Activistes, militantes féministes, chantres de l’empowerment… En 2017, les rappeuses cumulent les étiquettes et c’est tant mieux. Parce qu’on sait qu’il n’est pas aisé de se frayer un chemin dans la multitude de projets qui sortent heure après heure, on a décidé de s’unir à Madame Rap, premier média en France dédié aux femmes dans le hip-hop, pour vous présenter un panorama mondial de ce qui se fait de mieux coté MCing féminin.
Diviser pour mieux régner. La formule est plus poncée que les caleçons longs de ton grand-père, et pourtant toujours d’usage quand on observe les rapports homme-femme dans l’industrie musicale. Parce qu’on voudrait souvent faire croire que le rap est un truc de mecs, ou que les rappeuses connues sont (encore) des épiphénomènes bizarres, on a décidé de s’unir à Madame Rap, le site qui milite pour faire connaitre la pluralité de la scène rap féminine. Avec l’aide de sa créatrice, Eloïse Bouton, on vous propose de retenir cinq noms dans votre agenda, qui pourraient bien revenir à vos oreilles plus rapidement que vous ne le pensez.
LEAF (NEW YORK/LOS ANGELES)
Si vous ne connaissez pas encore Leaf, il vous faudra bien un jour sortir de votre grotte. A seulement 21 ans, Mikala Leaf McLean de son vrai nom (à ne pas confondre avec le producteur new-yorkais Le1f) pourrait bien être la prochaine Princess Nokia. Si sa passion pour Jimi Hendrix lui donne envie de se mettre à la guitare, c’est avec des potes du Lower East Side et de Chinatown qu’elle enregistre et poste ses premières démos sur MySpace à l’âge de 14 ans. Quand elle n’écrit pas, elle dévore tous les livres qui lui tombent sous la main, dont What You Really Really Want: The Smart Girl’s Shame Free Guide To Sex And Safety de Jaclyn Friedman qui l’initie au féminisme et lui ouvre les yeux sur la sexualité féminine.Elle commence alors à se construire une esthétique pin-up rétro gothique inspirée de Tarantino et de Scarface. Cette quête aboutit en 2015 à la sortie du EP Magnetic Bitch, du nom de son propre mouvement féministe. Très vite, elle se retrouve signée sur l’influent label indé new-yorkais Fool’s Gold Records, séduit par ce mélange de rap féroce et R&B futuriste avec voix éthérées et basses bien lourdes. Désormais basée à Los Angeles, la MC écrit et produit ses sons, réalise et monte ses propres clips et a lancé sa propre ligne de fringues MBM, initialement Magnetic Bitch Movement et désormais Money Before Men, qui encourage les femmes à être indépendantes financièrement et à accomplir leurs rêves (et aussi à acheter des vêtements, hein). Après « Nada » featuring le petit prodige d’Atlanta Lil Yachty, la rappeuse sort enfin son premier album Trinity fin août 2017. Au programme, 13 titres clairement destinés aux femmes, des shoots d’empowerment tantôt festifs, tantôt introspectifs, où elle déplore la misogynie indécrottable qui parasite le hip hop mais incite aussi les femmes à se battre pour leurs droits, à s’allier et à sortir du rapport de concurrence dans lequel l’industrie masculine tente de les maintenir pour mieux les dominer.
BIIG PIIG (Londres)
Pour Jess Smyth, tout part sans doute de l’enfance. Ballottée entre sa terre d’adoption, l’Espagne, où sa famille tenait un pub, et un retour précipité à 12 ans en Irlande son pays natal, la vie d’ado se complique. Résultat, entre petits boulots et sessions open mic nocturnes, la jeune Jess développe ses talents de lyriciste oscillant entre rap et néo-soul. Son premier fait d’arme, le slow jam « Vice City », attire sur elle les lumières de l’industrie musicale, avec sa vidéo DIY réalisée par le collectif Nine8 et ses rimes acidulées. « J’ai écrit « Vice City » à l’époque où je bossais dans un grand casino à Londres, comme croupière. J’étais tout le temps crevée à l’époque. Je voulais écrire une chanson d’amour qui soit une référence à ce boulot. « Aussi à l’aise dans le Mcing que le chant, la touche à tout devrait sans doute passer les ires du Brexit pour s’importer sans trop de mal en contrées gauloises. Quand à son étrange pseudo, elle déclare avoir eu une illumination, un peu éméchée en lisant…un menu de pizzeria. « Plus j’y pense et plus je trouve que ça représente bien ma musique. Un gros bordel. Mais mignon quand même ». Nigel Farage likes this.
