en France. Sur vos Twitter respectifs, on voit souvent des commentaires de fans qui vous remercient de les avoir sensibilisé au rap. C’est quelque chose que certains d’entre vous prennent comme une responsabilité maintenant, vos fans ? À l’inverse, c’est pas relou d’être constamment scruté, et parfois même critiqué, au cœur des polémiques ? Quand vous en parlez entre vous, qu’est-ce qui ressort ?

Ensemble : On en parle jamais entre nous.
Fonky Flav : On est super fiers de pouvoir jouer dans des festivals à coté de groupes qui font pas de rap justement, et que les gens continuent à nous valider. Et on est super fiers de faire des concerts à Paname et de voir que les gens qui écoutent du peura sont des passionnés de hip-op et qu’ils viennent aussi avec la même envie.

Je voudrais vraiment recentrer sur l’interaction avec les réseaux sociaux.

Jazzy Bazz : Oui mais toi tu parles justement des commentaires, de Youtube et à un moment, c’est des jeunes. Alors il peut y avoir des gens qui ne t’aiment pas, et ça, comme tout le monde ça peut nous faire rire, on en parle, d’accord. Mais parmi les gens qui nous soutiennent,  il y a des gens qui ne réagissent pas sur les réseaux sociaux. Mais qui viennent aux concerts. D’autres préfèrent la proximité. Si tu veux parler de ça, alors d’accord.

Honnêtement, ces gens là sont la grande majorité de votre public non ?

Fonky Flav : Non. C’est ce que toi tu vois quand tu es sur Internet.

Je le vois aux concerts aussi.

Jazzy Bazz : Tu sais, certains nous voient et ne veulent simplement pas discuter avec nous. C’est un réflexe un peu de « fan », ça. Mais nos fans, justement, c’est chanmé de pouvoir recevoir leurs messages parce que chaque jour ça te rappelle que t’as du soutien, d’interagir et de s’amuser avec eux, c’est un truc aussi. Forcément, à l’époque tu achetais un magazine, tu voyais les mecs en photos, peut-être un jour en sortant d’un concert tu allais les rencontrer… Là, franchement, c’est clair qu’en terme de proximité avec les fans, avec les réseaux sociaux, tu peux pas faire mieux. Les gars, ils peuvent nous envoyer des messages sur nos comptes Facebook, ça te rend complètement accessible. La relation avec les fans n’est plus du tout la même.
2Zer : S’ils s’identifient à nous, à notre musique, ça veut aussi dire qu’on est pareils d’une certaine manière…
Jazzy Bazz : Y’a des gens qui sont vraiment fans de musique. Après des fois, y’en a qui sont fans parce que c’est une mode, et ils veulent juste te parler. Et oui, y’en a qui sortent même complètement de l’optique musique. Comme dans certains films où le fanatique peut devenir juste fou. Ça existe aussi. Mais tu parlais des nouveaux gars qui écoutent du rap…
Fonky Flav : Moi je crois qu’en vrai de vrai, c’est un débat qui va disparaître parce que les gens écoutent de tout. Même dans un groupe, ils peuvent kiffer un morceau et détester le suivant. Alors qu’avant j’ai l’impression, t’écoutais du peura t’avais pas le droit d’écouter autre chose. Quand j’étais au collège c’était ça : choisis ton camp. T’avais les gars qui aiment le rock et qui s’habillaient en baggy, et t’avais les mecs qui écoutaient du rap et étaient habillés en survet’. Mais maintenant les gens s’en battent les couilles.
Eff Gee : Deen va aussi pas avoir le même public que le S-Crew, qui va pas avoir le même public que Jazzy Bazz…
Fonky Flav : Ce que je veux dire par là, c’est que maintenant tu peux avoir un mec qui va écouter un morceau qui passe toute la journée sur NRJ, son morceau d’après ce sera L’Entourage, et celui d’après rien à voir…
2Zer : Et t’as les gens qui nous disent, ouais, moi j’écoute pas de rap à part vous…
Jazzy Bazz : Et le discours « vous nous avez reconvertis au rap ».

