On dit de lui que c’est le leader de la nouvelle génération de rappeurs qui font dans la « turnt music ». Playboi Carti, 20 ans, s’est fait un nom sur la scène hip hop US avec des morceaux aussi improbables que festifs comme « Broke Boi », son titre le plus connu et qui totalise près de 14 millions d’écoutes sur Soundcloud. Le problème, c’est que le rappeur peine à confirmer l’attente qu’il suscite autour de lui. Entre effets d’annonce et productivité en berne, son buzz semble lentement s’essouffler… Jusqu’à totalement disparaitre ?
C’était en avril 2015. Google se faisait épingler par la Commission Européenne et risque une amende de 6 milliards de dollars. Des émeutes éclataient à Baltimore aux États-Unis après la mort de Freddie Gray. Un prof de sport était mis en examen pour avoir « coller la petite » un peu trop souvent dans son collègue d’Ille-et-Vilaine… Pendant ce temps, la toile s’agitait. Pas de notre côté de l’Atlantique mais plutôt chez les ricains, toujours à la recherche de nouveautés à mettre dans leur iPod. Ian Connor, « consultant fashion » des plus grandes stars du rap US actuel et accessoirement violeur récidiviste, partage sur son compte Twitter le morceau d’un certain Playboi Carti, un de ses potes.
Son titre ? « Broke Boi ». Relayé par Rich Po Slim, membre d’Awful Records, puis par les sites Illroots et Complex, le titre enflamme le web. En à peine quelques heures, « Broke Boi » devient viral. On le retrouve absolument partout, notamment sur Twitter avec des emojis révélateurs de la furie provoquée par le morceau. Le titre est certifié banger par les experts rap de tout bord et très vite, les internautes s’interrogent : mais qui est Playboi Carti ? Ceux qui le connaissent déjà ne sont pas vraiment surpris puisque le rappeur les avait déjà habitué à quelques morceaux bien sentis. Pour les autres en revanche, la surprise est totale, et entre deux lectures du fameux titre, ils découvrent le bonhomme. Qui a un passif déjà bien rempli.
Parce que quand « Broke Boi » apparait sur la toile, Carti n’est pas vraiment un inconnu. Il n’a beau avoir que 19 piges, il a déjà sa petite fan base. Originaire d’Atlanta, comme bien d’autres figures du rap jeu actuel, Carti est signé sur le label en vogue dans la ville, un groupe d’artistes aux influences multiples et éclectiques : Awful Records. Emmené par Father, son charismatique leader, le crew enchaîne les apparitions mémorables. Que ce soit en concert ou en studio, chacun des membres impressionne. Très vite, quelques visages sortent du lot. Father, bien évidemment, mais aussi Ethereal, Abra et my love, Tommy Genesis. Quand on pense à la galaxie d’artistes qui gravitent autour d’Awful, on pense immédiatement à ces noms là, sans se soucier de la tripotée de rappeurs qui riment en silence derrière eux.
La folie Carti
Il aura fallu que « Broke Boi » fasse imploser Twitter pour que les Internets, mais aussi le rap game, entendent – enfin – la voix de Playboi Carti. Avant ça, le rappeur prenait son mal en patience. Il avait enregistré quelques morceaux ici et là, mais sans grand succès. Quand son crew donnait des concerts, c’était pour voir Father, Rich Po Slim et les autres. Pas pour entendre les insanités débitées avec un insolence par un jeune gamin de 19 ans. Ça, c’était avant « Broke Boi ». Depuis, certains titres de Carti, enregistrés en 2014, ont dépassé le million de lectures. C’est moins bien que son fameux titre, certes, mais c’est une belle performance tout de même pour un type qu’une poignée de personnes connaissait, parce qu’ils l’avaient entendu performer son plus gros hit bien avant tout le monde, dans l’intimité d’un showcase donné en janvier 2015 par le crew – quatre mois avant le début de la folie Carti.
Bien aidé par les médias, mais aussi et surtout par les internautes, Carti se retrouve propulsé au rang de leader des jeunes rappeurs qui ne rappent que pour faire bouger les boules. Roi de la « turnt music », ce n’est pas vraiment la profondeur de ses morceaux qui plait. Comme beaucoup de jeunes rappeurs américains, Playboi Carti n’a qu’une seule motivation dans la vie : l’argent. A l’écouter, c’est l’accumulation de billets verts qui lui permettra d’atteindre son but : passer le reste de sa vie entouré de ses bitchs et de ses meilleurs potes, posé à siroter son verre de purple, parés de ses plus beaux bijoux. Une certaine idée du bonheur.
