Red Pill et son chemin de croix

jeudi 19 février 2015, par Olivier Cheravola.

Red Pill. Un MC vingtcinquenaire chevelu et chubby qui avait outshiné le vétéran Verbal Kent lors de leur concert l’an dernier à Lyon. J’avais gardé en mémoire son charisme débonnaire : chemise à carreaux et sourire aux lèvres, l’assurance du mec qui fume sa clope tranquille après avoir kické un 16 bars brûlant. Et ça faisait des semaines que j’attendais des nouvelles du tiers de Ugly Heroes depuis Learning to Punch, EP digital préfigurant son album à venir. Encore sous le coup de cette ogive nucléaire reçue en pleine figure il y a un mois, j’espérais secrétement que le mec reprenne rapidement son costume d’artificier. Un peu comme on attend d’un ami qu’il vienne nous remuer par le colbac pour notre bien. C’est donc avec l’excitation d’un nerd parcourant les nouvelles conditions d’utilisation d’iTunes que je me jetais sur “Look What This World Did To Us”, dans l’espoir de prendre à nouveau une baffe bénéfique. Petit Jésus, dieu des Italiens et des masochistes, sois remercié car ce fut chose faite.

Sur ce track qui donne son nom à l’album, on retrouve la mélancolie teintée de rage qui confère au labelmate d’Apollo Brown (chez Mello Music Group) cette position quasi christique du type qui expie sa souffrance pour toi. Droit dans ses baskets de bluecollar-rapper, le MC de Detroit scrute avec lucidité les débris d’un monde décati. Efficacité des mots, prod sans fioriture réalisée par le rappeur lui même, comme pour présager d’une solitude prête à déborder sur le beat. Dès les premières mesures, la voix plante le décor d’une déconvenue amoureuse…

 

“I got a “We got to talk” text / Now everybody knows what’s next …“

 

La suite est à la hauteur. Pour Red Pill écrire c’est mettre ses tripes sur la table. Écarter les faux-semblants, les non-dits, se regarder dans un miroir et dire ce qu’on y voit sans retenue, sans frein, sans malaise non plus. Un rap qui pue la cendre froide et les relents de whisky un lendemain de cuite. J’ouvre une Corona pour accompagner le mouvement, comme pour écouter un vieux pote avouer ses galères.

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Dans ce texte d’une sincérité presque brutale qui revient sur les raisons d’une rupture, on devine un amour immodéré de la bibine et les lambeaux d’un siècle qui ne tient pas tout à fait ses promesses. Au milieu de mon salon, c’est à présent un mec abattu qui navigue à vue au milieu de ruines. Un vieux pote essayant de trouver une autrevoie à une vie qu’il vomit.

 

« (…) Leave me this with rhum
Do what I do best, sit alone get drunk
And blame it all on them, blame it on this world,
They took my friend, they took my girl,
They took my heart, they took my trust,
They took my soul and they took us
So let me go… »

 

Depuis Ugly Heroes, Red Pill se construit couplet après couplet une carapace pour survivre, dans une sorte de parcours initiatique à la manière du Arturo Bandini de John Fante. La comparaison s’arrête là : Bandini n’aurait pas survécu dans le monde 2.0 dans lequel Red Pill évolue. Ce monde qui nous malmène, jusqu’à transparaitre en filigrane comme complice de  l’échec sentimental d’un couple.

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Si l’on sent poindre derrière son flow désabusé les ombres bienveillantes du meilleur de l’émo-rap US (Atmosphere, Qwel, Grieves…), c’est par la simplicité sans fard de son discours que Red Pill impose son originalité. Enfant pas gâté par la vie, écorché-vif, persuadé qu’elle sera pour lui un long chemin de croix qu’il faudra arpenter sans relâche jusqu’à la mort. Un rap-confession qui apporte la lumière. Tendons l’autre joue.

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