Le cas PNL dépasse le monde du rap. L’ambitieux duo, qui sort ce vendredi 16 septembre son troisième album, Dans la légende, n’a jamais masqué son désir de bouffer le globe à pleines dents. Un désir évidemment partagé par nombre d’artistes francophones qui se sont vite retrouvés face à un mur. Et si, pour eux, c’était différent ? À l’heure où les États-Unis ont commencé à jeter un oeil sur ce qui se faisait du côté de Corbeil-Essonnes, on se demande si Ademo et NOS n’ont pas déjà enclenché leur plan de bataille en repensant légèrement leur image et leur musique. La clé de ce nouveau projet est peut-être là : la conquête du monde. Rap game Minus et Cortex.
Pour un groupe français, s’exporter à l’internationale n’est pas une mince affaire. Cela requiert une intelligence dans le marketing et dans la création d’un véritable univers qui entoure la musique. L’essentiel est de faire oublier que les mots chantés – dans ce cas rappés – le sont en français, une langue comprise par (tout de même) un peu moins de 300 millions de personnes dans le monde, contre près du double pour l’anglais. Peu d’artistes francophones peuvent aujourd’hui se targuer d’être connus, et reconnus à l’international : principalement à cause de la barrière de la langue mais aussi par manque de créativité et de véritable identité harmonieuse. En cela, voir PNL trôner sur la couverture de The FADER – une véritable institution outre-Atlantique – a quelque chose d’aussi emballant que le vent d’air frais qu’ils ont soufflé sur le rap français. Depuis la cité des Tarterêts, la mélancolie autotunée des frangins a été entendue jusqu’au pays de l’Oncle Sam. Et c’est justement tout l’enjeu de leur nouvel album, Dans la légende, qui sort demain.
Oui, après QLF et Le Monde Chico, le troisième album des deux frangins doit être celui de l’internationalisation. Une ambition à peine dissimulée qui dépasse aujourd’hui le simple cadre des mots pour se faire sentir à travers leur musique. Sur une majorité d’extraits de Dans la légende, PNL rappe moins qu’auparavant. Ou d’une manière moins distincte. Les refrains sont plus chantés qu’auparavant, les placements vocaux sont plus longs, étirés, et les passages de pur débit de rimes se font encore plus rare. Plus que jamais, la voix de deux rappeurs semble se fondre dans les éléments instrumentaux, presque à la manière de ce que peut notamment faire TripleGo. Mais si ça marche autant, c’est que le duo a depuis toujours ce truc en plus. Le tour de force de la part du groupe réside dans le fait que les mots sont soutenus et soulignés par une forme d’aura qui crédibilise et donne une matière – parlons même d’épaisseur – particulière au langage de PNL. Avec la Une de The FADER, on a commencé à comprendre que cette aura suffisait et que le schéma était finalement inversé : ce sont les mots qui sont relégués au second plan, et cet esprit qui émane se suffit quasiment à lui-même. Derrière cette couverture, un papier élogieux, mené par une vraie volonté de remonter l’itinéraire musico-social de ceux qui ne jurent que par la famille et, naturellement, de faire découvrir aux mélomanes américains ce duo qui a bouleversé l’Hexagone en 2015. « Les paroles sont poignantes en Français, mais on peut comprendre ce que veut dire PNL même si on ne parle pas la langue. » Atossa Abrahamian, auteur de l’article de The FADER, nous confirme que la contagiosité de la musique d’Ademo et NOS dépasse donc les frontières de la francophonie. Suite au coup de projecteur du média américain, la légende texane Bun B rend d’ailleurs hommage digitalement aux deux frères avec un tweet : « French Trap! Lit! » Pourquoi pas. On en est donc là.
Jusque dans l’imagerie, l’heure est au monde
Non seulement ils ne s’arrêtent pas au langage en faisant au contraire tout pour parler sans les mots mais surtout, ils poussent cette logique à son extrême. Dans « J’suis QLF », le dernier son en date des deux rappeurs, une seule écoute suffit à faire un constat simple : niveau parole, ce n’est pas une longue litanie. Alors que le titre dure cinq minutes, le refrain est certes répété cinq fois mais ne fait que trois petites phrases. La prouesse est aussi grande que le refrain est minime : ce dernier prend des airs de slogans, que l’on garde en tête inlassablement. Pour les frérots : un couplet chacun et basta. Qui peut le plus peut le moins et ici, le moins suffit amplement. C’est assez pour emmener l’auditeur en balade, cela suffit puisque tout est compris, et les lentes logorrhées vocodées prennent sens sans vraiment en avoir. D’un coup d’un seul, on assiste malgré nous à cet embarquement que produit les sons de PNL, cette agréable promenade teintée de sincérité qui est si singulière et reconnaissable entre 1000. Pour joindre l’image à parole, le groupe ne lésine pas sur les moyens non plus. Leurs clips nous ramènent au sens originel du mot « illustration » et symbolisent leur ambition internationale. La Namibie, le Japon, Miami et un peu moins souvent Corbeil-Essonnes que précédemment : l’heure est au monde. Cette balade en voilier entourés du cercle proche des frangins est tout aussi éloquente que les quelques mots prononcés. Avec ce genre de visuels, on se sent dans un entre-deux complètement nouveau : on suggère tout en étant évident, et on propose de la subtilité en gros plan.
