À l’aube des ses cinq ans, les Rap Contenders symbolisent toujours la vitalité de la scène rap française. Après avoir abordé le rôle joué par le battle rap dans le renouveau de hip-hop hexagonal dans la première partie de ce dossier, on aborde avec Dony S les perspectives d’avenir pour les RC. L’occasion aussi de parler de Seinfeld et d’une certaine Sandrine Luce.
81 millions de vues, un public toujours fidèle, avec en filigrane l’image des arènes romaines et des jeux du cirque. C’est le cocktail explosif qui dicte la réussite des RC depuis sa création en France il y a cinq ans. Exutoire jouissif pour les uns, discipline à part entière pour les autres, on continue l’immersion dans un des viviers les plus riches du rap français, toujours en compagnie de Dony S, son fondateur.
La connexion France-Canada
Si le rap est le deuxième marché du monde en termes de vente de disques, les battles francophones peuvent se targuer de rivaliser avec les américains en terme de nombre de vues. La connexion RC-Word up y est pour beaucoup. À l’affiche de la dixième édition, deux québécois sont présents et depuis le début des RC ce sont cinq cousins d’outre-mer qui se sont succédé, certains revenant plusieurs fois. À l’inverse, les invitations se sont aussi faite de l’autre côté et quelques battle MCs français ont pu concourir au Québec. Si bien qu’aujourd’hui une affiche France-Québec est quasi synonyme de « main event ». Si lors des premiers battles internationaux la balance penchait largement en faveur de nos cousins québécois, l’écart s’est resserré, faisant place à un suspense haletant lors de chaque duel. Car si l’on peut remercier la folie, l’ouverture d’esprit, la prestance scénique ainsi que toute l’expérience qu’on put ramener les canadiens, on ne peut que constater que les Français ont su ramener l’organisation, l’exposition et la fraicheur. Dony S nous le confiait lors de notre entretien ; alors qu’un Filligran (créateur des Worp Up) fait plus ça pour la beauté du geste, Dony S lui se voit plus comme un organisateur pro : « Filigrann, par exemple, le fait plus pour la culture, il ne va pas faire tellement de promo. Moi je me sens plus aujourd’hui comme un mec qui booke des combats de boxe. Je dois créer une émulation sur chaque battle. »
Chaque battle y compris ceux de la draft. Car depuis le début, les RC a lancé des pré-qualifications, un passage quasi-obligatoire : « Toutes les ligues de battle ont ça en commun en fait. Comme au foot, il y a un centre de formation. La draft, c’est le centre de formation des RC. » Le hic, c’est que le public français semble trop critique envers ce centre de formation. Pourtant, qui dit « draft » dit « jeunesse », et les quelques lacunes qui vont avec : « Ça fait 5 ans que je l’explique, les gens en France ont un peu de mal à comprendre. Quand je sors une video de la draft, il y a des gens qui regardent et qui disent ‘c’est de la merde, les RC c’était mieux avant’. Mais c’est une draft, c’est des jeunes, ils viennent de commencer. C’est comme si tu allais voir un match de foot des moins de 15 ans et que tu t’étonnais qu’ils soient moins forts que les joueurs du PSG. »
Un public sévère donc et qui en attend beaucoup. Il faut voir le bon côté des choses : les RC a habitué à du haut standing. En somme, les Rap Contenders sont à l’image de l’exigence qui entoure le rap français. Cependant il va falloir que le public s’habitue à une transition, après le RC 10 : « Cette année, on va commencer à en faire trois par an mais il y aura peut-être moins de gros battles. Comme dans les combats de boxe : un main event, le combat que tout le monde veut voir, un co-main event, deux battle middle et deux battles espoirs. Et ça pourrait faire sortir beaucoup plus de MCs. Parce qu’il y a une demande des jeunes qu’il faut combler. On commence à avoir une grosse écurie. Là, aujourd’hui, on en a 44 et au moins une bonne dizaine qui peut espérer rentrer aux RC dans l’année. »
Battle MC, nouveau métier ?
