Tel qu’il se tient, adossé au mur de sa loge, dodelinant de la tête dans son hoodie rouge et son bomber à l’effigie des Raiders, on pourrait croire qu’il psalmodie une prière avant son show. Ce vendredi soir, c’est devant le public du festival Ninkasi Urban Week que se produit Nick Carter, alias MURS. Tenu en haute estime par un milieu hip-hop mais pas que, comme le témoigne un featuring classieux avec Pedro Winter, le rimeur reste pourtant méconnu du grand public. Il aura pourtant tout connu : les sorties indépendantes, les affres des majors et les meilleurs compagnons de jeu (Ski Beatz, Snoop Dogg, 9th Wonder…). En avril, à bientôt 38 ans, MURS sortira son prochain album Have a nice life. Un titre étonnant qui sonne comme le conseil avisé d’une vieille connaissance.
Quand MURS se raconte, c’est à l’image de son rap. Avec un capital sympathie énorme qui donne l’impression de discuter avec un ami de longue date. Un parcours détaillé avec emphase, chaque anecdote faisant naître un éclair dans ses yeux. Flashback : à même pas dix huit ans, sa nature curieuse le pousse vers de nouveaux horizons. Grâce à ses amis Mystik Journeymen avec qui lui et The Grouch formeront le super-collectif Living Legends, il rejoint peu à peu le monde restreint du hip-hop indé de la côte ouest. L’époque fait la part belle aux synthés g-funk et aux joailleries gangsta. Lui même issu du quartier difficile de Crenswhaw à L.A, MURS rêve de cieux plus cléments et comprend que la musique s’avère un moyen idéal pour voyager. “Dans les années 90, on débarque en Europe avec les Mystik Journeymen pour trois semaines, avec seulement deux shows bookés. On a vu que The Pharcyde jouait à Amsterdam, on s’est pointés au bluff devant le promoteur le jour du concert, genre ‘Hey! On est la première partie, on joue ce soir’. Ca a marché. On a recommencé ailleurs avec Old Dirty Bastard. Je voyais à chaque concert que les Mystik retournaient le public. J’avais dupliqué 100 cassettes de mon premier album que je vendais dans les rues. Je vivais le truc à fond… Ca été le déclic. J’étais parti en Europe pour l’aventure, j’en suis revenu avec un métier.”
“J’étais parti en Europe pour l’aventure, j’en suis revenu avec un métier”
Le statut d’artiste aux Etats Unis et l’état de l’industrie musicale pré-Internet lui semblant trop étroit pour développer sa carrière, MURS prend le pari de continuer à s’exporter… au Japon, notamment. « En 98 on est partis à Tokyo, on déchirait dans tous les clubs où on passait, on rappait debout sur les tables… Un gars d’un label m’approche pour faire un vinyle avec moi. Tous mes potes se foutaient de ma gueule parceque c’était au Japon. J’ai dit oui, et un an plus tard quand je suis revenu pour jouer le mec me filait un chèque de 25 000 dollars. J’étais la 3ème plus grosse vente de rap au Japon derrière Jay-Z et Nas ! Je faisais des shows sold out. Mes potes rappeurs hallucinaient, ‘comment ça se fait que tu vendes autant ailleurs alors que personne te calcule ici?’ Sans label aux Etats-Unis et avec les concerts comme seule promo, l’aspirant MC continue son bonhomme de chemin jusqu’à ce que l’un de ces carrefours de vies qu’on appelle coïncidences le pousse à percuter le producteur phare de l’underground new-yorkais de l’époque, El P. Un après midi d’automne 2001, au Rocksteady Park à New-York, MURS joue le hypeman pour les Mystik Journeymen. Au moment d’introduire le groupe, une coupure de courant fait sauter le système son. “Mon micro était le seul à fonctionner. Les gens me gueulaient dessus parce qu’il voulaient un freestyle. J’ai du kicker salement pour les calmer. El P était dans la foule et a été séduit. On est restés en contact, et un peu plus tard lors la tournée de Company Flow en Californie, on s’est revus. C’est comme ça que j’ai signé chez Def Jux.”
« J’étais la 3ème plus grosse vente de rap au Japon derrière Jay-Z et Nas ! »
Cette audace et cette volonté d’aller vers l’autre s’avèrent au fil du temps une stratégie bien plus payante qu’une campagne marketing orchestrée par un DA de major. Au début des années 2000, MURS réussit à s’incruster dans le peloton de tête du rap indie, jusqu’a croiser le sillon de l’écurie Rhymesayers et sa figure de proue, Slug du groupe Atmosphere. Le crew de Minneapolis a déjà le vent en poupe et traine lui aussi une solide réputation de brûleurs de micro. L’affinité est immédiate et réciproque. MURS trouve chez Sean Daley, aka Slug, un sparring partner idéal, une figure quasi tutélaire. Une étroite complicité va naître entre les deux MC’s, donnant naissance à une des pierres angulaires du rap indé des années 2000, le projet Felt.
