Mykki Blanco : ‘Notre époque n’est pas plus sombre qu’avant’

mardi 13 décembre 2016, par Olivier Cheravola. .

Bien plus qu’un phénomène à la mode, Mykki Blanco s’est installé comme chef de file de la scène rap queer mondiale. Prenante et intrigante, sa musique ne laisse pas indifférent. Lors de son passage au Sucre à Lyon à l’invitation de Totaal Rez en septembre dernier, on est allés à la rencontre du rappeur-performeur pour évoquer son parcours et l’Amérique de Donald Trump. Entre réflexions sur l’usage des réseaux sociaux et la bien-pensance de gauche, un entretien éclairant de lucidité.

De son propre aveu, c’est un peu par hasard que Michael David Quattlebaum Jr s’est lancé dans le rap, tenté qu’il était par d’autres formes artistiques comme la vidéo. Bien lui a pris de s’engager dans cette voie puisqu’en quatre ans, le rappeur et performeur américain est devenu la figure de proue de la scène rap queer, une place conquise avec des tracks puissants et outranciers et une identité trans qui bouscule un milieu cisgenre par excellence. A l’écoute de Mykki, le premier véritable album studio de son alter-égo féminin Mykki Blanco, on s’était fait surprendre par son coté à la fois très personnel et retenu. Il-elle a beau pratiquer l’autobiographie, Mykki n’est pas du genre à montrer son vécu à tous les passants.

Il fallait la voir quelques semaines plus tard improviser un cypher au milieu de la foule, danser debout sur le bar ou se suspendre aux projecteurs la tête en bas, pour comprendre que Mykki Blanco donne à voir ce que beaucoup s’acharnent à ignorer : la dualité. Le temps d’une valse avec la divine créature et le dancefloor du Sucre se transforme en un cabaret déroutant où se mêlent évocation de la liberté sexuelle, blessures amoureuses et coups de gueules tranchés. En écartant pans d’ombre et plis de lumière au cours d’une prestation convoquant autant le voguing que le rap orthodoxe, Mykki montre tour à tour ses parts masculines et féminines et s’en amuse, devant un public mixte conquis par une performance punchy et généreuse.

Quand on l’avait rejoint un peu plus tôt dans l’après midi, la jeune trentenaire nous confiait l’impression d’avoir été piégé-e par Thierry Ardisson lors de son passage quelques semaines auparavant à Salut les terriens. Moment mémorable où elle traita de « fasciste poli » un Henri Guaino qui n’en méritait pas moins. Evidemment la classe et la tolérance ne s’achètent pas en soldes à Monoprix. A une époque où le populisme et les votes réactionnaires se dressent, le rap de Mykki a quelque chose d’autant plus politique, malgré lui. Un rap qui questionne la liberté, celle de nos orientations sexuelles et de nos identités données, et surtout brouille les multi-pistes d’un genre musical encore bien enfermé dans son hétéro-norme. A l’instar du monde qui l’a vu naître, ça ne peut que lui faire du bien.



Vidéo réalisée par Jonathan Morel et Lucas Billard.

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