Fonky Flav : Les petits de toute façon ils font que ça avec tous les groupes (2Zer acquiesse). Tu sais, sur Internet, tu peux avoir tous les morceaux indépendamment les uns des autres…

Jazzy Bazz : Je pense que de toute façon, il y a souvent eu des tendances que tu notes dans les villes, dans les lycées, sur la jeunesse… Le rap, à l’époque où on était au lycée, que ce soit dans les quartiers, ça écoutait même plus de rap. C’était vraiment electro. Et moi justement, je te jure qu’on faisait parti des derniers.
Alpha Wann : Les gars écoutaient tous de la tecktonik !
Jazzy Bazz : On était les derniers combattants de notre âge. On était en minorité dingue.
Fonky Flav : Tu connaissais les Sages Po’ t’avais l’impression d’être un savant fou du rap !
Alpha Wann : Moi dans mon quartier personnellement, ça a jamais été la minorité qui écoutait le rap. Le rap ça a toujours été une majorité.
Eff Gee : On parle d’un courant global. À un moment y’a eu la tecktonik, et beaucoup de mecs de quartier se sont mis à l’electro.
Jazzy Bazz : Tout ça pour te dire qu’en tout cas, c’est normal qu’il y ait des modes et des courant et que ça tourne souvent. Je pense que là c’est le rap. On sent que ça repart un peu d’ailleurs.
Fonky Flav : T’es fou, ça va rester encore.
Jazzy Bazz : On peut faire toutes les prévisions qu’on veut, mais quand y’a la mode prédominante, y’a toujours des gens qui écoutent le reste et ce qu’ils aiment. Ensuite y’a tous les suiveurs, et tous les lustreurs qui suivent la mode. Certains trouvent leur bon compte dedans, mais d’autres continuent à écouter ce qu’ils aiment.
Deen : Moi, un mec m’a quand même dit qu’il ne m’écoutait pas même s’il aimait beaucoup ce que je faisais car je ne passais pas en radio et que je n’étais pas assez médiatisé.
Alpha Wann : C’est un point de vue de ouf quand même !
Jazzy Bazz : Mais là où on est arrivés, dans un bon moment, en donnant cette impulsion.

Alors vous reconnaissez y être pour quelque chose.

Jazzy Bazz : Oui. Parce qu’il fallait qu’il y ait un groupe de jeunes à Paris qui étaient les derniers dans un délire où ils se sentaient seuls. C’est pour ça qu’on se réunissait : on se sentait seuls, et on avait besoin de gens pour partager nos influences. Et maintenant, ce sont quoi les influences qui reviennent ? Le rap à l’ancienne. C’est exactement l’état d’esprit qu’on avait quand il n’y avait personne. Donc on va pas se mentir, on a été précurseurs sur ce coup. Mais il y aurait eu d’autres si c’était pas nous j’imagine. Y’en avait d’autres, et dans plein de villes, je le sais, on les a rencontré. C’est normal : comme tout courant musical, le rap avait besoin d’un retour aux sources parce qu’il y avait trop de merde. Donc tout ça est logique, et on est très contents d’avoir été là au bon moment. Tu sais au début j’étais même triste, je me disais que j’étais pas né à la bonne époque.

Puis tu la créé ton époque, finalement.

Jazzy Bazz : On l’a diffusé.
Doums : Et beaucoup de gens ont été réceptifs.
Jazzy Bazz : On voudrait pas porter sur nos épaules le fait de devoir justement porter cette responsabilité. On ne voudrait en tout cas pas être l’étendard principal.

Alors tu veux bien créer, mais pas être responsable ?

