À quelques heures du début de l’Euro, on a décidé d’enfiler nos plus belles Copa et de discuter football avec deux rappeurs bien placés pour décortiquer le monde du ballon rond. Si Sam’s et F-Ikass (Wesley Ngo Baheng) tapent aujourd’hui dans le cuir pour se faire plaisir, ils ont tous deux connu une carrière honorable. Cette année, F-ikass a tenté d’accrocher un billet en CFA2 avec son club de toujours, le Blanc-Mesnil. Un retour aux sources après ses années pros à Newcastle. Dans les bureaux de Musicast, les deux anciens footballeurs se sont posés pour comparer leurs trajectoires et papoter rap et football, deux milieux très proches.
Le premier contact est timide. Le feeling est naturel. En les voyant parler football et musique, nous pouvons aisément nous questionner : les deux rappeurs se connaissent déjà ? Négatif. Sam’s est originaire de Bordeaux, F-ikass vient du Blanc-Mesnil (93). Il a sorti sa mixtape Premier Bilan Vol.1 début mai. Signé dans l’équipe Bomayé, Sam’s a un peu d’avance sur le terrain du rap et a sorti son premier album, Dieu est Grand en octobre 2015. Pendant plus de deux heures, le duo se remémorent leurs expériences, l’influence sur la vie d’artiste sans omettre d’aborder les contours du football. Du centre de formation du Havre en passant par Marouane Chamakh, Youssoupha, la D2 Israëlienne, Joey Barton, Benzema et les mentalités. Entretien croisé.
SURL : Est-ce que vous vous connaissiez avant cette rencontre ?
Wesley : Non, mais tu as déjà fait des choses avec des gens que je connais du Havre, Index par exemple. J’ai été formé au Havre. J’ai directement fait le lien entre lui et toi. Nous avons un parcours similaire.
Sam’s : C’est la famille. On a vraiment des destins croisés.
Ça fait longtemps que la musique est dans votre vie. Depuis quand rappez-vous ?
S : Depuis que j’ai 12, 13 ans. C’est tout comme le football. Tu fais les deux par passion. Cela te procure des sensations et tu t’échappes du quotidien. Mon premier groupe de rap, c’était avec Eloge Enza-Yamissi (joueur de Valenciennes). Nous venons du même quartier, nous avons grandi ensemble à Florac dans la région Bordelaise. Notre premier groupe de rap c’était les Fanatiques. Aujourd’hui, je suis dans le rap et lui le ballon rond. Dès que j’ai fait de la scène, j’ai grave kiffé le partage.
W : Quand j’étais en centre de formation, c’était l’époque 8 Miles. Nous nous amusions à se clasher. J’enregistrais sur des MP3 avec l’option MIC. J’avais un groupe puis les mecs ont arrêté. Moi, j’ai continué. C’était un kiff avant tout, puis à force d’écrire, tu progresses et cela devient une échappatoire. Les autres jouaient à la Playstation, moi, je grattais des textes. Au centre de formation, nous étions plusieurs à faire du son. Nous avions monté le groupe du Havre quoi. Nous faisions des petits concerts. (sourires)
Est-ce que le football vous inspire dans votre musique ou c’est juste une partie de votre vie ?
S : Le parallèle se fait plus entre l’industrie de la musique et celle du football. Mon morceau « FFF », tu peux l’appliquer à beaucoup de sports et à la musique. Les deux domaines sont différents. Sur le pré, tu as des consignes. Quand tu es devant ton mic ou ton stylo, tu fais ce que tu veux.
W : Je suis d’accord, mon éducation reçue dans le football me sert dans la musique. Je suis en totale indépendance donc je suis confronté à différents obstacles. Dans le sport, tu y as été confronté. Tu sais que tu dois être patient et que ton heure viendra. Dans le football, tu peux être remplaçant et titulaire quelques semaines plus tard. Cette persévérance est importante.
S : C’est vrai. Quand tu es petit et que tu veux être pro, tu as souvent des désillusions. Et il n’y a rien de pire que ça ! Dans la musique, tu peux vivre des crasses, tu passes au dessus. Tu privilégies le plaisir personnel.
« Si tu es l’équivalent d’un Lorient, tu ne manges pas dans le rap »
Le rap et le football d’aujourd’hui se ressemblent-il d’un point de vue médiatique ?
W : Dans le football comme dans la musique, c’est très Français, mais on s’intéresse surtout à ce qui buzz. L’extra-sportif prend souvent le dessus. À ce niveau, je trouve que ça se rejoint.