NIÑA DIOZ (LOS ANGELES/MONTERREY)
Première rappeuse lesbienne au Mexique, Niña Dioz est logiquement devenue une icône de la scène rap queer latino-américaine. Originaire de Monterrey, au Nord-est du Mexique et à 200 kilomètres de la frontière texane, la rappeuse grandit aux sons de Metallica, Nirvana, Madonna, les Fugees, TLC, Cypress Hill et Missy Elliott et avec Frida Kahlo et Maria Felix pour rôle modèles. A l’adolescence, elle découvre le rap hispanophone grâce au groupe Control Machete originaire de sa ville. Si eux ont réussi à percer, pourquoi pas elle ? A 17 ans, elle décide donc de participer à un forum hip hop où des producteurs lui propose d’enregistrer des titres. Mais elle est lesbienne et ne le cache pas, au contraire, son orientation sexuelle occupe une place récurrente dans ses lyrics. Evidemment (et tristement), elle détonne sur une scène presque exclusivement masculine et va goûter aux joies des discriminations sexistes et homophobes. En dépit des portes qu’on lui claque au nez, la femcee ne se démonte pas et se fraye un chemin sur les scènes queer et rap du Mexique et de Los Angeles, où elle s’installe en 2008. Pour toutes ces raisons, son rap porte une charge intrinsèquement politique, palpable dans son EP « Libre », qui fustige les violences policières au Mexique et aux Etats-Unis, la censure et le bafouement de la liberté d’expression. Après « Alquimista », inspiré de L’Alchimiste de Paulo Cohelo, elle sort « Dale », produit par Captain Planet & Futura, deux pointures de la Global Bass qui ont notamment collaboré avec Asap Mob et Lloyd Banks. Le clip rend hommage aux Afro-Mexicains qui font la richesse et la grande diversité de East L.A. et de Plaza Fundadores, lieu-clé de la culture hip hop mexicaine, où la femcee se fait tresser depuis l’âge de 15 ans. A aujourd’hui 31 ans, Niña Dioz continue d’œuvrer pour faire du rap un espace safe et démontrer l’inclusivité du mouvement hip hop.
BOYFRIEND (NEW ORLEANS)
Double vie à la Superwoman. Prof d’anglais le jour, rappeuse la nuit, Boyfriend te montrera qu’on peut démonter le patriarcat en arborant la lingerie et les bigoudis de ta grand-mère. « Non conventionnel », « Underground », « Chelou »… à la vue des qualificatifs qu’emploient la presse spé US à son encontre, on devine qu’on va être bien emmerdé-es pour coller une étiquette sur le rap foutraque et déjanté de Boyfriend. Célébrant l’estime de soi et l’acceptation de sa propre identité, le personnage décalé de Boyfriend joue sur les représentations, les clichés, pour mieux les retourner. Du background conservateur qui entoure ses origines typiques « southern » et les problèmes sociaux inhérents à ses origines, jusqu’à l’exploration de sa sexualité, la rappeuse aborde tous les thèmes et se pose comme une réelle activiste qui fait plus que cracher des rimes dans un mic’. Son live show, baptisé « Rap Cabaret », réussit le tour de passe scénique de mélanger à la fois performance burlesque, crowd surfing et commentaires sociaux affutés. Quand on sait que son dernier EP NEXT se voit gratifié de la présence de la chanteuse des B-52s Cindy Wilson sur un banger pop addictif, on devine que la carrière de Boyfriend pourrait bien connaître une courbe ascendante anti proportionnelle à l’espérance de vie de Aaliyah.
REBECA LANE (GUATEMALA)
Ce n’est pas un hasard si Niña Dioz et Rebeca Lane sont copines. On a pu notamment les retrouver en 2015 aux côtés des rappeuses Aid (Espagne) et Sista Eyerie (Mexique) sur le track “No Mas Ne Lo Mismo”, ode au rap hispanophone au féminin.Rappeuse, féministe, poète, artiste et activiste, Rebeca Lane vit à Guatemala ville, un lieu empreint d’une longue histoire d’oppression et de violences de genre. Cette sorte de Keny Arkana guatémaltèque doit son prénom à sa tante, kidnappée par le gouvernement militaire en 1981 et portée disparue. Elevée dans ce contexte politique houleux (différentes guérillas marxistes s’opposent au gouvernement en place entre 1960 et 1996), Rebeca Lane commence naturellement à militer très jeune pour la justice sociale et le devoir de mémoire collective. A la fin de la guerre, elle découvre la scène hip hop alors en plein essor et rejoint le groupe Última Dosis avec qui elle fait ses premiers pas de rappeuse. Aujourd’hui, l’artiste de 32 ans s’est imposée comme une figure phare des luttes féministes et du rap dans son pays. Membre de Somos Guerreras, réseau de femmes dans le hip hop en Amérique Centrale, elle organise des festivals, des ateliers et produit notamment un documentaire avec d’autres rappeuses et activistes hip hop. La cause des femmes occupe toujours une majeure partie de ses textes et de ses projets. A l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes en 2016, elle sort le clip « Este Cuerpo Es Mio» contre les violences conjugales dans son pays, où l’on dénombre l’un des plus hauts taux de féminicides au monde. Elle brise également le tabou des grossesses précoces résultant de viols dans son premier album « Alma Mestiza » et son dernier clip « Reina del Caos » revient sur le résultat des dernières élections législatives dans son pays et du chaos politique qui en découle depuis.