« Slug c’est mon grand frère, il m’a appris énormément. Du simple fait d’écrire en comptant les mesures, jusqu’à comment me comporter en tournée avec les filles. » Ou comment synthétiser une époque ultra créative faite de trois albums-hommages aux égéries Christina Ricci, Lisa Bonet et Rosie Perez. Sept années passées entre les studios et les planches. Sept années de carambolages entre rap, pop culture et fascination avouée pour la gente féminine. À travers l’expérience Felt et ses projets solos, MURS développe une écriture intimiste, comme si le Californien se confessait à chaque morceau en livrant des pans entiers de sa vie, notamment sa vie sentimentale. Des titres comme « Remember to forget », « Break up », ou encore « Vikki Veil » – ou MURS étale sa relation avec la pornstar Roxy Reynolds – jalonnent la discographie du lyriciste comme autant d’épitaphes à ses relations houleuses. “Sur la côte Est les mecs se demandent qui écrit les meilleurs lyrics. Nous, à l’Ouest, on veut juste savoir qui est le plus vrai. Qui est vraiment bad ass, qui a shooté des mecs, vendu de la drogue, etc. Personnellement j’ai jamais vendu de drogue mais, comme tout le monde, j’ai eu le coeur brisé. Alors je parle de ça, c’est ma façon de rester vrai. J’assume le fait d’avoir une étiquette « émo-rap ». Et puis si ça ramène les meufs… Mais tu sais tous les rappeurs sont “émo” à partir du moment où ils font passer une émotion. Drake fait de l’émo selon moi ! »
« Nous, à l’Ouest, on veut juste savoir qui est le plus vrai »
Aujourd’hui, Nick Carter est posé à Tucson, il est marié et père adoptif de deux enfants. Pour autant, il serait malhabile de lui brosser un portrait de family man assagi. Si l’homme s’est éloigné des groupies et des pornstars siliconées, il n’en demeure pas moins imprégné de la ghetto mentality, qu’il déconstruit pourtant en toute honnêteté. « J’ai bougé en Arizona mais je suis obligé de retourner tout le temps à L.A. Ma mère et mes amis sont toujours à South Central. C’est une ville de tarés… Quand j’ai signé en major pour mon album « Murs for President », je faisais des tournées promo en costard et limousine. Je gagnais bien ma vie, on me voyait à la TV, je faisais des jaloux. J’étais obligé de me balader avec un flingue pour aller voir mon meilleur ami qui tient un bizness dans le coin des Crips. Quand tu vois que ce mode de vie devient un standard, parce que les mecs ne connaissent rien d’autre que leur quartier, ça devient dangereux. Ca m’a pris du temps pour réaliser que je voulais un meilleur environnement pour mon fils. »
Quelle issue proposer à cette Amérique désemparée devant les tensions raciales ? Quand on évoque les incidents de Ferguson et la vague de protestations qui s’en suivit, le propos se radicalise : « C’est évident que l’Amérique blanche oppresse les plus faibles. Ok, on a grandi sans père, nos mères travaillent dur et sont absentes, mais à travers le hip-hop on a clairement récolté l’attention qu’on mérite. Alors qu’est ce qu’on propose de nouveau au lieu de rapper à propos de flingues ? NWA a déjà dit « Fuck the Police », non ? Mais à ton avis, qui tue plus de noirs que la police aux Etats-Unis sinon les noirs eux même ? On devrait plutôt éduquer nos mômes pour qu’ils deviennent avocats ou policiers ! C’est trop facile de se positionner en victimes… »
« C’est évident que l’Amérique blanche oppresse les plus faibles »
Si la colère est un sentiment intemporel, l’amour est sans doute celui qui semble avoir toujours guidé MURS. Au point d’en faire un artiste au karma d’un positif rarement vu dans le jeu. « A 80 ans, je préférerai écouter Bob Marley que ‘Niggas in Paris' » confesse t’il en riant, avant de retourner dans sa chambre d’hôtel. Au moment de le saluer, on repense au titre de son album, Have A nice life. Et on est à deux doigts de lui souhaiter aussi en partant.
Vidéo : Jonathan Morel