Au lendemain des événements tragiques qui ont ravagé notre pays, le laissant dans une gueule de bois innommable, nous sommes tombés comme beaucoup sur l’intervention de Malek Boutih à France Inter. Au micro de Patrick Cohen, l’ex directeur de SOS Racisme a évoqué des mesures à prendre. Humaines et républicaines. Avant de glisser un bien curieux amalgame sur le rap dont on se serait bien passé.
À l’attention de Monsieur Malek Boutih, député PS de l’Essonne.
Monsieur le député,
Je comprends que dans le contexte de tension actuel, des enjeux beaucoup plus graves que la défense du rap doivent nous animer. Mais je ne peux que vous alerter d’un dangereux amalgame glissé dans votre intervention. Je vous cite donc, mot pour mot : « Je suis républicain parce qu’il y avait une bibliothèque en bas de chez moi, et pas une salle de rap. C’est ça la différence. Le rap j’adore, hein, j’en écoute. Mais je pense que dans cette bataille idéologique, l’ouverture à la culture, l’émancipation est le seul moyen de contrer l’intégrisme. »
Je vous félicite dans un premier temps, car dans le vocabulaire rapologique, vous tenez là une sacrée punchline : vous savez, une phrase choc, coup de poing, dont le sens et/ou l’image qu’elle véhicule se greffe instantanément au cerveau. C’est justement ce à quoi les responsables politiques, tous bords confondus, nous ont désormais habitué depuis une bonne vingtaine d’années. On pourrait même creuser un peu plus loin et se demander si nous n’avons pas affaire à un nouveau phénomène de société largement inspiré de l’univers du rap. Au passage, j’aimerai que vous me rafraîchissiez la mémoire. Vous parlez « d’être républicain ». En tant qu’élu, qu’aviez vous donc comme autre choix ? Etre royaliste ? Raelien ?
« Il y avait une bibliothèque en bas de chez moi, et pas une salle de rap. » Bon. Des « salles de rapt« , on connait. Le Veld’hiv, tout ça tout ça. Mais des « salles de rap » ? Qu’est-ce donc ? Serait-ce un peu comme des « salles de shoot », que vous opposez « aux salles de chut », à savoir les bibliothèques ? Je ne vous ferai pas l’offense de croire que vous pensez que le rap ne fait pas partie de la culture. Peut être voulez maladroitement parler d’un manque d’alternative culturelle dans les quartiers populaires ? Je vous rejoins dans ce sens, mais votre phrase sous entend que le rap ne participerait pas à l’élévation des individus. Or, de la part de quelqu’un qui tient, depuis le mois de juillet, le poste de directeur des relations institutionnelles au sein de Skyrock, la radio qui a le plus formaté cette musique au point de la niveler vers le bas, il me semble que cette phrase relève de la plus grande mauvaise foi. Ou d’un Alzeihmer précoce.
Vous devriez pourtant vous réjouir, Monsieur Boutih, vous qui semblez être, au même titre qu’Eric Zemmour ou François Grosdidier, tellement attaché au mot « culture ». L’exception culturelle française est en majeure partie représentée par des rappeurs, depuis la loi sur les quotas radiophoniques qui ont largement profité à la radio qui vous emploie. Et si le rap a d’abord et avant tout pris forme dans les quartiers populaires, c’est tout simplement par son accessibilité et son universalité. Pour finalement devenir une des forces vives économiques et culturelles de ce pays. Il suffit pour vous en rendre compte, Monsieur Boutih, d’aller voir dans n’importe quelle bibliothèque de votre circonscription, y compris celle en bas de chez vous. Au rayon « musique », précisons le.
« Je suis républicain parce qu’il y avait une bibliothèque en bas de chez moi, et pas une salle de rap. » Poursuivons votre logique jusqu’au bout, par sophisme. Le rap serait donc anti-républicain. Donc anarchiste. Donc un peu comme Léo Ferré. Si l’on en croit le nombre de lycées, collèges et autres institutions publiques portant le nom de l’auteur du classique « Avec le temps », il y a fort à parier que dans 20 ans l’on voie fleurir des centres sociaux JoeyStarr et autres MJC Philippe Fragione. C’est sans doute ce que vous vouliez dire par « salle de rap ».
Merci de m’avoir rassuré, Monsieur Boutih, un instant j’ai cru que vous étiez à coté de la plaque. Alors que non, vous êtes dans le futur. Pour une fois.
Sur ce, je vous laisse. J’imagine que dans l’urgence d’unir notre nation, vous avez des choses beaucoup plus importantes à traiter.
Bien à vous.