Un crew composé d’une infinité de membres, mené par un leader charismatique du nom de SpaceGhostPurrp et des lieutenants de premier rang (Denzel Curry, Chris Travis, Yung Simmie), et à qui l’avenir promettait le meilleur. Arrivés sur le devant de la scène en 2012, ils étaient censés embrasser le même destin que des collectifs comme Odd Future et la nébuleuse A$AP Mob avant eux, à savoir la gloire, les meufs et l’oseille. Au lieu de ça, le supergroupe s’est séparé, et ne survit dans le paysage médiatique qu’à travers des clashs et des embrouilles de niveau CE2. Comment on en est arrivé à un tel fiasco ? Analyse d’une débâcle commanditée par l’ego.
Ils étaient dix. Ou vingt. Peut-être même trente ou quarante. Voire plus encore. La plupart étaient rappeurs, d’autres beatmakers. Certains étaient là juste pour le kif, parce qu’ils avaient l’impression de participer à un mouvement unique en son genre. C’est vrai que le Raider Klan, c’était quelque chose d’unique. Un groupe hors du temps et des tendances, avec une esthétique particulière reconnaissable entre mille, inspirée des années 90. Dans le paysage musical de l’époque, ils étaient les seuls. Surtout dans leur fief de Miami.
Cachés derrière le bide imposant de Rick Ross et l’omnipotence du label de ce dernier, les loups sauvages du Raider voulait prendre d’assaut la ville avant de poser leurs couilles sur le front de l’Amérique, à l’aide de leur musique glauque et de leurs délires infâmes. Et ils étaient bien partis pour accomplir leur destinée. À force de multiplier les projets de qualité, ils ont fini par attirer les projecteurs sur leur travail, au point de se retrouver il y a peu encore à côtoyer des pointures du milieu. Leur chemin était tout tracé : ils devaient prendre la route du succès. C’était sans compter la folie destructrice d’un seul homme. Un leader excentrique, égocentrique et turbulent, bipolaire et rancunier qui, à lui seul, a mené le collectif à sa perte.
LE RAIDER KLAN : UNE AFFAIRE DE FAMILLE
Né en 2008 dans un quartier poisseux de Miami, le Raider Klan est d’abord une affaire de famille. Quand SpaceGhostPurrp décide de monter le collectif avec ses cousins, il ne s’imagine pas que quelques mois plus tard, il sera entouré d’une galaxy de motherfuckers venant de partout et d’ailleurs, pas forcément unis par les liens du sang mais tous mus par une même passion : le hip-hop. Mais attention, pas celui qu’on a l’habitude d’entendre en radio. Nostalgiques d’une époque où la culture hip-hop se vivait en baggys beaucoup trop larges, les membres du Raider cherchent à faire revivre un rap old school aux allures morbides, reflet de leurs vies tortueuses et décomplexées. Sous la houlette d’un SpaceGhostPurrp hyperactif et ambitieux, les membres du Raider se découvrent de multiples talents : pour la musique, forcément, mais aussi pour la vidéo, le graphisme ou encore pour le marketing. Partout sur les murs de Miami, on peut retrouver ces inscriptions bizarres, « Rvidxr Klvn », qui n’ont aucun véritable sens, mais qui veulent tout dire pour une meute qui prend de plus d’ampleur. Dès lors, même si la rue reste leur terrain de prédilection et les deals scabreux leur pain quotidien, les jeunes loups se rêvent en grands manitous. Et à l’époque, ils avaient des arguments à faire valoir.