S : Dans le football, les médias cherchent le sensationnel mais le joueur prend son billet quoi qu’il arrive. Dans le rap, c’est autre chose. Si tu es l’équivalent d’un Lorient, tu ne manges dans le rap. Toulouse a failli descendre, mais Ben Yedder est fort et tout le monde le sait. Il prend son billet et rebondira autre part.
Dans le rap, il est difficile de vivre de son art. Comment l’abordez-vous ?
S : Lino dit : « Y’a un paquet de rageux pour trop de mauvais payeurs. » Cela résume tout. Je ne crois pas les gens qui disent qu’il n’y a pas d’argent dans le milieu. Nous ne serions pas justes derrière les USA, il n’y aurait pas autant de maisons de disques, de morceaux à la radio ou de concerts… Il y a du fric qui tourne. C’est relou car c’est tabou. Il est là le vrai problème. Des artistes font des showcase. Ils sont payés 2000, 5000 ou 8000 euros. Si les gens sont capables de payer pour voir des artistes, si les maisons d’édition mettent de l’argent sur des artistes, c’est qu’ils vont récupérer leur investissement…
W : Je travaille à côté pour faire du rap maintenant (rires). J’enregistre mon premier projet en ce moment. Forcément, je dépense plus que je récupère, mais je pense que si tu fais les choses correctement, tu t’y retrouves. Tout est en rapport avec nos ambitions. Certains arrivent dans le game pour faire du fric. Là, tu vas être rapidement blasé, selon moi. Chaque chose en son temps. Si j’arrive à développer ma musique, je vais rentrer dans mes frais un minimum.
Au football, s’il y a bien un championnat ou il y a de l’argent, c’est l’Angleterre. C’était un rêve pour vous ?
S : C’était une belle expérience. Ils sont moins coincés du cul. Là-bas, j’ai joué des matchs avec des équipes de niveau CFA, j’ai cru que je jouais la Champions League. Le football est une passion, il y a un engouement, il y a de l’argent. Regarde les droits TV, c’est de la folie ! Quand tu regardes les matchs anglais, tu as du divertissement. C’est comme la NBA. En France, on parle d’argent avant de parler plaisir. Tu peux faire les deux.
W : Je suis de l’école Lassana Diarra, Charles N’Zogbia au Havre. L’Angleterre c’était le rêve. Quand Newcastle m’a contacté, c’était fou. J’ouvrais grand les yeux. Quand je suis arrivé là-bas, à 18 ans, j’ai vraiment commencé à aimer le football. En centre de formation, j’avais un peu perdu la notion de plaisir. Je faisais du foot car j’étais talentueux. L’école, ce n’était pas ça. Je me disais que j’allais sortir ma famille de la galère. A Newcastle, ce fut un vrai changement, tout le monde est passionné de ballon rond, basta.
S : Quand Marouane Chamack est parti à Arsenal, il a connu une période ou il ne jouait plus. Nous étions en vacances et je l’interrogeais sur sa déception de ne pas être titulaire. Il me disait que bizarrement non. Même quand il ne jouait pas, il prenait du plaisir à l’entraînement. Quand il marchait dans les rues, les supporters avaient toujours une bonne attitude. Ils te font aimer un club. Tu fais partie de l’histoire du club même si tu es sur le banc
W : C’est très vrai. Je comprends les critiques des entraineurs étrangers à propos des joueurs français. Quand tu arrives en Angleterre, on ne t’impose pas la discipline mais tu comprends qu’il faut suivre. Là-bas, les stars sont humbles. Ici, ils pètent plus haut que leur cul.
S : Regarde l’affaire Benzema. En Angleterre, les tabloïds sortent des histoires très sales comme celle de John Terry, mais pour eux cela reste des faits extra-sportifs… Rooney peut se battre dans un bar, il restera Wayne Rooney. Il représente le pays. Dans l’affaire de la sextape, comment ça se fait que les politiques interviennent ? Même si l’entourage de Benzema est peut-être douteux, le spectateur amoureux du jeu s’en bat les reins. Il veut qu’il mette des buts. De toute manière, chacun cherche le buzz. Quand j’étais au Stade Bordelais, je jouais avec un mec qui s’appelait Brice Boudji. Ce mec était aussi fort qu’Eden Hazard pour moi. Il était incroyable. J’ai rarement vu ça. Le problème est que c’était un baisé dans sa tête. Un jour, il se fait virer de l’entraînement. Notre coach nous réunit et nous prend à part. « Écoutez, ce mec est invivable. Mais ce qu’il a dans les pieds, il peut nous sauver la saison. Je vais vous demander de passer outre de certaines choses. » Nous avons fait une super saison.