Jazzy Bazz : On l’a pas crée, on l’a diffusé.
Fonky Flav : On a participé. On était là à l’origine d’un mouvement qui n’est pas né que par nous.
Jazzy Bazz : Il correspond à une attente et à plein de choses qui font qu’à ce moment là, plein de gens avaient envie de revenir à écouter ce genre de trucs, et donc à écouter de nouveaux groupes qui font ce genre de trucs, et nous on faisait du rap dans ce genre de délire. Maintenant y’en a plein parce que c’est la mode. Mais nous, c’était un peu plus.
Deen : Y’a aussi un autre truc. Le fait que aujourd’hui, là, tout de suite, maintenant, il y a un grand courant dans une mouvance un peu 90s, un peu boom bap. A coté de ça, il y a un gros mouvement trap, dans lequel certains artistes français sont très bons. Entre les deux, on a passé une quasi-décennie où il n’y avait rien à se mettre sous la dent en terme de rap français. En tout cas, rien n’était médiatisé. Je pense qu’on est arrivé, et qu’on a fait du bien aux gens. Tout simplement.
Jazzy Bazz : Regarde, la différence elle est simple. Quand on a commencé, certains écoutaient du rap à l’ancienne, et d’autres l’écoutaient aussi mais eux faisaient du rap. Ok, on fait du rap, on s’occupe de ramener le truc. Mais on ne veut pas être les porte-drapeaux car on est pas censés représenter le rap à l’ancienne. Tout le monde peut le faire ça.
Deen : Puis notre fer de lance n’est pas de faire du rap à l’ancienne. Le rap des années 90 fait parti de nos influences premières, donc on a digéré cette influence et ça se retrouve dans la musique qu’on propose au public. On a tous croisé en concert des mecs des nineties et ils nous ont presque tous validé.. Ensuite, tu peux aussi trouver beaucoup de dirty south et de trap sur mon Ipod. Maintenant, est-ce que dans une cour de lycée ou dans une MJC, tu vas entendre des jeunes qui freestyle sur de la trap ou du dirty South ? Je ne pense pas.
Alpha Wann : Mais t’es malade ou quoi ! Aujourd’hui ils font que ça !

 

« Tu sais quoi ma revanche je la prendrai tout seul, je la prendrai pas avec L’Entourage » – Eff Gee

 

Eff Gee, je voudrais te poser une question. Je me souviens d’une période où les gens n’ont pas toujours super tendres avec toi sur les réseaux sociaux. Et pourtant, on a découvert au fil de la promo que tu avais eu un rôle central dans cet album. C’est toi qui a réuni tout le monde… Qu’est ce que tu aurais à dire à ces gens là aujourd’hui ?

Alpha Wann : C’est vrai !
Eff Gee : J’ai juste essayé de réunir mes enfants, et que tous mes enfants viennent sur le CD. C’est tout. Pour moi, cet album il a une saveur particulière parce que c’est la réunion des 9 MCs qui sont avec moi au jour le jour. Mais si quelqu’un d’autre avait eu mon rôle sur l’album, le CD aurait eu la même gueule.
Fonky Flav : Le mec est trop en avance, c’est tout.
Eff Gee : Et tu sais quoi, ma revanche je la prendrais tout seul, je la prendrais pas avec l’Entourage. (ils applaudissent tous)

Vous avez tous il me semble moins de 25 ans. Et en trois ans, vous êtes passés de micro-stars du web à des mentors pour les nouvelles générations d’artistes. Vous avez rempli des salles de concerts énormes, vous avez gagné le respect de vos pairs, vous êtes, j’imagine, à mille lieux au dessus de ce que vous pensiez être il y a trois ans… Comment envisagez vous l’avenir aujourd’hui ? Dans 5 ans, dans 10 ans, vous vous voyez où ?

Alpha Wann : Beaucoup plus haut que là où on est actuellement. Sinon ça n’a pas de sens.
2Zer : Peut-être qu’on sera devenu des chefs d’entreprise. Mais toujours dans le milieu du rap !
Deen : Tu sais quoi ? Il faut que le million de vues devienne le million d’euros. Note ça.

Noté.

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