Bon sang de bonsoir… Mais quelle mouche a encore piqué Lupe Fiasco pour vouloir arrêter le rap ? C’est ce qu’il avait annoncé en Décembre dernier, après s’être pris le chou pour la quarante-douzième fois avec sa maison de disques Atlantic, en accompagnant ça d’un freestyle haineux aux relents antisémites à l’encontre des dirigeants de la compagnie. Sauf que là, ras-le-derche, il engage un avocat (juif) pour rompre son contrat et annule la trilogie d’albums qu’il avait programmé. Voilà, clap de fin, l’article s’arrête là, on bouclera par un mauvais jeu de mot sur son blase. Hé bien non, le 10 Février 2017, DROGAS Light a vu le jour. Et une nouvelle fois, on ne sait plus sur quel pied danser.
Wasalu Jaco alias Lupe Fiasco est un rappeur extrêmement doué, d’une intelligence créative rare, c’est un peintre lyrical, assoiffé de culture, pétri de belles idées, capable de viser le haut du panier… comme de racler les fonds de trottoir, avec des évaluations de critiques en dents de scie. Qui se rappelle de l’indigeste Lasers avec sa musique ultra-commerciale pour les clubs et les radios, antithèse artistique d’un The Cool qui l’a amené au sommet après un très brillant Food & Liquor (avec Jay-Z comme parrain) ? La suite de cet opus, Food & Liquor II, a d’ailleurs beaucoup déçu, surtout vu son sous-titre hyper prétentieux – et mensonger – The Greatest American Rap Album. Puis un beau jour apparu cette magnifique galerie d’art nommée Tetsuo & Youth. C’était il y a deux ans, c’était trop beau, on revoyait enfin le Lupe de The Cool. Avant de retomber dans ses travers avec le sixième opus que voici…
Finalement, après tout ce remue-ménage, DROGAS Light de Lupe Fiasco a pu voir le jour grâce à la structure Thirty Tigers, qui n’est pas un label mais une boîte d’assistance aux artistes indépendants dans leurs démarches (marketing, distrib’…). Mais analysons d’abord le titre. Parce qu’il faut bien avouer que vu comme ça, ça ne veut rien dire. « DROGAS » est un acronyme qui signifie, selon son auteur, « Don’t Ruin Us God Said » (mais là ça fait « DRUGS » donc on y comprend rien) ; et « light« , pour « avec moins de sucre et de gras », comme dans Coca Light ou la crème Bridelice à 5 % de matières grasses. Pour l’artwork ultra-simpliste, il faudrait un traducteur japonais. Et si j’appuyais enfin sur « lecture » plutôt que pinailler sur l’aspect extérieur du disque ? « Dopamine (Lit) » ouvre l’album par une instru bien lourde signée par son fidèle ami Soundtrakk, un titre qui permet de prendre la température et donne un premier aperçu sur le contenu de l’album. Il semblerait que Lupe ne prenne pas de risque…
Mais en fait, peut-être que si : voudrait-il nous faire croire que ne pas prendre de risque artistique serait un risque en soi ? Celui de formater sa musique alors que c’est un artiste qui cherche justement à « ne pas faire comme les autres », ne pas être mis dans une case ni faire ce qu’on lui dicte. Mais avec Lupe… maintenant on sait que tout est possible et qu’il peut parfaitement déplaire en se justifiant par les explications les plus farfelues. Pour cette première moitié de DROGAS Light, rien d’original, sincèrement. Pour tout vous dire, les prods et le flow du rappeur de Chicago se calent sur les standards trap, mais de la trap diluée, faut pas abuser. Indécis Lupe ? Voilà ce qui nous agace souvent chez lui. La compromission, ceinture marron pour faire les choses à moitié. Un titre comme « City Of The Year » pourra paraître banal à défaut d’être une vision panoramique de Chi-Town. Heureusement « Made In The USA » (co-produit par le français Tarik Azzouz) remonte le niveau avec ce concept de tour des trucs qui clochent aux Etats-Unis tout en nous faisant réviser la géographie du pays. Puis il faut l’avouer, « Jump » est un banger efficace et entêtant à souhait. Ce qui est moins le cas du single « Tranquillo » avec Rick Ross (avec qui il s’est brouillé fut un temps mais vu que Lupe est une girouette…) et Big K.R.I.T, trop conventionnel.
Après ça… pas que ça parte en vrille, mais DROGAS Light gagne en diversité ce qu’il perd en cohérence et en structure. Il y a « Kill », morceau vraiment délicieux (on insiste sur le vraiment), avec Ty Dolla $ign et Victoria Monet, sur le thème de l’argent qu’on donne et de l’argent qu’on gagne. La prod est sexy à souhait, sorte de R’n’B vocal marmonnant l’air de « Where There Is Love » de Patrice Rushen (samplé par Mobb Deep pour « Temperature’s Rising« ) où l’on peut entendre le tintement des verres dans le décor. Mais reprenons.
En fait si, juste après cette chanson-là, ça part en vrille, à base de pop-pop-pop-pop. Ne cherchons plus à sauver les meubles. Lupe s’est perdu, de nouveau. Et il nous sème aussi, comme lorsque le GPS nous a fait suivre un mauvais itinéraire bis après une déviation. Pris en flagrant délit d’enfoncer ses doigts dans la prise électrique, ceinture noire troisième dan pour faire ce qu’il n’aime pas faire. « Law », « Pick Up The Phone » : Lupe zappe pour des morceaux playlistés pour NRJ et Virage Radio, qui fondamentalement et musicalement parlant n’ont plus grand chose de rap. Le cauchemar de Lasers ressurgit, sauf qu’il n’est pas question ici de dance music. Plutôt de pop-rock pour ado (« Wild Child ») ou de la funk tout-public que Will.I.Am nous servait en 2007 (« Not Design »). En tout cas si par acte de bravoure vous parvenez à écouter l’album jusqu’à la fin, vous serez récompensé par « More Than My Heart ». Joli lot de consolation.
Dire qu’il venait de nous donner des raisons d’y croire à nouveau avec Tetsuo & Youth. On ne comprend décidément pas où Lupe Fiasco a voulu en venir avec DROGAS Light. Aucune modélisation statistique n’a pu prédire un tel pot pourri d’orientations sur un seul album rap. Ce qui est certain, c’est que critiquer négativement un album de Lupe devient un exercice moins délicat à chaque fois Bien entendu, nous ne sommes pas artistes, nous ne sommes pas non plus dans la tête de Lupe. Et à vrai dire, on n’a pas envie d’y être tellement ça doit être un sac de nœuds de pensées contradictoires. Parce qu’en l’état actuel, DROGAS Light est un album bipolaire à mort qui cherche à appâter deux types d’auditeurs rap que tout oppose. À sa décharge, on peut supposer que l’album est resté tel qu’il aurait dû sortir en major, cette vilaine maison de disque assoiffée d’argent, aux directeurs artistiques peu scrupuleux et qui n’aime diffuser que des tubes radios. Ce qui pourrait bien être une autre de ces histoires contées par l’ami Lupe Fiasco… Son successeur DROGAS « normal » sera-t-il plus fat ? On continue de l’espérer, avec un peu moins de foi à chaque fois. La suite au prochain épisode.