À côté de Rick Ross et de son rap formaté pour les boites de strip-tease de la côte Est, les boys du Raider proposent un rap sombre et violent, à la limite du supportable. Un rap qui ressemble à leur réalité crasseuse et dégueulasse. Et si leurs premiers pas dans le game sont aussi remarqués, c’est qu’il se dégage une véritable homogénéité dans le crew. Ils développent tous une esthétique similaire, mélange de sonorité lo-fi, de samples délicieusement lubriques et de paroles crues mais authentiques. Rapidement, certains membres du groupe se distinguent par leur flow, leur talent et leur présence. À côté de leur leader, d’autres noms se détachent pour devenir des locomotives du groupe. Peut-être un peu trop d’ailleurs. Petit à petit, certains membres se détachent du Raider pour suivre leur propre chemin. Mais pourquoi donc des mecs comme Denzel Curry et Key Nyata, qui étaient les dignes représentant de la mouvance Raider Klan, se sont barrés du jour au lendemain, sans vraiment donner d’explications ? La réponse tiens en un mot : SpaceGhostPurpp.
GRANDEUR ET DÉCADENCE
Quand en 2011 sort la toute première mixtape d’A$AP Rocky, tout le paysage rapologique prend une mégaclaque, et fait la connaissance du cloud rap, de Clams Casino…et de SpaceGhostPurrp. Avec #LiveLoveA$AP, le harlemite va prendre une autre dimension et amener dans son sillage pratiquement tout ceux qui ont participé de près ou de loin à l’album, dont le Raider Klan et son éminent leader. Alors que leur musique ne restait qu’une affaire d’initiés, et qu’il fallait cravacher pour trouver trace de leurs nombreux projets, leurs noms se retrouvent cités sur tous les blogs hip-hop un peu hype. Avec, en tête, celui de SpaceGhostPurrp.
Très vite, les Amber London, Ethelwulf, Yung Simmie et Chris Travis se retrouvent propulsés sur le devant de la scène et représentent très fièrement le KLVN. Denzel Curry, lui, confirme tous les espoirs placés en lui avec des mixtapes délirantes, pendant que les autres membres du groupe attendent patiemment leur tour. De son côté SpaceGhostPurrp enchaîne interviews, mixtapes et collaborations, et sort même Mysterious Phonk: Chronicles of SpaceGhostPurrp, son tout premier album studio, acclamé par la critique. Comme leurs cousins du collectif A$AP Mob, le Raider semble parti pour briller. Avec une stratégie d’attaque finement huilée : attaquer en meute, derrière le capo, pour faire le cul au rap game. Sur le papier, le plan avait tout pour fonctionner. C’était sans compter les dérives, incompréhensibles et répétées, du désormais contesté leader.
SPACEGHOSTPURRP, fauteur de troubles BIPOLAIRE ?
Alors que tout semblait sourire aux boys du Raider, et que la carrière de chacun prenait des allures de fusée Ariane, un premier grain de sable est venu s’immiscer dans la mécanique. Même pas un an après la sortie de #LiveLoveA$AP, SpaceGhostPurrp est entré dans un beef inconsidéré avec l’étoile montante du rap jeu, A$AP Rocky. Un geste que personne n’a compris, surtout qu’ils apparaissaient copains comme cochons après plusieurs collaborations. L’objet de la discorde ? Un vol supposé de lyrics, commis par le rappeur de Brooklyn pour son morceau « Goldie ». Mais pas que. Avant cet épisode, Rocky et sa mob auraient agressé un des cousins de SpaceGhostPurrp. Il n’en fallait pas plus pour allumer la mèche et créer un conflit entre les deux rappeurs. Et, oh surprise, entre les deux camps.
Mais si l’A$AP Mob de Rocky est totalement soudé autour de son leader dans cette guerre fraticide, ce n’est pas vraiment le cas du Raider qui a de plus en plus de mal à se faire aux choix nébuleux de leur maître à penser. Et le fossé ne va cesser de se creuser entre SpaceGhostPurrp et ses disciples. Petit à petit, des membres vont se désolidariser du KLVN, fatigués des embrouilles et des bagarres perpétuelles. Le début de la fin. Rapidement, SpaceGhostPurrp va se retrouver à lutter seul contre tous. Même si certains restent fidèles à leur capo, le départ de rappeurs comme Denzel Curry ou Xavier Wulf, indispensables à l’équilibre du collectif de par leur talent et leur exposition médiatique, va inexorablement marquer la lente chute du Raider. La musique va passer au second plan, sauf pour quelques diss lines de qualité très médiocre, et la bataille rangée va trouver un nouveau terrain d’expression : Internet. Qui ne va pas avoir de mal à désigner le vainqueur du beef.