Ce rapport à l’image est d’autant plus intéressant qu’il en dit effectivement long sur cette volonté de conquête. Auparavant, leurs clips n’apparaissant que comme des exils temporaires, idylliques mais éphémères. On assistait à un retour à la réalité bétonnée et on avait ce sentiment d’attachement à la cité, plus de force que de gré. « Direction la péninsule ibérique, pour claquer le bénef. ‘Que la famille’ imprimé sur le linge, entre un polo Lacoste et le nouveau maillot du Barça. Tous les codes les plus basiques des clips de rap français sont là. On coupe une plaquette, on joue à Fifa, on traîne dans un hall, on fume une chicha, les fesses d’une femme par-ci, une villa au soleil par-là. Sauf qu’ici, à la fin, on rend les clefs », écrivait-on au moment de la sortie de « J’suis PNL », il y a un peu plus d’un an. Entre « La vie est belle » en Afrique, « Tchiki Tchiki » en Asie et « J’suis QLF » en Amérique, le sentiment d’apaisement domine : le duo qui côtoie désormais la lumière quitte progressivement son sombre quotidien. Symboliquement, on sent l’avancée d’un parcours initiatique rythmé par les millions de vues et les succès qui s’enchaînent. La France c’est fait, le monde c’est à faire.
À croire qu’ils ont trouvé le truc. Il est vrai que malgré leurs agréables bouilles de jeunes doucement défaitistes, on sent qu’une harmonie est là et qu’ils l’ont atteinte, cette globalité si essentielle à la réussite d’un artiste. Les tenues sont soignées, les têtes arrangées les baskets bien vissées. D’ailleurs, tout le monde s’accorde à dire que cette synergie joue pour beaucoup dans la success story de NOS et Ademo. Toujours dans l’article de The FADER, notre confrère Mehdi Maizi, rédacteur en chef de l’Abcdrduson et animateur de « La Sauce » sur OKLM Radio, mentionne ce fait en se mémorisant ce vieux freestyle de Guizmo et Ademo qui traîne sur le Web. « J’aimais le freestyle de Guizmo et [Ademo] rappait par-dessus. Il n’avait pas de cheveux longs à cette époque, c’était avant qu’il ait trouvé son look, et il n’était pas vraiment remarquable. Ce qui m’a impressionné c’est leur métamorphose. C’est comme si ils étaient passés à travers un laboratoire de rap et en étaient ressortis meilleurs. » Qui dit transformation dit expérience et c’est exactement ce que propose le groupe à ses auditeurs transnationaux : une expérience à partir de leur expérience.
Après, est-ce que tout cela marche vraiment ou bien est-ce l’un de nos fantasmes ? En dessous des clips du groupe sur YouTube, très peu de commentaires en anglais. Or The FADER, Bun B et l’invitation du duo à se produire aux côtés de Cam’ron lors de l’inauguration du shop Supreme à Paris, pas d’agitation autour d’eux dans les médias ou autre. Conclusion : il ne faut pas s’enflammer non plus. Rappel : Rome ne s’est pas faite en un jour.
Avec le coup de pied dans la fourmilière balancé par PNL, nous n’avons plus à rougir de notre famille du rap français face à la machine de guerre américaine. Depuis Corbeil-Essonnes, les deux frères ont prouvé que plus qu’une musique, un univers tout entier pouvait s’exporter en restant fidèle à ce qu’il est et en maintenant le pari de rester en marge de ce à quoi nous étions accoutumés. Il n’y a pas eu besoin de rendre la pareille à l’arrogance étasunienne qui se traduit par des couplets peu convaincants lâchés sur nos scènes, ou des seize mesures au rabais vendus à prix d’or aux rappeurs francophones. Il n’y a pas eu besoin non plus de passer à l’anglais pour être compris de tous ni même de reprendre les codes filmiques des clips des pontes américains. Malgré le poids considérable du marché français dans le rap, nous sommes toujours perçus comme les cousins consanguins et il faut admettre qu’à la longue, c’est usant. Finalement, il manquait peut-être un PNL pour changer ça. En même temps, ils nous avaient prévenus qu’ils ne limiteraient pas leur invasion à nos seules frontières : le monde, ou rien.