Depuis l’avènement des logiciels de MAO, il existe deux écoles chez les beatmakers. D’un côté, toute cette génération droguée au PC, des mecs qui connaissent Fruity Loops sur le bout et doigts et qui composent instru sur instru avec une facilité déconcertante. De l’autre, les vieux de la vieille, qui ne jurent que par leur antique MPC ou leur suranné sampleur.
Cette façon de faire de la musique, qui avait disparu des écrans radar, revient petit à petit sous le feu des projecteurs grâce à l’activité de passionnés qui abreuvent le net de projets entièrement composés à l’aide de ces machines d’un autre temps. Parmi ces « vieux » briscards, il y en a un qui excelle particulièrement quand il s’agit de manipuler son cher sampleur. Son nom, c’est Bradford « Oblivion » Claude , a.k.a Ohbliv, l’homme qui transforme chaque sample qu’il touche en pièce de boeuf 5 étoiles. Comme on n’est pas rapace, on vous propose de prendre une bouchée des mets de ce grand chef du achipé achopé.
En 2015, faire une instru potable n’aura jamais été aussi facile. Un logiciel, un bon tuto sur Youtube, et c’est parti pour le show (coucou Nadiya). De nombreux apprentis beatmakers se sont révélés à la planète entière en apprenant à faire des instrus, en suivant cette méthode. D’autres, plus attachés aux traditions, ont atteint les hautes sphères du rap en utilisant du matos qu’on pourrait qualifié aujourd’hui d’antique. Des appareils qui eux aussi ont des boutons mais n’ont pas besoin de souris pour fonctionner. Des appareils qui peuvent être reliés à des vieilleries comme des platines vinyles. Des appareils qui ont pour nom : sampleurs.
Pour maitriser ce genre de bestiole, il faut avoir une sacrée dexterité. Mais ce n’est pas tout : un gros travail de recherche est nécessaire, ne serait-ce que pour trouver les samples qui vont bien et faire les arrangements de façon manuelle. C’est autre chose que d’assembler comme des LEGO des briques sur Fruity Loops. En vrai, rares sont ceux qui arrivent à sortir des choses potables avec leur sampleur. Certains argueront qu’ils font de la musique expérimentale mais ne vous y trompez pas : maitriser ces engins est un art qui n’est pas donné à tout le monde. Certains arrivent tout même à se démarquer et à produire des morceaux qui feraient pleurer un ange. Comme ce garnement d’Ohbliv.
« Qu’est-ce que tu utilises pour faire tes beats ?
– Mon cerveau, un SP 404 et un vinyle. »
Si on oublie la technique deux minutes, qu’est-ce qui différencie un bon beatmaker d’un excellent beatmaker ? Sans conteste, son ouverture d’esprit et sa connaissance de la musique. On pourrait ajouter son habilité à créer des tendances mais en vrai, ce n’est pas ce qui le caractérise le plus. Ce qui fait d’un bon beatmaker un excellent beatmaker, c’est sa capacité à se renouveler. Et pour ça, Ohbliv n’a aucun problème.
Dans son impressionnante discographie, vous ne trouverez jamais un morceau qui ressemble à un autre. Ce grand consommateur de samples s’attache à donner une saveur particulière à chacune de ses créations. Cela passe par l’achat compulsif de vinyles et des heures passées derrière son sampleur à tester sans relâche des combinaisons. « Qu’est-ce que tu utilises pour faire tes beats ? – mon cerveau, un SP404 et un vinyle. » Une activité certes très chronophage mais que voulez-vous ? C’est une véritable passion.
Crate digger à l’ancienne, son temps libre lui sert à fouiller dans les trésors passés du jazz chez le disquaire du coin, afin de trouver la prochaine perle rare à exploiter. Dans ses morceaux, vous retrouverez beaucoup de samples de mecs qui ont écrit l’histoire du jazz. Mais, qu’on se le dise, il n’est pas fermé à d’autres styles : « Je n’ai aucune limites. J’avais l’habitude de chercher l’inspiration dans des vinyles de jazz mais maintenant, j’en cherche aussi dans la soul, le rock, les musiques du monde et même dans les musiques de films. » Tel un Scott Bakula dopé aux sons à l’ancienne, il revisite chaque ère musicale pour les retravailler à sa sauce.
Ce qui fait aussi la particularité des créations d’Ohbliv, c’est cette dimension presque hypnotique que l’on retrouve tout au long de ses projets. Une fois qu’il a trouvé la bonne boucle, il la répète (pratiquement) sans variation aucune jusqu’à la fin du morceau. Comme si c’était une satanée incantation vaudou. A une époque où les beatmakers ne jurent que par les drops, les changements de rythme et tout le reste, entendre les petites sucreries d’Ohbliv peut étonner, voire déconcerter. Mais au final, elles finissent toujours par plaire, et cela même aux rappeurs, qui ont été nombreux à s’associer à lui, le temps d’un track ou d’un projet entier.
Jamais à court d’inspiration, Ohbliv balance perpétuellement de nouveaux morceaux à l’attention de ses fans. Ultra productif, il en est déjà à plus de 40 projets, sans compter ses multiples collaborations. Une vraie machine à sampler, qui trouve quand même le temps de se produire sur scène pour des têtes à tête savoureux avec son 404.
En matière de musique comme ailleurs, il y a un adage qui dit que « l’excès en tout est un défaut ». Oui oui pour les dernières mixtapes de Lil Wayne. Ou pour chaque nouveau morceau de Ilovemakonnen. Pour la musique d’Ohbliv, on peut aisément penser le contraire. Un peu comme des incantations vaudou, ses morceaux finissent par nous posséder. Et c’est avec plaisir qu’on se laisse emporter par ses divagations musicales.