S’il vend des disques et remplit les salles de concert depuis belle lurette, le rap français creuse aussi de plus en plus son sillon dans le paysage littéraire. En témoigne le nombre croissant de livres traitant directement ou indirectement de lui. Une suite plutôt logique pour un genre qui a fêté ses 25 ans d’existence l’an dernier. Reste à savoir si la qualité est toujours au rendez-vous… on s’est donc penché sur la question pour vous offrir un large spectre : qu’elle s’adresse à des curieux, des étudiants ou à un public averti, voici une liste non exhaustive à se procurer sur le sujet. Éclairage en main.
Sous-culture d’analphabètes pour les uns, plate-forme de la nouvelle poésie populaire pour les autres : c’est peu dire que le rap français déclenche des grands écarts d’interprétation quand à sa teneur littéraire. Si la question de sa légitimité ressemble à un combat d’arrière-garde, celle de son attractivité tend à l’être tout autant. Jamais il n’a semblé aussi incontournable qu’aujourd’hui, en tout lieu : la création du séminaire La Plume et le bitume sur les bancs de l’ENS à Paris, est là pour en témoigner. Et si quantité ne signifie pas toujours que la qualité soit en rendez-vous, il y en a au moins pour tous les goûts. Le voilà qui étend désormais son influence dans un domaine moins clinquant, mais pas moins intéressant : celui des librairies. Écrivains, journalistes, chercheurs ou rappeurs… tous se sont penchés dessus pour l’analyser, le décortiquer ou livrer leurs témoignages. Avec plus ou moins de réussite. Et si lire sur le rap français devenait aussi important que de l’écouter ? Réponse autour d’une petite sélection qui si elle s’avère subjective, vous laissera l’embarras du choix.
Quoi de mieux que de (re)découvrir les rappeurs dans le texte ? Si le site Rap Genius s’occupe déjà de le faire virtuellement, plusieurs bouquins satisferont les inconditionnels du papier. À l’image des deux livres signés par le critique littéraire et musical Jean-Claude Pierrer, plutôt habitué à livrer ses anecdotes de voyage sur l’Inde ou sa passion pour… le Général de De Gaulle. Deux de ses ouvrages, Le rap français : Anthologie et Le rap français : Dix ans après offrent un condensé de deux décennies. Entre têtes d’affiches et acteurs de l’underground, le principe est le même : une brève présentation, suivie d’une sélection des titres marquants, textes à l’appui.
Dans le même genre, Oxmo Puccino s’est distingué avec ses Mines de Cristal. Un recueil qui réunit une bonne partie des textes de sa discographie, de Opéra Puccino à L’Arme de Paix. Une initiative qui sonne comme une évidence pour le « Black Jack Brel », qui a même récidivé avec 140 piles, un florilège alléchant de ses meilleurs tweets.
LE KIT ÉTUDIANT
Depuis quelques années, le rap est de plus en plus considéré comme un objet d’étude à part entière. À l’image de Karim Hammou, qui a proposé son Histoire du Rap en France. Le fruit d’une enquête de longue haleine, menée dès 2001 sur le terrain, avec de nombreux entretiens et une collection impressionnante de disques. Le but ? Expliquer « comment le rap a pu durer en France ». De son apparition dans les boîtes de nuit, aux stratégies mises en place par les maisons de disques pour créer une nouvelle frange musicale, en passant par sa professionnalisation rampante : tout y est décortiqué, méthodiquement. Y compris la question épineuse de sa définition. Un livre qui devrait faire autorité chez les étudiants.
Plus récemment, c’est Alexandre Chirat, un jeune étudiant fasciné par l’univers de Booba, qui s’est distingué. Si le Duc de Boulogne avait déjà fait l’objet, par le passé, d’un éloge de son style dans un article publié dans la Nouvelle Revue Française, il est le premier à lui consacrer une étude entière, au titre évocateur : Booba. Poésie, musique et philosophie. Il y explique comment l’argot, le sens du rythme et le goût pour les images chocs font selon lui de B2O un « grand poète contemporain ». Tout un programme.
LE KIT SOUVENIR
Si l’histoire du rap hexagonal continue de s’écrire dans le présent, la décennie 90 reste pour beaucoup une période phare. À ce titre, le livre du journaliste Thomas Gaetner ne pourra que ravir ses adeptes. Hip Hop : Le Rap Français des années 90 nous (re)plonge avec nostalgie dans une atmosphère pré-game où pionniers, néo kickeurs et stars montantes venaient apporter une pierre à l’édifice, avec pour seul véritable concurrent leurs homologues ricains.
Plus récemment, c’est une anthologie qui a fait parler d’elle. Son titre ? Le rap français : une exploration en 100 albums signé Medhi Maïzi. L’un des chefs de file du site Abcdrduson adopte-là une démarche similaire à celle du journaliste Olivier Cachin qui, en 2006, offrait ses 100 albums essentiels du Rap. Entre classiques et coups de coeur, ce livre aux allures de boussole vaut largement le détour.
Deux décennies d’existence, ça semble « vieux », surtout à l’heure du net. Certains pionniers n’hésitent donc plus à témoigner de leur parcours pour lutter contre l’oubli. Parmi eux, Akhenaton. Dans Face B, le leader d’IAM raconte sans détour au journaliste musical Eric Mandel son enfance à Marseille, ses voyages à New York, sa découverte du Hip Hop, son aventure avec IAM, avec au passage des anecdotes croustillantes à la clé.
Dans le même registre, les confessions de Joey Starr tiennent la corde. Derrière sa Mauvaise Réputation, s’affiche un écorché vif dont le parcours, on le sait, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille : ses relations conflictuelles avec son père, ses addictions, sa découverte du rap, sa rencontre avec Kool Shen, la période NTM… tout est revu et fignolé par l’animateur et journaliste Philippe Manoeuvre, pour une lecture rock’n’roll du Jaguar.
Enfin, comment ne pas parler du premier bouquin de MC Jean Gabin, Sur la tombe de ma mère ? S’il n’a pas laissé une trace indélébile côté musique, le poil à gratter du rap français s’est distingué sur un support où on ne l’attendait pas. Dans un style rythmé mêlé à un argot parisien en voie de disparition, Charles M’Bous de son vrai nom retrace son parcours digne d’un film noir, mais bel et bien réel. Extrait choisi : « J’avais pris l’habitude, en sortant du solfège ou du catéchisme, de passer à la superette de M. Pétika pour chouraver quelques bonbecs. Ce que je ne savais pas, c’est que Pétika avait retapissé ma petite ganache et, peinard, tenait une note précise de mon butin. Le jour où il a présenté la douloureuse à mon daron qui rentrait du turbin, j’ai pris une escalope dans le museau et suis parti au pieu sans becter. » Seul hic et non des moindres : il ne serait pas le véritable auteur de son roman autobiographique. Un certain Julien Gangnet affirme en être le ghostwriter… vrai ou faux ? Lisez plutôt pour vous faire votre propre avis. On attend vos fiches de synthèse pour la rentrée prochaine.