Si les RC ont popularisé la discipline en France, le monde francophone ainsi que les régions françaises ont suivi le mouvement en créant leurs propres ligues. Du coup, depuis l’explosion du RC on voit la Punch-Ligue proposer de très beaux battles au Luxembourg. Les ligues régionales, comme MSG en Aquitaine, permettent à des jeunes kickeurs de se faire la main et se préparer, pourquoi pas, à l’accès aux RC. En témoigne le battle à venir pour le titre de cette édition 10 avec Louvard contre Wojtek. Le jeune MC est issu de la Punch-Ligue et est passé par la draft avant d’avoir la chance de concourir pour le titre. Parmi eux, beaucoup se serviraient-ils des battles pour lancer leur carrière artistique ? Pas vraiment selon Dony S : « La différence avec les mecs de L’Entourage, Gaiden ou Taipan, c’est qu’ils ont fait les RC pour promouvoir leur carrière dans le rap. Ceux qui arrivent sont des battle MCs. C‘est à dire qu’ils ne veulent pas forcément une carrière, mais ils veulent devenir champions. Ça devient une discipline à part. Ce sont des jeunes qui ont commencé à regarder les RC quand ils avaient 13 ans. Maintenant, ils en ont 18. » Une preuve de plus que la discipline est devenue reconnue et respectée à l’image des USA où des battle MCs comme Loaded Luxx peuvent miser une carrière sur cette seule pratique.
Pour autant, les battle MCs sont encore loin de clasher Myriam El Khomri en faisant reculer les courbes du chômage, et cela malgré l’intérêt grandissant des médias généralistes, comme Canal+ qui a consacré un reportage au phénomène. Comment une discipline basée sur l’humiliation et l’insulte arrive à fédérer autant ? « Une bonne vanne c’est une bonne vanne, que t’aies 13 ans ou 40 ans. Même ma mère peut rigoler. Et il y a le côté ‘personnage’ de mecs comme Wojtek ou Lunik. Si tu prends les mêmes paroles et les mets dans la bouche de quelqu’un d’autre, ça fait un flop. Parce que ce n’est pas juste ce qu’ils ont écrit, c’est comment ils le restituent. Il y a quelque chose qui se passe à ce moment-là, tu peux essayer de le travailler, mais ce n’est pas sûr que tu l’aies. Wojtek l’a depuis le début, depuis son premier battle. À l’inverse, si tu regardes le premier battle de Lamanif au RC Sud, il n’avait pas l’aura qu’il a maintenant. Donc c’est quelque chose qui peut venir avec le temps. C’est pour ça que souvent je dis que la première chose à avoir quand tu battles, ce n’est pas du talent, c’est avoir 100% confiance en toi. Si tu n’as pas confiance en toi en arrivant, tu vas te faire éclater. Et en fait souvent les mecs qui pensent être les plus forts sur scène, dans la vie ils sont plein d’humilité. Quand ils rentrent sur scène c’est plus les mêmes. »
HATERS GONNA HATE
Qui dit réussite, dit envieux, et le RC n’échappe pas à la règle. On a souvent vu Dony S stoïque derrière les MCs, même quand les vannes sorties rivalisaient d’humour avec les cadors du stand up. L’une des rares fois où l’on a vu Dony S abandonner son flegme, c’est lorsqu’en 2011 Jazzy Bazz harangue la foule en gueukant « il y en a marre des grosses putes à la Sandrine Luce » lors de son battle contre Woijtek. Pour cause, si l’incident est désormais derrière eux, à l’époque la référence avait de quoi faire pâlir Dony S : « Aujourd’hui ça nous fait rire mais à l’époque c’était vraiment pas drôle du tout. » De quoi perdre son sang froid quand on sait que la cible de Jazzy Bazz, Sandrine Luce, pensait tout simplement avoir inventé le battle rap et venait de porter plainte pour violation de copyright. « Un jour je me prépare à poster une vidéo sur notre chaîne YouTube, et je vois qu’il y a eu des ‘takedown’, suite à une plainte d’une