W : J’ai joué avec Joey Barton. C’est un malade. À Newcastle, le coach était Sam Allardyce. Deux fous. Leur cohabitation était impossible. Le coach l’a pris à part et lui a dit ses qautre vérités. C’est un gros joueur mais hors du terrain, les deux se détestaient. Pourtant, sur le terrain, il lui faisait confiance.
Vous me parliez des polémiques autour du football et du climat ambiant en France. A quoi sont-elles liées ?
W : Les polémiques sportives sont à chaque fois liées au climat politico-social. A notre âge, nous avons vécu France 98. Le sport est fédérateur à la base. J’ai joué avec toutes les nationalités et c’est une richesse de fou. C’est usant toutes ces polémiques. À l’étranger, tu n’as pas ça. Quand j’étais en Angleterre, c’est là-bas qu’on m’a dit que j’étais français. Et à force de l’entendre, tu te dis que tu as de la chance d’être français.
Dans le football, vous rêviez d’un autre pays outre l’Angleterre ?
W : C’est fini ça. Mais quand je suis parti d’Angleterre, je devais signer à Ingolstadt, dans la banlieue de Munich. Ils venaient de monter en D2. J’ai pété les plombs. Au début, j’étais assez réfractaire. J’avais des préjugés. Je me suis dis Allemagne, noir, mauvais délire. Je suis arrivé là-bas, j’ai vu des choses incroyables. Le modèle allemand est top. Je suis tombé amoureux de ce pays. Ils ont tout compris. Historiquement, ils viennent de plus loin que la France.
S : Pour te dire, j’avais fait des essais en Israël, en deuxième division. Pourtant, je suis musulman. Et alors ? Aucun problème. Toutes mes histoires de racisme se sont déroulées en France. On me disait : « Vas y Mamadou, va chercher les ballons. » Bah oui, ce n’est pas mon prénom mais apparemment, on s’appelle tous comme ça…
W : La plupart des footballeurs sont issus d’un milieu urbain. En France, nous avons un problème avec la réussite venant d’un jeune de quartier. Ca fait partie de la racine du problème. Ils ont moins de 30 ans et ils sont blindés comme jamais. En Angleterre, je suis arrivé et je vois le parking des jeunes : je pète les plombs. Des voitures de folie. Personne ne dit rien. Dès que j’ai eu le permis, j’achète une grosse voiture. Quand je rentre en France, je loue des grosses voitures. C’était mon délire. Je m’arrête au feu rouge, les gens te regardent, la police arrive… Dieu merci, j’avais récupéré ma carte à l’ambassade de France à Londres. Il y avait mon adresse à Newcastle. Ils ne disaient rien.
S : C’est l’effet Noah ou Pérec. Quand tu gagnes un titre, tu es Français. Quand tu perds, tu es néo quelque chose. C’est dans les mœurs. En 2002, le Sénégal tape la France à la Coupe du Monde. Claire Chazal conclut en indiquant qu’il ne faut pas oublier que la plupart sont formés en France. C’est violent. Je vais être cru. Je pense qu’en France voir des singes prendre de l’argent, ça gêne. Joséphine Baker, Magic System, Yannick Noah qui danse pieds nus, aucun problème. Mais dès que ça veut parler, ce n’est pas possible. Et dans le rap, on le voit aussi.
C’est-à-dire ?
W : Je suis au sein d’associations et je participe à des débats. Je suis habillé de manière élégante et je m’exprime bien. Les gens sont étonnés quand je leur dis que je fais du rap. Pour eux, ça doit rester zoulou. Nous sommes nombreux à vouloir développer cette musique et l’amener plus haut. Mais, ça dérange. Sur des plateaux TV, on vise en particulier les rappeurs à l’époque des émeutes en 2005, France 2 avait appelé Mac Tyer.À l’époque, j’étais en feu. Je me disais ça va être trop bien. Dernièrement, il a expliqué qu’il a fait le gogol quand France 2 l’a contacté. Il est arrivé sur le plateau et a super bien parlé. Aujourd’hui, le rap est une musique importante en France. Les TV commencent à se dire que les mecs de cité pèsent fort. Et ça dérange.