Abandonné par la plupart des membres de son Raider Klan, moins percutant sur le plan musical, SpaceGhostPurrp doit aussi faire face à des rumeurs pour le moins inquiétantes : il serait malade. Et plus particulièrement bipolaire. Une hypothèse pas forcément improbable quand on s’attarde deux minutes sur le comportement imprévisible de ce dernier. Des changements de blaze fréquents, des tweets énigmatiques, des messages annonçant la fin des clashs avant que ceux-ci reprennent de plus belle… Les agissements du rappeur posent question. Et alors que la carrière de ses ex-partenaires décollent enfin, SpaceGhostPurrp se retrouve englué dans des affaires chelous, à la limite du morbide. En témoigne cet épisode datant de janvier 2016, pas franchement reluisant, où le rappeur de Miami se moque de la mort d’A$AP Yams. Alors qu’on le croyait définitivement en paix avec A$AP Rocky et ses soss’, SpaceGhostPurrp en a remis une couche sur la mob en se payant A$AP Yams, mais aussi Lil B et Playboi Carti… qui affiche fièrement son affiliation à A$AP Mob.
Les réactions à ces attaques infondées et indéfendables ne se sont pas fait attendre. Et outre les tweets destructeurs des internautes, parmi ceux d’A$AP Rocky, des anciens membres du Raider n’ont pas hésité à s’élever contre les propos de leur ancien leader. Le plus virulent restant Denzel Curry, avec pas moins de deux diss tracks dévastatrices qui ont fini d’achever la carrière rapologique de SpaceGhostPurrp… ainsi que les rêves de gloire des membres restant du Raider.
Est-ce la fin du Raider Klan ?
Sur le papier, le Raider est toujours en place, mais ses fondations se sont écroulées comme le stade du Heysel sous le poids de la folie de son leader. Pour combler le départ d’une grosse majorité des rappeurs, de nouvelles têtes ont fait leur apparition. Mais sur le plan musical, un Stro Corleone ne vaut clairement pas un Denzel Curry. Du coup, l’avenir du Raider reste en suspens. Le dernier projet commun du groupe est sorti le 29 mai 2015 sous le nom Raider Klan 2.75. Comme pour annoncer une nouvelle ère. Seulement, la mixtape n’a pas bénéficié de l’exposition qu’elle aurait pu avoir si tout n’était pas parti en couilles avec SpaceGhostPurrp, les siens, et le monde entier.
Aujourd’hui, il est impossible de prédire si on aura dans le futur de nouveaux projets communs lancés sous la bannière Raider Klan. Et c’est peut-être pour le mieux. Car, inutile de se voiler la face, les dernières sorties des survivants du collectifs ne sont pas de grande qualité. Si certains arrivent quand même à tirer leur épingle du jeu, comme Amber London, leur absence médiatique leur interdit toute évolution de carrière. Peut-être auraient-ils dû quitter le navire quand il tanguait. Peut-être auraient-ils dû se désolidariser d’un SpaceGhostPurrp aujourd’hui bon qu’à tweeter et sortir des projets sans aucune saveur. Peut-être leur carrière aurait connu une trajectoire différente. Personne ne le saura. Jamais.
Alors que tout semblait sourire à ce prometteur collectif, la folie destructrice de son leader l’a rattrapé par le col, provoquant sa lente et douloureuse chute. Et pendant que la carrière solo de chacun des « déserteurs » prend son envol, les fidèles, restés auprès de leur roi, semblent condamnés à l’échec. SpaceGhostPurrp et les derniers survivants de son Raider Klan l’ont appris à leurs dépens : le train ne repasse pas deux fois, à ce qu’il parait.