certaine Sandrine Luce qui réclame des droits d’auteurs. Et puis je vois que j’ai reçu un mail de cette femme. Elle disait avoir inventé le battle rap ! En fait elle avait organisé des battles sur beat à l’époque de ‘8 Mile’, pour une chaîne télé obscure. Elle était donc persuadée qu’elle avait les droits du battle rap en France. On a essayé de lui expliquer, on avait des conversations avec elle, c’était des pages et des pages qu’on pouvait imprimer. On était tombé sur une folle. Mais une folle déterminée, parce que lorsqu’on postait nos battles, elle arrivait à les faire enlever. Ca a pris deux, trois mois au début. Alors c’était délicat de parler d’elle à ce moment-là. Les gens ont inventé des histoires de fou en croyant que c’était les maisons de disques qui nous censuraient alors que c’était pas du tout le cas. On a du prendre un excellent avocat, qu’on a du payer très cher, sinon on était morts. À l’époque on n’avait pas de contrat avec YouTube, Google ou une maison de disque. Donc personne pour arrêter les takedown. Si moi je le déclarais faux, elle revenait avec un nouveau takedown, et au bout de trois ils ferment ta chaîne. On ne pouvait pas prendre le risque de perdre la chaîne donc il a fallu prendre un avocat qui lui a envoyé une mise en demeure et lui a dit que si elle n’arrêtait pas, on réclamerait des dommages et intérêts… Et là ça a dû lui faire un peu peur parce qu’on n’en a jamais plus entendu parler. Ça s’est arrêté comme ça et depuis on a des avocats. On n’en a pas un seul, on en a plusieurs. »
Le problème Sandrine Luce résolu, Dony S dépose la marque RC. Avant de devoir faire face à de nouveaux soucis : ses propres doutes sur l’envie de continuer l’aventure. « On a arrêté à un moment. On avait des problèmes internes, donc on a pris un break. Il y a des moments où ça a pu me faire chier. Il y a eu une édition qui était un peu moins bonne que les autres. Depuis le début je me dis la même chose : ça a beau marcher, le jour où je m’amuse plus, j’arrête. L’édition 6 c’est la moins bonne des éditions. Je me suis dis que si la prochaine fois, je ne prenais pas mon pie, je songerais à arrêter. C’est con, ce n’est pas dans le rap mais mon modèle c’est Seinfeld. Ils se sont arrêté quand ils étaient au top, leur audience était au maximum et je ne pense pas que j’irai continuer jusqu’à ce qu’on soit has been et que ce ne soit pas bon. Je préfère m’arrêter sur une bonne note. »
Le futur du RC ?
Qui dit bonne note, dit forcément de l’ambition afin de l’obtenir. Qu’en est-il de celle des RC, de celle de Dony S pour sa ligue ? Qu’en est-il du futur ? Car si aujourd’hui les RC fête ses cinq ans avec une édition gargantuesque plus que fournie en main event, c’est bien pour continuer à voir grossier l’événement. Une vision à long terme donc et qui vise la qualité : « Les objectifs avec le RC sont toujours qualitatifs. On marche exactement comme une entreprise. On regarde nos posts, ce qu’on fait, avec des graphiques… Mais c’est quelque chose de très aléatoire. Il y a le travail qu’on va fournir mais après c’est aux MCs de le faire. Si les MCs se plantent tous, ils se plantent tous. Là mon travail pour la dixième édition a duré huit mois, mais aujourd’hui il est fini. Je n’ai pas besoin d’être sur l’événement finalement. Tout le travail de promo, de vidéo, de booking, de motivation des artistes, de leur dire où ils devraient aller ou pas aller… Ça c’est fait. Maintenant, c’est dans leurs mains. »