Comme Moix-Nekfeu. Il a été utilisé comme le petit blanc qui lit, parle bien…
S : Musicalement, j’ai vraiment aimé son album. Voilà, ils vont le faire venir sur un plateau du côté Eminem. Un petit blanc qui a réussi à rentrer dans ce petit monde rempli de singes. (sourires) Il se fait taper dessus car il rappe et dès qu’il ose dire qu’il n’est pas d’accord, c’est la rébellion. Dans les Inrocks, ils avaient titré : la nouvelle jeunesse rebelle. Je rigolais dans mon coin. Doucement. C’est l’effet Gourcuff. C’est ce que les médias récupèrent. Comment Yann Moix peut-il lui dire que le rap doit être plus brute ? Tu es qui mec ?! En quoi est-il légitime pour parler de rap ? Je me rappelle à une époque, Mister You est invité dans On n’est pas couché. Ce jour-là, Ruquier explique qu’on lui demandait de parler de lui. Il recevait des mails, etc. Sauf qu’il a avoué qu’il ne le connaissait pas. Donc, tu invites des mecs à grande écoute sans s’intéresser à son travail. Tu ne fais pas le taff. Par contre quand ce sont des artistes alternatifs ou autres, ça débriefe. Alors là ! Ça se branle.
« Je ne vais pas en crampons au studios »
Sam’s, tu es chez Bomayé. Youssoupha, boss du label, est quasi invité tous les ans sur le plateau. Dès qu’il a un projet, il est de partout.
S : Mais quand il va sur le plateau, que lui disent les chroniqueurs ? C’est bien. C’est tout. Il faut vanter les mérites. C’est plat et sans intérêt. Il faut arrêter d’inviter Youssoupha en mode « c’est bon, nous avons reçu un rappeur intelligent ». C’est toujours le mec qu’on sort de la boite, du chapeau…
Vous avez sorti deux morceaux (« Ma Story » pour Wesley et « FFF » pour Sam’s) qui expliquent parlent de votre passé de footballeur. N’avez-vous pas peur qu’on vous colle l’étiquette rappeur, ex-footeux ?
S : La différence avec Wesley, c’est que sans le rap, on ne me connaît pas dans le football. Beaucoup ne savent pas que j’étais dans ce milieu.
W : Moi, à chaque fois que je sortais un morceau, les mecs titraient « un ancien joueur de Newcastle », etc. Je suis même passé sur Sky Sports. Quand je fais de la musique, je veux être considéré comme un artiste. Je ne vais pas en crampons en studio (rires). J’avais besoin de tirer un trait sur ce passé. Ce fut dur de se remettre dans la vie normale. L’idée était de faire un son et de raconter tout ce que j’ai fait. Maintenant, je suis un artiste et plus l’ancien footballeur pro. Au début, j’en avais besoin pour l’exposition.
S : C’est très Français. On a besoin de te mettre dans une case. Reconnaissons le talent. Quand tu dis que tu es rappeur et comédien, les mecs en face ne te disent pas artiste mais te réduisent à un seul terme. Ils n’y arrivent pas. Quand les mecs ne sont pas dans la stigmatisation, ils sont gênés.
Wesley, tu as eu les croisés. Sam’s, les croisés aussi et d’autres blessures graves. Vous avez des regrets ?
S : Je ne suis pas allé à la détection des Girondins à cause d’une lettre de renvoi. Mais, je n’en veux pas à mon daron. Si tu veux un travail, va à l’école. Les choses sont telles qu’elles sont. Je connais des gars qui sont pros et qui ne sont pas heureux. Humainement, ils n’ont rien vécu. Ces mecs se prennent pour des cailleras car ils veulent rattraper le temps perdu. Nous aurons toujours cette frustration. En Ligue, j’étais meilleur que Valbuena & co. Mais, je n’ai pas de regrets.
W : À Newcastle, j’arrive à 17 ans et demi. Je venais de perdre ma mère deux semaines avant. Paix à son âme. J’étais dans un délire… Petit à petit, le football mangeait mon éducation. Chauffeur, argent, facilité, etc. Tu es au max. Tu te rends compte que seulement deux mois de ta vie changent ta façon d’être. Sportivement, il y a le petit regret. Et en même temps, tu te dis quel homme serais-je ? Je serais un calvaire à vivre. J’ai déçu énormément d’amis quand j’étais en Angleterre. Avant de me blesser, j’ai toujours été un privilégié. Et les épreuves ont commencé. Je me construis dans ce malheur. Je vois Sam’s qui vit ça bien. Ça me rassure.