De fait, les morceaux de Carti sont parsemés de références à l’oseille, à la baise sous drogue et aux fringues de luxe. En soit, ça n’a rien de bien original et la plume de Playboi Carti ferait sûrement couler les larmes des plus grands écrivains. Qu’est-ce qui plait tant chez le rappeur alors ? Probablement son flegme, certainement son aura et assurément sa propension à créer des refrains entêtants. Car si « Broke Boi » a eu autant de succès, c’est notamment grâce à ces nombreuses vidéos qui pullulaient sur Youtube mettant en scène des gosses qui dansaient en chantant « broke boi, broke boi, broke boi, broke boi ».
C’est un fait implacable : dès le moment où vous commencez à écouter ce morceau, ce refrain s’imprime dans votre tête et sans vous en rendre compte, vous l’entonner. Sans vous arrêter. C’est aussi le cas pour le titre « Run It » et son refrain « I get the guap and I run it » répété indéfiniment tout au long de ce track en featuring avec Lil Yachty, mais aussi sur « Fetti ». La sauce fini par prendre et ce grand fan de R Kelly profite à fond de son buzz naissant pour balancer titre sur titre. Malheureusement, c’est à ce moment que les choses ont commencé à se gâter pour Carti.
Un buzz qui s’essouffle
Il faut dire que c’était (presque) prévisible. On dit de lui qu’il a deux visages. Certains ont l’image d’un jeune homme poli, serviable et souriant. D’autres ont plutôt l’image d’un Carti capricieux et sans aucun savoir-vivre. En vrai, tout le monde a du mal à suivre Playboi Carti. Même ses plus proches amis. Ethereal, homme à tout faire d’Awful Records, est le premier à avoir remarqué le rappeur. Il a été le premier à lui donner une instru et un micro pour qu’il s’exprime. Il connait très bien le bestiau. Selon lui, Carti est quelqu’un qui a constamment besoin d’avoir les spots braqués sur lui. Il n’est pas venu pour faire de la figuration, il veut faire vite et bien, comme s’il savait que son temps dans le rap jeu était compté. Comme dirait l’autre, pas l’temps de niaiser. Carti enregistre de nouveaux morceaux à une vitesse folle, parfois jusqu’à confondre vitesse et précipitation.
Si son travail après « Broke Boi » a été plutôt bien accueilli, ses tout derniers titres n’ont pas rencontré le même succès. Des freestyles enregistrés à la va-vite, des refrains sans saveur, Carti ne bénéficie plus de la même mansuétude qu’à ses débuts. Les auditeurs commencent à se lasser de sa musique, mais surtout de ses annonces incessantes et contradictoires. Alors que ses fans attendaient qu’il confirme avec une première mixtape, cette dernière n’est jamais arrivée. Quand d’autres rappeurs issus de la même génération ont déjà sorti au moins un projet, Carti se fait toujours désirer et joue au chat et à la souris avec ses fans. Peut-être a t-il décidé d’arrêter de faire dans la spontanéité, ce qui a fait sa force jusque-là, pour prendre le temps de polir son projet. Peut-être préfère t-il se consacrer aux concerts et au remplissage de son compte en banque. On ne sait pas. Mais toujours est-il qu’à l’heure actuelle, personne ne sait comment va s’appeler son premier projet, annoncé depuis longtemps, ni quand il sortira, ni même sur quel label il sortira, puisque Carti a visiblement quitté le cocon d’Awful Records pour « signer avec A$AP Rocky ». Impossible à suivre, on vous dit.
Plutôt que de s’en offusquer, ses fans préfèrent en rire. Car ils savent que c’est quitte ou double avec Carti. Soit il explose enfin avec sa mixtape, soit il reste un rappeur de seconde zone avec quelques bons hits. Ce ne sera pas le premier, ni le dernier. Mais Playboi Carti à toutes les cartes en main pour s’imposer comme une tendance durable dans le rap game. Même si l’évocation de son talent pourrait en faire sourire certains, son répertoire, en revanche, impose le respect.
En trainant avec des types comme A$AP Rocky, il bénéficie d’une exposition incroyable et rencontre des gens importants du rap game. Des gens qui pourraient le porter vers le sommet, comme Rocky avant lui. À 20 ans à peine, il a encore l’âge d’avoir le temps, mais rien n’est plus volatile que le buzz. Playboi Carti a l’occasion d’exploser à la face du monde. À lui de faire les choses comme il faut.