Certains artistes sont là pour nous rappeler à quel point le rap est un art qui brille par sa diversité. Le producteur japonais Nujabes fait définitivement partie de ceux là. Un univers à des années lumières du bling bling, où les fessiers de twerkeuses et les gros calibres passent ici à la ‘trap’ (pas mal hein ?). En tant que mélomane-collectionneur de galettes-propriétaire des magasins de disques-beatmaker, Nujabes a su, de manière sobre et discrète, exposer les vibes jazz-hop à une plus large audience.
Comme un fantôme qui ne cesse de vous hanter. Vous pensiez vraiment que votre amour pour le travail du génie nippon allait finir par s’estomper, que ses mélodies finiraient bien par vous lasser. Mais non. « À part la mort, tout passe », dit Booba. Une maxime qui ne s’applique pas au cas Nujabes.
Né le 7 février 1974 (comme J-Dilla), Nujabes, de son vrai nom Jun Seba, était l’une des figures centrales du hip-hop jazzy nippon. Disparu il y a maintenant cinq ans dans un accident de voiture sur l’autoroute de Shibuya, il avait 36 printemps. Une perte qui n’a pas fait la une des médias, n’est pas Paul Walker qui veut. Elle n’a ému qu’un petit microcosme de fans et d’artistes qui ont su lui rendre hommage en demeurant très actifs dans la diffusion et la poursuite de son oeuvre. Nujabes n’est plus, mais son héritage, demeure.
Une vie « Fast & Genius »
En France, Nujabes s’est fait un nom grâce à sa contribution à la bande-son de l’animé Samurai Champloo, aux côtés de Fat Jon, Force of Nature et Tsutchie. Des compositions qui collent tellement à l’ambiance de ce chambara anachronique qu’on serait tenté de croire que le hip hop ne provient pas des bas-fonds du Bronx mais des bordels à geishas du Japon de l’époque Edo. Nujabes, c’est un samurai du bon son. La puissance de ses créations se trouve dans la diversité de ses influences et l’atmosphère paisible dans lequel il plonge l’ensemble de ses auditeurs. Un rap qui transpire la tranquilité, du zen zen zen dans ta Benz. La carrière de Jun Seba a été remplie de collaborations aux quatre coins du globe. Du compatriote Shing02 (co-auteur du fameux « Battlecry », le générique de Samurai Champloo) à CL Smooth ou Cyne, en passant par Funky DL et une bouleversante rencontre avec Terry Callier. La marque de fabrique Nujabes est simple : des samples en or, comme le « Love Theme » de Ahmad Jamal, triturés, rejoués au piano ou à la flûte mais jamais dénaturés, appuyés par des harmonies oniriques.
Avant son travail sur Samurai Champloo, Jun livrait en 1998 l’incroyable compilation Sweet Sticky Things, puis co-signait les albums To This Union a Sun Was Born en 2001 avec Substantial et Bullshit As Usual en 2003 avec Pase Rock (membre de Five Deez, le groupe de Fat Jon). Il compilait également les mixtapes Ristorante (2004) et Modal Soul Classics (2006). Sa carrière solo comprend les projets Metaphorical Music (2003) et Modal Soul (2005). Ses deux derniers titres avant sa tragique disparition sont « Psychological Counterpoint » et « Kiss of Life ». L’un offre un étalage des talents de Jun à la flûte sur un beat aussi hypnotique que psychédélique. L’autre, expose un florilège de smooth vibes aux cotés de Giovanca et Benny Sings.
Sa carrière discographique posthume, quant à elle, comporte l’album Spiritual State, un hommage via le second Modal Soul Classics et les trois dernières parties de Luv Sic (dont le beat du grand final fut trouvé dans son téléphone cellulaire après sa mort). Pour rappel, Luv Sic est une suite de morceaux amorcée en 2000 par Nujabes et Shing02, traitant des différentes phases de la rupture. Puis vint en février 2010 ce « foutu accident », à l’image du « foutu camion » ayant coupé la route de Michel Colucci un 19 juin 1986. Cet événement sonne le glas d’une carrière en plein décollage, au moment où Nujabes et la légende DJ Mitsu semblaient se rapprocher. La collaboration entre ces deux patrons du hip-hop nippon ne trouvera donc jamais la voie de la réalisation.
Relève & copycats
Le 14 et 15 août 2010, le sol de l’archipel nippon a encore tremblé. Tokyo, l’épicentre, fut secoué aux rythmes des « Nujabes Rest in Peace » qui résonnaient dans l’enceinte du Daikanyama UNIT, en plein coeur de Shibuya. En cette soirée dédiée à la mémoire de l’artiste, ses amis et ses plus proches collaborateurs ont communié en musique avec les fans de la première et de la dernière heure. Depuis, les hommages à Nujabes et son « Eternal Soul » n’ont pas faibli et la relève n’a pas tarder à pointer le bout de sa MPC.
Entre le roster de Hydeout, Nomak qui fait son retour après 5 ans de maladie, le talentueux Marcus D, moitié du groupe Bop Alloy avec Substantial, la quasi totalité du label Cult Classic Records et le label Roph Recordings, fondé par les anciens d’Hydeout Productions et dans lequel se trouvent les derniers projets d’Uyama Hiroto, l’héritage de Nujabes bat son plein.
Malheureusement, comme toutes les autres légendes passées à trépas, certains noms peu scrupuleux ont tenté d’embarquer dans le train de la hype post mortem, afin de faire leur beurre sur les pleurs des fans de la première heure. Parmi eux, feu le label Digi Crates Records geré par Hus KingPin. Entre « hommages » fallacieux et artistes non-rémunérés, Digi Crates s’est illustré en créant de faux comptes Bandcamp, iTunes, Google Play, Spotify etc… au nom d’Hydeout Productions afin d’uploader et vendre la musique de Nujabes, Uyama Hiroto et Fat Jon.
Entre inspiration réelle et copycats grotesques, les hommages à Nujabes sont pléthore, et certains disposent de plus ou moins de légitimité. En 2015, le MC/beatmaker/dessinateur/illustrateur Lex, membre du groupe Kalhex, sort le deux titres Blue Nile / Changing Child fortement qualitatif, comprenant un feat avec Segawa Tatsuya (trompettiste proche d’Uyama Hiroto et Nujabes), deux ans après l’album « Full Cycle » en collaboration avec Shing02.
Dernière cerise sur le ghetto avec « Ode to Nujabes » de Funky DL qui nous prouve que dans le hip-hop, rien de mieux que 3’40 » de bon rap que la traditionnelle minute de silence pour célébrer les artistes partis trop tôt.
Sayonara, bitches !
Auteur : Timothée Rpu
Éditeur : Alpha Saliou Daimaô