Et pour le coup, les MCs semblent avoir fait le travail. Aujourd’hui, la ligue affiche complet au Cabaret Sauvage. Alors, elle est loin l’époque du back-room du bar à chicha ? Lorsque nous abordons le sujet du financement du RC, Dony S se montre d’abord très clair à ce sujet : « Il faut aussi savoir que le financement de l’État est à hauteur de zéro euro depuis le début. On a été gratter aucune subvention, j’ai toujours refusé ça. C’est quelque chose que je refuse dans la musique. Si je ne suis pas capable de faire de la musique moi-même, et de la développer, je ne vais certainement pas aller gratter de l’argent qui pourrait aller dans l’éducation ou pour les gens qui galèrent dans les MJC dans les quartiers. Donnez leur de l’argent à eux, pas à moi. » Et le crowdfunding du coup ? « Non ça c’est pareil. Parce que je suis quelqu’un de fier, c’est peut-être con. Ça s’est fait une fois, c’est pas moi. »
« La réussite financière des RC, c’est une galère parce que avoir des sponsors sur un événement où les gens s’insultent de ‘sale noir’, ‘sale juif’, ‘sale arabe’, ‘sale gros’, ‘sale PD’, c’est pas super simple ! Et même si il y a des sponsors qui le comprennent, comme Puma, les autres sont vachement frileux. Même si c’est l’événement le plus bon enfant où tu puisses aller. Dans tous les événements qu’on a faits, on a seulement eu deux bagarres et c’était minime. Tous les week-ends en boîtes il y a pire que ça. »
Au final, tout ça ne reste que de l’amour. Taïpan remet les choses à sa place: « Ce n’est pas bien sérieux, il y a des gens qui se font tirer dessus en Syrie. Ça, ce n’est pas bien sérieux et il faut le relativiser. Faut juste rigoler. Le RC10, c’est une soirée où j’ai chialé de rire sur trop de rimes. Franchement je ne pensais pas qu’on pouvait dire autant de choses sur la chatte d’une daronne, c’est fou quoi. C’est surprenant qu’on arrive à se renouveler autant. À un moment on s’est dit toutes les saloperies qu’il y a moyen de se dire mais on arrive quand même à chaque fois avec des choses à dire sur la chatte des mamans. C’est ça qui est fascinant. Les premières éditions, les mecs c’était des pionniers. Depuis les gars viennent à chaque fois avec des nouvelles idées, des nouvelles façons de poser, des nouvelles façons de dire des vannes et de créer des personnages. »
Ses propres personnages, son propre public, sa propre histoire, et aussi son propre gimmick. Alors, d’où vient ce fameux « genre historique » que l’organisateur scande à chaque entame de battle pour galvaniser la foule ? « Il y a un moment gênant lors du premier battle que j’ai présenté. Je dis : ‘Ça va être genre historique.’ Mais en le disant, je me suis dis dans ma tête : ‘Mais t’es con de dire ça, si ça se trouve ça va être de la merde.’ (rires) Et je l’ai repris après, mais de manière ironique… Depuis c’est devenu le cri de guerre et de ralliement avec le public. Mais à la base, c’était une erreur de ma part et un truc qui m’a fait me sentir plutôt mal à l’aise. »
Les blagues de cul, sur les mères et les petites amies ont donc encore un bel avenir devant elles. Parce que les battle MCs sont décidés à repousser les limites à chaque édition, à aller encore plus loin dans la conception de personnage, dans les vannes, dans la technique. De son côté, les RC ont prouvé qu’il pouvait aller encore plus loin dans l’organisation : de meilleurs montages vidéos, de meilleurs main event, de meilleurs rookies. Toujours est-il que l’édition 10 des Rap Contenders vient comme un superbe cadeau d’anniversaire pour ses cinq ans d’existence, pour ses créateurs autant que pour le public. Et si un jour les RC accèdent au prime-time d’M6 à la place d’Incroyable Talent, on sera les premiers à scander « genre historique » en le regardant dans le bar à chicha du quartier. Et à se demander ce qu’aurait fait Dony S si il avait reçu son visa à temps.